INTRODUCTION GENERALE

D’un point de vue pragmatique, l'odeur est définie au moins selon trois propriétés (ou caractéristiques) perceptives : Son intensité, dépendante de la concentration de la substance odorante dans l’air inspiré, est la dimension perceptive majoritairement étudiée (Duchamp et al., 1991; Patterson et al., 1993) ; sa valence hédonique ─ c'est-à-dire son caractère agréable ou désagréable ─ et enfin sa qualité qui peut être traduite par le nom usuel que l’on donne à l’odeur perçue mais qui reste la propriété la plus subjective de la perception olfactive car elle fait appel à des souvenirs plus ou moins disponibles dans notre mémoire, et n'est pas soumise à un apprentissage structuré ou systématique.

Pourtant, rien ne nous rappelle aussi bien des souvenirs qu’une odeur. Un lieu, une personne ou un événement précis de notre existence passée peut être associé à la présence (ou à la perception) d'odeur et il suffit parfois d’une infime quantité de substance odorante volatile pour provoquer en nous une sensation familière. Mais lorsqu’on nous demande simplement de nommer une odeur quelconque, notre enthousiasme disparaît pour laisser place au doute. Exposé au stimulus olfactif, le néophyte éprouve une difficulté à identifier, ou même à décrire son odeur : La qualification des odeurs souffre d’une déficience du vocabulaire (Engen, 1982).

Ainsi, ces dernières années ont vu naître des projets de grandes envergures visant à comprendre le pouvoir des odeurs sur des humains. La question est vaste, ambitieuse peut-être puisqu'il s'agit de décrire comment l’homme perçoit les odeurs de son environnement et ce qu’il peut en dire. Une solution consiste à explorer les réponses des sujets aux questions directes sur leurs perceptions afin d’en extraire des informations plus ou moins précises sur la perception olfactive, armés des outils de la psychophysique, voire de la linguistique. Mais, pratiquement, lorsque nous demandons à quelqu'un de sentir une odeur de banane, peut-on être sur qu'elle l’identifiera comme étant un odeur de banane ? Malheureusement, nous savons bien que dans ce genre d’exercice, il est bien difficile d’obtenir une réponse correcte du sujet et de plus, que sa réponse, si elle existe, soit commune à toute une population.

Le système récepteur olfactif est un récepteur / intégrateur qui permet de détecter et de discriminer (en théorie) au moins 10 000 molécules odorantes différentes (avec n récepteurs on a 2n combinaisons discriminantes : si n=100 alors le nombre de combinaisons vaut 1030, un nombre très supérieur à ce qui serait théoriquement nécessaire pour discriminer 10 000 odeurs). Le plus souvent, la perception d’une odeur de notre environnement ne résulte pas de la détection d’un seul composé chimique, mais de mélanges pouvant comprendre des dizaines voire des centaines de molécules odorantes (Laing & Jinks, 2001). Si nous rapprochons cette remarque au fait qu’il est difficile de caractériser une substance pure isolée, il paraît encore plus difficile de caractériser l’odeur résultante des mélanges moléculaires dans lesquels nous « baignons ». Pourtant, la majorité d’entre nous est capable de détecter l’odeur d’un pain chaud qui s’échappe d’une boulangerie, malgré l’odeur des pots d’échappements mêlée aux effluves de goudron chaud alors qu’un collègue de travail souffle la fumée de sa cigarette dans notre direction. Comment arrive t-on à trouver notre chemin dans le labyrinthe olfactif de notre quotidien ? Cette aptitude à extraire une information olfactive dans une scène odorante a été trop peu explorée et n'est pas expliquée jusqu'ici (ce qui représente une faille que les chercheurs en olfaction doivent explorer) (Laing & Francis, 1989; Laing & Livermore, 1992; Li & Hertz, 1999).

C'est dans ce cadre que nous avons cherché à développer notre connaissance de la perception olfactive.

Nous pensons que le sujet humain à une capacité naturelle d’extraction ou de segmentation olfactive qui est sous-estimée et que l’expérience olfactive au quotidien peut nous permettre d’acquérir des aptitudes olfactives beaucoup plus développées, en terme de détection, qui dépend de la quantité minimum suffisante pour déclencher la perception, en terme de discrimination qui représente l’aptitude à différencier les odeurs les unes des autres (qui est de loin notre aptitude la plus développée et c’est à cause de cette capacité extraordinairement puissante que nous pouvons espérer développer les autres aptitudes olfactives) et en terme de caractérisation qui implique les connaissances sémantiques nécessaires à la reconnaissance et à la dénomination, plus lointaine).