1.1.3 Discussion

La procédure que nous avons utilisée a permis aux sujets de s’affranchir de certaines contraintes relatives aux critères de catégorisation comme par exemple l’absence d’un indice sémantique (nom de l’odeur) mais aussi la liberté du nombre de groupes et du nombre d’odeurs par groupes. De plus pour décrire les groupes, les sujets s’exprimaient par écrit, ce qui leur a permis de se laisser aller à un type de description que l’on ne donne pas forcément à l’oral (autocensure due au caractère intime généré par la perception des odeurs).

D’autres points sont à remarquer : Afin de limiter le phénomène d’adaptation (Köster, 1991), il nous a paru normal d’imposer un temps de pause de 20 secondes entre chaque flairage. Cependant, il faut préciser que ce temps imposé et légèrement en dessous de la limite imposé par Köster pour s’assurer d’une remise à zéro de l’organe récepteur, durée estimée à environ 30 secondes. Mais il fallait aussi prendre en considération l’aspect mnésique de la perception olfactive, c'est-à-dire leur capacité de rétention de l’information sensorielle. En effet, pour s’assurer que les sujets puissent comparer les odeurs entre elles, nous n’avons imposé qu’un intervalle de temps entre flairages relativement court. Toutefois, dans des épreuves telles que la reconnaissance ou l’identification des odeurs, il est nécessaire de prendre en considération d’avantage la composante mémorielle que le phénomène d’adaptation sensorielle (Fritjers, 1977). Il ne s’agit toutefois ici que d’un compromis et nous n’avons pas testé son opportunité dans nos résultats.

En se basant sur la totalité des variables que nous avons mesurées (nombre de groupes formés, nombre d’odeurs par groupe), les sujets qui ont participé à la tâche catégorisation se sont montrés homogène. Aucun sous-groupe n’a été mis en évidence sur la base des résultats des regroupements réalisés. Les 7 groupes qui sont apparus à l’issue de la taxinomie hiérarchique ascendante constituent un noyau catégoriel autour duquel les sujets ont finalement peu varié.

La taxinomie hiérarchique associée à l’analyse factorielle des correspondances nous permet d’expliquer la quasi-totalité des regroupements réalisés. De plus, en superposant les descripteurs les plus marquants des catégories, nous faisons ressortir les grands traits qui organisent l’espace des odeurs.

Tout d’abord, un axe hédonique caractérisé oppose les odeurs perçues comme désagréables (MET, ALL, SCA étendu à GEO et HEX) des odeurs dites agréables symbolisées par CIT, GER, LIM et par extension par ANE.

Ensuite, les dimensions organisatrices deviennent « secondaires » et les qualificatifs utilisés pour décrire les groupes nous permettent de penser que l’axe 2 isole les odeurs provoquant une sensation de fraîcheur où la note mentholée joue un rôle important et que l’axe 3 isole les odeurs considérées comme douces dans laquelle une note « sucrée », même s’il s’agit d’un abus de langage ou simplement d’une association d’idées (doux au nez = sucré au goût), joue un rôle primordial.

En comparant l’organisation du champ des odeurs de Jaubert à l’organisation de l’espace olfactif tel que les sujets de notre étude l’ont perçu, nous pouvons penser que des sujets naïfs sont tout à fait capables de réaliser des catégories d’odeurs sur des bases perceptives et qu’ils semblent également aptes, avec plus ou moins de précisions, à en identifier la famille.

En effet, en sélectionnant les vingt odorants parmi les 45 présents dans le champ des odeurs, nous avions couverts au moins 8 pôles et dominantes sur 9 du « champ des odeurs » (tous sauf le pôle amine, voir figure 1) : les pôles hespéridé, soufré, pyrogéné, doux et les dominantes fruitée, grasse et sylvée.

Nous avons remarqué que les sujets testés ont été capables de réaliser 7 groupes en moyenne que nous avons pu attribuer à différentes catégories (à l’aide des descriptions fournies) que nous avons détaillées dans la partie résultats.

Comme dans d’autres études, nos résultats montrent que la dimension principale qui organise cet espace olfactif est un axe hédonique, qui permet dans un premier temps une première partition du lot d’odeurs fournies (Schiffman, 1977). Ensuite, les sujets cherchent à scanner une nouvelle fois les odorants de chacune de deux « méta-catégorie » afin d’effectuer de nouvelles partitions. Habituellement, les deuxième et troisième axes organisateurs concernent l’intensité et la familiarité des odeurs (Rouby & Sicard, 1997), mais dans notre expérience, nous avions tenté de nous affranchir de ces variables en précisant aux sujets de ne pas les considérer dans leurs jugements. Enfin, un quatrième organisateur serait qualitatif et permettrait la création de catégories selon des critères plus élaborés. Il semble que la présence de certain odorants, extrêmement familier, ait permis aux sujets d’articuler leur mode opératoire. Par exemple, la présence du menthol, du citral et de la vanilline permet la création d’au moins 3 sous-catégories du côté des odeurs agréables, et celle du scatole et du méthional induit 2 sous-catégories du côté des odeurs désagréables.

Nous nous devons néanmoins de remarquer que les sujets rencontrent plus de difficultés à décrire les odeurs qu’à les regrouper selon leurs ressemblances et bien que leurs productions verbales nous permettent de retracer les grandes lignes de l’organisation des odeurs, une importante variabilité des descriptions est à souligner. En effet, si la terminologie fournie par Jaubert pour définir les différentes catégories du « champ des odeurs » a été judicieusement choisie, et à juste titre, n’oublions pas que ce choix a été effectué par des professionnels ; nous avons pu véridier que ce choix ne semble pas spontané pour des sujets non entraînés.