Expérience 1. Catégorisation et évaluation de 20 odorants du « champ des odeurs »

Objectifs de l'étude

Dès 1983, pour pouvoir décrire les arômes utilisés dans l’industrie cosmétique et agroalimentaire, Doré et Jaubert ont élaboré une liste de descripteurs des notes odorantes par un processus d’émergence empirique. Répondant à un besoin, ils développaient un outil de communication sur les odeurs selon une démarche instinctive et normalement simplificatrice. Cette démarche réductionniste a naturellement conduit à des rapprochements, à des associations et à des classifications de substances odorantes.

La technique utilisée, censée simuler cette activité réductionniste naturelle, a donc été déployée expérimentalement et restreint le nombre de termes utilisés pour identifier et décrire les molécules odorantes. Pour assurer la reproductibilité de la référence, les auteurs ont choisi de faire reposer leur système sur des échantillons odorants représentés par des corps purs plutôt que sur des mélanges aromatiques.

L’auteur procéda en trois étapes :

  • Etape 1 : Sélection d’un échantillon significatif de molécules odorantes

Les auteurs ont d’abord recueilli les différentes caractéristiques de la totalité des composés odorants et les principales expressions utilisées pour les caractériser. Il s’agissait de rassembler et classer les informations dont on dispose sur les composés odorants. Il était nécessaire de délimiter l’espace (les corpus étudiés) exploré et les auteurs choisirent de faire un inventaire relatif aux molécules odorantes usuelles, les produits naturels utilisés en parfumerie et en aromatique. Au total, 1396 substances ont été ainsi retenues.

  • Etape 2 : Sélection des descripteurs sémantiques

Il s’agissait de constituer un référentiel susceptible d’apporter une correspondance ‘archétype sémantique’ – ‘archétype moléculaire’ afin de parvenir à une liste représentative limitée de substances les plus distinctes possibles les unes des autres.

L’étude se limitait aux seuls composés utilisés dans la profession de la parfumerie et de l’aromatique : Croisement du contenu des informations de plusieurs documents tels que « Perfume and Flavor Chemicals » (Arctander, 1969), ‘«’ ‘ le Répertoire des substances artificielles de l’aromatique examinées par les experts du conseil de l’Europe dans le cadre de recommandations concernant la toxicologie ’ ‘»’, ou encore la compilation du TNO présentant 35000 molécules odorantes identifiées dans 142 produits alimentaires naturels de base (Van Straten, 1977).

En ce qui concerne les descripteurs sémantiques, les auteurs élaborèrent un inventaire des termes employés tant en France que dans les pays anglo-saxons à partir de divers corpus tels que les termes de diverses classifications empiriques, des répertoires et catalogues de produits odorants, des cahiers de parfumeurs et aromaticiens, des descripteurs de négociants et des travaux universitaires sur des produits odorants. Trois cents termes en tout ont été recensés. Ce nombre a été comparé avec ceux obtenus par d’autres auteurs (650 pour Harder, 1975 ; 800 pour Dravnieks, 1985 ; 96 pour Arctander, 1960) ce qui permit d’éliminer des synonymes, de rassembler les notes odorantes voisines (exercice réalisé par des sujets experts : parfumeurs, aromaticiens…). A la fin de cet exercice, 64 descripteurs élémentaires ont donc été filtrés et ont été retenus.

  • Etape 3 : Adéquation entre molécules et descripteurs étalon.

Les 1396 composés sélectionnés ont été parfaitement décrits grâce aux termes retenus. La recherche de l’adéquation des champs structuraux et odorants a permis d’extraire 41 archétypes moléculaires dont les 41 descripteurs les plus fréquemment utilisés ont servi à établir les bases du « champ des odeurs de Jaubert » présenté sur la figure 1.

Fig. 1 : Présentation de la structure plane et tridimensionnelle du « champ des odeurs ». Le schéma illustre une organisation de l’espace des odeurs de la totalité des « notes odorantes » existantes dans les domaines de la parfumerie et de l’aromatique. Au total, neuf pôles et dominantes balisent l’espace des odeurs et permettent de reconstituer la totalité des catégories olfactives.

Indéniablement, la structure présentée ne laisse aucun doute sur l’existence d’une organisation hiérarchisée de l’espace des odeurs en restituant très objectivement l’essentiel des différents points communs reliant entre elles les plus grandes catégories « théoriques » des notes odorantes. Selon Jaubert, il existe 9 grandes catégories odorantes (9 familles de notes odorantes). La totalité des évaluations de cette étude n’a été réalisée que par des experts provenant des domaines de la parfumerie et de l’aromatique. Ce mode opératoire ne nous permet pas de prévoir ou d’estimer son « applicabilité » à la perception des sujets néophytes (i.e. non experts), c’est à dire à la catégorisation de ces odeurs ainsi qu’à la terminologie employée pour les décrire.

C’est la raison pour laquelle, nous avons cherché à savoir si des odorants « du champ des odeurs » présentés sans indication sémantique pouvaient être regroupés naturellement selon une organisation comparable et si les qualificatifs verbaux produits naturellement pouvaient se rapprocher des termes fournis par Jaubert et al.

Nous avons sélectionné 20 molécules odorantes du « champ des odeurs » que nous avons soumis à un grand nombre de volontaires afin qu’ils réalisent une tâche de catégorisation libre. Notre objectif était de tester la validité « écologique » de l’organisation proposée dans une population de sujets non experts.