Présentation de nos travaux

Prenant acte de la difficulté que le sujet humain éprouve à discuter de la qualité des odeurs, nous constatons notre ignorance des caractéristiques qui permettraient de distinguer les odeurs. Force est de constater, découlant de cette difficulté, que malgré un grand nombre de tentatives de classifications (Godinot, 1999 pour une revue de la littérature), aucune n’est universellement reconnue. Ce constat ne peut que nous inciter à sonder de nouvelles dimensions, en restreignant ou en précisant les critères de classifications imposés aux sujets (comme par exemple unecatégorisation basée sur l’air de famille entre les odeurs). Ainsi, la première partie ce travail traitera de telles dimensions qui régissent l’espace des odeurs (c'est-à-dire la configuration mentale de la représentation du monde des odeurs) chez l’humain et qui ont été négligées jusqu’à présent. A partir des travaux sur « le champ des odeurs » de J. N. Jaubert (Jaubert et al., 1987), nous illustrerons nos aptitudes et nos limites dans l’organisation de l’espace des odeurs. Conscient de cette lacune, nous aborderons la question de la caractérisation des odeurs en explorant plus en avant les aspects linguistiques de la qualification des odeurs. Nous poserons l’hypothèse, entre autres, que l’information sémantique (associée à la perception de l'odeur) participe à l’organisation de notre espace olfactif.

Fort d’une meilleure compréhension de la composante linguistique dans la perception de la qualité des odeurs, nous poursuivrons dans un second chapitre par l’étude de la perception de la qualité odorante des mélanges odorants. La difficulté que l’on rencontre à caractériser les mélanges odorants, mêmes ceux constitués de deux ou trois éléments, provient du fait de la modification de leurs propres caractéristiques intensitives et qualitatives dans l’odeur résultant du mélange. S’il est entendu qu’au dessus de trois composantes moléculaires, l’odeur du mélange ne se complexifie plus (Moskowitz & Barbe, 1977), cela ne veut pas dire qu’il devient plus aisé de caractériser cette odeur pour autant. Il semble alors important de préciser ces phénomènes d’interactions qualitatives particuliers survenant dans les mélanges, faits exceptionnels dont l’analyse est nécessaire afin d’éclaircir les mécanismes perceptivo-cognitifs sous-jacents à ces sensations originales telles que l’émergence d’une nouvelle odeur ou la disparition partielle ou totale d’une des odeurs d’un mélange. Afin de minimiser la complexité des odeurs résultantes et rendre notre travail possible, nous nous sommes limités à n’étudier que des mélanges assez simples, binaires uniquement, c'est à dire mélangeant 2 molécules odorantes pures. Bien sûr, les mélanges que nous avons sélectionnés présentent des propriétés qualitatives particulières : Ils sont des exemples soit d'un phénomène de fusion qualitative autrement appelé « accord aromatique » soit, ou inversement, du phénomène de « masquage» ou neutralisation olfactive, mieux documenté par la littérature (Köster, 1971; Rouby & Holley, 1995; Pierce et al., 1996).

A la lumière de ces nouveaux résultats, il nous a semblé important de synthétiser les informations relatives aux interactions qualitatives de la littérature scientifique afin de les confronter à nos observations expérimentales. Ainsi, dans le troisième chapitre, nous avons d'abord rassemblé les principaux résultats du projet «Accord Fusion» mené en collaboration avec l’équipe « Arômes » de l’INRA de Dijon ainsi que les résultats d’une analyse réalisée sur les formulations « fruits » et « fleurs » de Poucher (Poucher, 1975). Cette étude nous a permis de poser et de redéfinir la notion d’accord aromatique elle-même et par suite de proposer de nouvelles hypothèses concernant la perception de la qualité dans les mélanges odorants.

Dès le début de ce travail, nous avons postulé que nos capacités à détecter, discriminer mais surtout à caractériser les odeurs pouvaient être considérablement accrues par un simple travail d’entraînement régulier. D’autre part, nous savons par notre expérience empirique des odeurs, par exemple en ouvrant notre réfrigérateur, qu’il est facile de déterminer « au nez » si tel fruit est suffisamment mûr pour être consommé ou si tel aliment n’est plus comestible car trop vieux. Les stimulus olfactifs auxquels nous nous référons ici sont tous des mélanges odorants complexes dont nous sommes tous plus ou moins capables d'extraire l’indice olfactif qui orientera notre comportement (décision) alimentaire.

Certains auteurs ont étudié l’effet d’apprentissage sur les capacités de détection de substances pures isolées ou en mélanges (Livermore & Laing, 1996). A l’instar de ces travaux, nous supposons que cette sensibilisation par la répétition du stimulus a une influence positive sur les capacités à la détecter dans un mélange odorant. Si tel est le cas, quelle conséquence cela a sur l'appréciation quantitative et qualitative de l’odeur de tels mélanges odorants ? Nous avons tenté de mettre en évidence les processus centraux (par électroencéphalographie) mis en jeux lors d’une telle activité (et impliqués dans le jugement qualitatif). Pour tester ces hypothèses, nous avons élaboré des modèles odorants (mélanges binaires) mimant l’altération d’une odeur alimentaire (beurre qui rancit) et nous y avons "sensibilisé" des sujets avec l'objectif de les rendre « experts » à ces différentes notes odorantes.