2.1 EXPERIENCE PRINCIPALE

2.1.1 Objectifs de l'étude

Notre expérience commune des odeurs se passe le plus souvent en dehors de notre conscience. Les odeurs sont fréquemment subies, parfois appréciées, et moins souvent nommées. De nombreux auteurs ont souligné la difficulté et le caractère approximatif de la dénomination des odeurs, et la relation entre les représentations mentales des odeurs et le langage est toujours problématique (pour une revue voir (Richardson & Zucco, 1989).

L’analyse linguistique des verbalisations associées aux odeurs en français (David, 1997, 2002) montre qu’elles comportent peu de noms spécifiques, se référant à l’odeur comme étant une propriété d’un « objet source » (odeur de…), et beaucoup plus souvent encore à son effet sur le locuteur. Les odeurs ne se présentent donc pas comme des entités abstraites mais :

  1. Soit comme des effets inséparables de la subjectivité de celui qui perçoit.
  2. Soit comme des propriétés des objets qui les engendrent.

Un corollaire du marquage subjectif est l’importance de la dimension hédonique dans la perception des odeurs : Toutes les études qui ont tenté de faire apparaître une organisation des odeurs à partir de leurs similitudes perceptives montrent que celles-ci jouent un rôle secondaire par rapport à un organisateur hédonique principal, qui oppose les mauvaises odeurs aux autres (Rouby & Bensafi, 2002). Selon Berglund (Berglund et al., 1973), les espaces de similitude entre odeurs sont tellement différents d’un individu à l’autre que la seule dimension commune est hédonique ; par ailleurs, aucune loi « générale » régissant l’organisation perceptive n’a été mise en évidence, même si la physicochimie permet d’en éclairer certains aspects (Chastrette, 2002).

Pourtant, on ne peut pas affirmer que les odeurs sont dépourvues d’une organisation sémantique plus élaborée que la dimension hédonique, et l’on sait par ailleurs que sous une forme ou une autre, les connaissances sémantiques participent non seulement à la mémorisation ou à l’identification (Larsson, 1997), mais aussi à la discrimination des odeurs (De Wijk & Cain, 1994).

Si l’existence de connaissances sémantiques associées aux percepts olfactifs ne fait pas de doute, l’organisation de ces connaissances est très mal connue. Les travaux déjà cités laissent supposer que cette organisation est très variable d’un sujet à l’autre ; contrastant avec le domaine visuel où des représentations partagées, collectives et sur-apprises sont très reproductibles et organisées en catégories (Rosch et al., 1976). On constate que le domaine olfactif est moins structuré et « collectivement » partagé, et c’est d’ailleurs pour pallier cette difficulté que l’analyse sensorielle a développé ses méthodes.

Dans cette étude nous avons voulu, grâce à une tâche de catégorisation, comparer une situation où seule l’information perceptive est disponible, avec une situation où seuls les noms d’odeurs sont fournis. Les recherches en psychologie cognitive ont montré que la perception ne dépend pas seulement de l’entrée sensorielle actuelle (« bottom-up 1  ») mais aussi des connaissances déjà mémorisées (« top-down 2  »).

Notre hypothèse était que l’organisation des catégories serait différente dans les deux situations, de même que leur expression linguistique, traduisant un effet «top-down» des connaissances sur la catégorisation produite.

Parallèlement, nous avons voulu comparer deux situations de catégorisation : l’une à base perceptive, avec une situation où les mêmes odorants étaient étiquetés d’un nom de source odorante.

Notes
1.

Bottom-up fait référence à une voie ascendante selon laquelle la perception influence la cognition.

2.

Top-down fait référence à l’influence de la cognition sur la perception olfactive selon une voie ascendante.