conclusion

L’ambition qui prévalait à ces travaux était l’élaboration d’une nouvelle méthode d’évaluation de la qualité de vie quotidienne. Les réflexions et expérimentations menées sur la ville de Lyon sont riches en enseignements. Tout d’abord, ce travail a permis de dépasser le flou conceptuel et la diversité des approches de la qualité de vie à partir d’un recentrage sur le cœur de la notion, à savoir le quotidien et la proximité. Il a permis ensuite de construire et d’expérimenter une méthode d’évaluation de la qualité de vie et de tracer la voie à l’identification de critères de mesure validés. À travers l’élaboration d’un mode de questionnement centré sur l’individu, des solutions simples mais efficaces ont été trouvées, proposant ainsi de nouvelles clefs de résolution pour mieux appréhender et mesurer la complexité des réalités urbaines. Cette approche quantitative de la qualité de vie initialement appréhendée à travers ses réalités subjectives permet d’élaborer un système d’appréciation et de mesure confirmé par les besoins et les aspirations de la population elle-même. L’identification des critères fondamentaux de qualité de vie, basée sur les représentations individuelles, est à l’origine d’une méthode renouvelée d’observation urbaine permettant l’analyse fine et précise des disparités intra-urbaines de la qualité des cadres de vie résidentiels. Cet apport méthodologique démontre également la richesse et la portée des résultats qu’elle produit et permet indirectement de redonner « crédit » à cette notion de qualité de vie tout en repositionnant le difficile exercice de sa mesure en tant qu’outil d’observation et d’évaluation urbaine. Comme tout développement méthodologique, les résultats élaborés sont essentiellement présentés pour avérer la faisabilité de la démarche entreprise. Il est important de noter que les connaissances mobilisées ont un caractère circonstanciel car elles demeurent étroitement liées au contexte spatial et temporel de l’étude. Cette méthode n’a pas identifié de critères « universels » de la qualité de vie mais formalise des processus de construction, teste des procédés d’analyse et les explique de manière didactique. Au-delà de cette démonstration méthodologique, les résultats produits proposent des clefs de lecture et de compréhension renouvelées du territoire urbain. Il s’agit par conséquent d’un outil pédagogique modulable, qui peut être transposé à d’autres cas d’étude, d’autres contextes géographiques.

Le début de l’itinéraire nous a conduits à l’élaboration d’une proposition méthodologique basée sur le renversement de point de vue : l’approche objective et quantitative de la qualité de vie se construit à partir de son approche subjective. Ensuite, l’élaboration d’une enquête auprès de professionnels et d’habitants et sa réalisation sur le territoire lyonnais, nous a permis d’identifier les éléments perçus comme essentiels pour l’évaluation de la qualité de vie quotidienne des lyonnais. Ces critères ont été obtenus en « objectivant le subjectif », c’est-à-dire en trouvant une traduction quantitative à l’expression de la perception subjective des individus. Cette objectivation, prenant en compte les disponibilités et les contraintes statistiques, sert de référence à l’approche objective de la qualité de vie et permet de structurer le diagnostic urbain. Cet essai d’évaluation donne lieu à la construction d’une expertise fine des conditions de vie des citadins, permet d’apprécier les aménités urbaines et d’observer la répartition spatiale de ces caractéristiques. Le diagnostic urbain, mené sur l’ensemble de la ville de Lyon, permet d’analyser les disparités intra-urbaines de la qualité de vie quotidienne. Les études thématiques menées sur les capacités de déplacement en transports en commun, les phénomènes accidentogènes, la disponibilité des commerces et services de proximité, la qualité des environnements sonores, la qualité de l’air, la propreté des rues, les équipements scolaires, la disponibilité des espaces verts, la taille des logements et la sécurité des citoyens sont autant de clefs de lecture du territoire urbain. Il convient de noter que toutes ces méthodes sont innovantes, de par l’approche spatiale et la qualité des données mobilisées, et ouvrent la voie à de nouvelles approches de diagnostics sectoriels. Au-delà de cette connaissance des cadres de vie, cette expérimentation a permis de développer une nouvelle représentation de l’information. L’utilisation du bâti et de son unité de voisinage comme système géographique de référence permet d’ancrer l’analyse au sein d’un terrain d’étude adapté à notre problématique. Le cadre de vie centré sur l’individu et son unité résidentielle semble donc offrir à l’exercice d’évaluation de la qualité de vie une territorialisation efficace. Ce mode de représentation cartographique a permis de clarifier l’analyse intra-urbaine et d’optimiser les processus d’observation. Nous avons également cherché à développer des pistes de travail complémentaires. Puis, afin de dépasser l’approche thématique, nous avons expérimenté des analyses multicritères de la qualité de vie sans omettre de discuter l’utilisation et les limites de cette méthode. Enfin, notons que la méthode développée ici est difficilement reproductible aujourd’hui mais explore les potentialités offertes par ces nouveaux jeux de données qui pourront, d’ici quelques années, être disponibles sur l’ensemble des territoires urbains.

L’ensemble des connaissances mobilisées à travers les différentes études thématiques et l’analyse multicritère, montre qu’il n’existe pas de prédisposition parfaite au regard de la qualité de vie. Ces développements ont permis de produire des images transversales et complémentaires de la qualité de vie quotidienne lyonnaise sans pour autant pouvoir désigner le « territoire parfait ». Nous avons au contraire montré l’existence de fortes compensations et d’agencements différenciés des atouts et des faiblesses. Finalement, c’est la compréhension de la structuration des différents critères de qualité de vie entre eux, en termes de complémentarité, de compensation, de cumul qui renseigne sur la qualité de vie en elle-même. Cette démonstration expérimentale permet, au final, de redéfinir des fondements théoriques concernant la notion de qualité de vie. Certains territoires sont marqués par de profondes nuisances responsables de la détérioration de la qualité de vie, d’autres au contraire cumulent d’importantes potentialités. Cependant, la majeure partie des cadres de vie se trouvent le plus souvent en situation intermédiaire, bénéficiant de qualités sans échapper à certaines nuisances (proximité de toutes les commodités urbaines mais exposés, en contre partie, au bruit et à la pollution atmosphérique, par exemple) ou déplorant certains manques au profit d’autres qualités (niveau de services relatif mais plus épargnés par les nuisances liées à la circulation automobile, par exemple). Cette palette de nuance relate la complexité des conditions de vie des habitants et révèle la « relativité » de la qualité de vie. L’approche objective permet de mettre en évidence et d’expliquer comment se structurent les critères de qualité de vie. Nous sommes parvenus à qualifier les caractéristiques du territoire sans pour autant qualifier, de manière formelle et globale, le territoire en lui-même. Cette appréciation demeure par conséquent relative à l’individu qui en fonction de ses spécificités (contexte familial, profil sociodémographique) et de son vécu (choix de vie, arbitrage) peut faire valoir l’harmonie ou l’inadéquation entre les caractéristiques de son cadre de vie résidentiel et son mode de vie ou ses aspirations propres.

Au-delà des portées méthodologiques et des résultats du diagnostic urbain, il convient de replacer cette thèse au sein de la dynamique professionnelle qui l’a portée. Ce travail a en effet été mené au sein de l’Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise dans le cadre d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE). Cette spécificité contractuelle mérite d’être soulignée dans la mesure où elle constitue un atout considérable pour l’élaboration de cette étude. Ce travail a permis à l’Agence d’urbanisme de Lyon de répondre à une volonté stratégique de s’imposer comme source propositionnelle d’innovation méthodologique. Cet intérêt pour la qualité de vie réside dans le fait que sa définition et l’exercice de sa mesure constituent, pour l’Agence d’urbanisme, un enjeu fondamental pour la connaissance et la gestion des territoires. Il est apparu essentiel que la prise en compte de la qualité de vie au sein des politiques publiques locales ainsi que dans les stratégies de communication soient relayées par les agences d’urbanisme. La problématique de qualité de vie a donc été considérée comme une notion opératoire devant être intégrée aux systèmes d’observations et de réflexions urbaines.

Cette expérience nous a permis de comprendre et de répondre à des exigences de résultats opérationnels. C’est pourquoi l’essentiel des diagnostics thématiques produits dans le cadre de ce travail ont trouvé un écho favorable auprès des différents chargés d’étude de l’Agence. Cette expérience nous a également permis d’établir un lien durable et bénéfique entre exigence scientifique et pragmatisme opérationnel. Cette convention CIFRE a ainsi été l’occasion d’associer, autour d’un projet commun, deux sphères qui souvent se tournent le dos. Le monde de la recherche a su prendre en compte, s’adapter et surtout répondre aux préoccupations du monde professionnel. Passerelle entre nécessité scientifique et application opérationnelle, cette recherche appliquée a montré sa capacité à répondre à des exigences qui de prime abord auraient pu ne pas concorder. Bien que les exigences temporelles n’étaient pas initialement concomitantes, car les processus de recherche sont souvent nécessairement plus long que les attentes professionnelles, elles ne se sont pas pour autant montrées incompatibles. Au contraire, cette méthode d’évaluation de la qualité de vie intra-urbaine a permis de formaliser un réseau de collaboration fructueux.

Compte tenu de l’intérêt qui lui a été portée à la fois par le CERTU (Centre d’Etudes sur les Réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques) et le réseau des agences d’urbanisme (FNAU), cette étude semble avoir une perspective d’avenir. Il apparaît clairement que ce travail, bien qu’étant un aboutissement en soi, ne s’achève pas ici. Les orientations de développement que connaît déjà cette expérimentation révèlent une réelle capacité des acteurs techniques à s’approprier cette méthode d’évaluation soit pour en assurer la promotion, soit pour entreprendre son adaptation à d’autres terrains d’études. Les villes de Marseille et de Brest projettent, par le biais de leurs agences d’urbanisme respectives, d’adapter cette méthode afin d’identifier et de valider à leur tour les critères de mesure de la qualité de vie de leurs habitants. Au sein du réseau des agences d’urbanisme, l’appropriation opérationnelle de cette méthode nommée la « méthode lyonnaise » constitue, à notre sens, une véritable réussite. De plus, une convention entre l’Agence d’urbanisme de Lyon et le CERTU a d’ores et déjà été signée afin de formaliser la réalisation conjointe d’un rapport d’étude sur cette méthode d’évaluation de la qualité de vie. L’Agence d’urbanisme souhaite ainsi, à partir de cette coproduction, valoriser le travail méthodologique de cette thèse. Le CERTU, qui a vocation de faire connaître les méthodologies dans le domaine de l’observation urbaine (Programme Acteur), souhaite de son coté intégrer et diffuser les procédés d’identification des critères expérimentés dans le cadre de ce travail. Ces différentes propositions nous donnent ainsi la chance de « faire vivre » cette méthode et de poursuivre notre itinéraire professionnel dans cette direction.

Ce travail permet enfin l’ouverture de nouvelles voies de recherches scientifiques. Cette thèse a volontairement axée son développement sur la qualité de vie quotidienne directement liée aux besoins de proximité, cependant, les champs d’interrogation demeurent encore nombreux. Des méthodes similaires peuvent être entreprises pour évaluer la qualité de vie des citadins, non plus au sein de leur cadre résidentiel, mais autour de leur lieu de travail. Un changement d’échelle peut également être envisageable, en n’analysant non plus l’espace de proximité mais un territoire plus vaste comme celui de l’agglomération par exemple. Nous pouvons présager que la recherche critériologique donnerait dans ce cas des résultats très différents. La qualité de vie peut également être envisagée dans le cadre d’un cheminement urbain spécifique comme celui des trajets entre le domicile et le travail par exemple. Cette problématique peut permettre d’interroger la qualité de vie de manière dynamique non plus au sein d’un ancrage spatial mais sur des linéaires de déplacement. Ces quelques pistes de travail montrent que les perspectives de recherche en la matière sont encore nombreuses et que la notion de qualité de vie demeure un champ exploratoire.