2.1.2 Matériel & méthode

  • Sujets

Soixante-six sujets féminins uniquement (car les femmes possèdent une meilleure sensibilité olfactive) répartis en 3 groupes de 22 sujets ont participé à l’expérience. Leur moyenne d’âge était de 24 ans (± 4.5 ans) et 23 d’entre elles étaient fumeuses. Sur 66 sujets, 58 étaient droitières, 4 gauchères et 2 ambidextres.

  • Stimuli

Trois jeux de matériel expérimental à classer ont été utilisés :

  1. Seize flacons contenant chacun un odorant familier, chaque flacon étant étiqueté avec le nom de l’odeur, c'est-à-dire, le nom de la source à laquelle l’odeur fait référence.
  2. Seize flacons contenant chacun l’un de ces 16 mêmes odorants étiquetés uniquement avec un numéro (code).
  3. Seize étiquettes portant chacune l’un des « noms » utilisés en 1).

Les seize odorants utilisés sont tous des arômes commerciaux.

Tab. 4 : Liste des composés odorants utilisés dans les expériences de catégorisation et de caractérisation.
Notes odorantes Dilutions (vol/vol)
Vanille 1/100
Lavande 1/100
Eucalyptus ◙ 1/100
Fuel 1/100
Poisson 1/100
Violette 1/100
Ail 1/100
Herbe 1/100
Orange 1/100
Pomme 1/100
Cannelle 1/100
Citron 1/100
Anis 1/100
☼ Mûre ◙ 1/10 ☼
Chlorophylle ◙ 1/100
Menthe 1/100

Les composés sont listés avec leur rapport de dilution volume à volume (vol/vol). Hormis la mûre (☼) qui a été diluée dans du diéthylphtalate (Sigma), les odorants ont été dilués dans de l’huile minérale (Sigma).Trois arômes sur les 16 présentés ne sont constitués que d’une seule substance chimique pure (◙), c’est le cas de «Eucalyptus» (1,8-cinéole), « Mûre » (pentadécalactone) et « Chewing-gum » (L-carvone). [Ce jeu d’odeurs a été proposé par Sicard et al. en vue de la préparation d’un test olfactif clinique].

Procédure expérimentale

Ce matériel expérimental introduit 2 variables :

  • Présence ou absence de stimulus olfactif ;
  • Présence ou absence du nom de la source odorante dans les conditions avec stimulus olfactif.

Les différentes conditions seront désignées comme suit :

Tab. 5 : Présentation des 3 conditions expérimentale. Dans la condition « avec noms », les odorants sont présentés accompagnés du nom de la source auxquels ils font référence ; dans la condition « perception », seuls les odorants sont présentés et dans la condition « imagerie », seuls le nom des sources odorantes est fourni sur des étiquettes.
Avec stimulus olfactif Sans stimulus olfactif
‘Avec Noms’
Identification des odorants
par le nom de la source
auxquels ils se réfèrent.
‘Perception’ (sans les noms)
Identification des odorants
par un numéro de code
‘Imagerie’ (‘étiquettes’)
Identification des stimuli
par le nom de la source

Dans les conditions « Avec noms  » et « Perception », nous avons demandé aux sujets d’effectuer une tâche de catégorisation libre : il s’agissait de regrouper les odeurs qui se ressemblaient en fonction de « l’air de famille » entre les odeurs. Dans la condition « Imagerie », les regroupements devaient être réalisés sur la base des ressemblances des odeurs évoquées par le nom indiqué sur l’étiquette (généralement, le nom de la source odorante elle-même : par exemple le nom ‘Pomme’ pour ‘odeur de pomme’). Les consignes données aux sujets dans chaque condition expérimentale sont présentées ci-après :

- Consigne donnée aux sujets dans la condition expérimentale « Avec Noms  » :

“ Voici un ensemble de 16 flacons étiquetés, contenant chacun une odeur différente; nous vous demandons de les regrouper selon leurs ressemblances. Vous pouvez constituer autant de groupes que vous le souhaitez. Un groupe peut comprendre autant de flacons que vous le voulez.

Vous pouvez flairer un même flacon plusieurs fois, mais il ne doit pas y avoir plus d’un seul flacon ouvert au même moment.

Quand vous aurez constitué les groupes, inscrivez sur la feuille jointe les noms des flacons qui le constituent, et une brève description de chaque groupe ”

Après la tâche de catégorisation et de description des groupes réalisés, les sujets devaient flairer à nouveau chaque flacon afin d’évaluer plusieurs paramètres tels que l’intensité, la familiarité, la typicité et l’hédonicité en attribuant un chiffre entre 1 (pas du tout intense, familier…) et 9 (extrêmement intense, familier…).

- Consigne donnée aux sujets dans la condition expérimentale « Perception » :

“ Voici un ensemble de 16 flacons numérotés, contenant chacun une odeur différente; nous vous demandons de les regrouper selon leurs ressemblances. Vous pouvez constituer autant de groupes que vous le souhaitez. Un groupe peut comprendre autant de flacons que vous le voulez.

Vous pouvez flairer un même flacon plusieurs fois, mais il ne doit pas y avoir plus d’un seul flacon ouvert au même moment.

Quand vous aurez constitué les groupes, inscrivez sur la feuille jointe les noms des flacons qui le constituent, et une brève description de chaque groupe ”

Après la tâche de catégorisation et de description des groupes réalisés, les sujets devaient flairer à nouveau chaque flacon afin d’évaluer plusieurs paramètres tels que l’intensité, la familiarité et l’hédonicité en attribuant un chiffre entre 1 (pas du tout intense, familier…) et 9 (extrêmement intense, familier…), puis tenter d’identifier par un ou plusieurs termes, l’odeur présentée dans les flacons. Pour finir, les sujets devaient évaluer la typicité de l’odeur par rapport au nom de la source réelle de l’odeur fournie.

- Consigne donnée aux sujets dans la condition expérimentale «  Imagerie  » :

“ Voici un ensemble de 16 étiquettes portant des ‘noms d’odeurs’, nous vous demandons de les regrouper selon la ressemblance des odeurs qu’elles vous suggèrent.

Vous pouvez constituer autant de groupes que vous le souhaitez.

Un groupe peut comprendre autant d’odeurs que vous le voulez.

Quand vous aurez constitué les groupes, inscrivez sur la feuille jointe les noms des étiquettes qui le constituent, et une brève description de chaque groupe. ”

Après la tâche de catégorisation et de description des groupes réalisés, les flacons odorants utilisés dans la consigne « Perception  » étaient fournis aux sujets pour leur permettre d’évaluer l’intensité, la familiarité, l’hédonicité des odeurs et qu’ils les identifient. Enfin, ils devaient évaluer la typicité selon le même principe que dans la condition « Perception ».

Tab. 6 : Récapitulatif des trois conditions expérimentales.
Condition Tâche 1 Tâche 2 Tâche 3 Tâche 4
Perception
avec noms
Catégorisation
Flacons odorisés
+
Nom de la source
Description
des groupes
- Intensité
- Familiarité
- Hédonicité
- Typicité
 
Perception
seule
Catégorisation
Flacons odorisés
numérotés
Description
des groupes
- Intensité
- Familiarité
- Hédonicité
+
Identification des odeurs
- Typicité
(par rapport au nom de la source)
Imagerie
olfactive
Catégorisation
Etiquettes
’nom de la source’
Description
des groupes
- Intensité
- Familiarité
- Hédonicité
Identification des odeurs
(flacons odorants numérotés)
Typicité
(flacons + nom de la source)

Dans la condition Perception « Avec noms », les sujets devaient regrouper les odeurs selon leurs ressemblances, puis décrire chacun des groupes réalisés, ensuite évaluer l’intensité, la familiarité, l’hédonicité et la typicité des odeurs par rapport au nom de la source odorante à laquelle l’odeur faisait référence. Dans la condition « Perception seule », les 2 premières tâches étaient identiques à celles de la condition « Avec Noms » mais en plus des 4 paramètres à évaluer, les sujets devaient tenter d’identifier chacune des odeurs après quoi nous fournissions les noms des sources odorantes pour l’évaluation de la typicité. Dans la condition « Imagerie olfactive », les sujets ne réalisaient les groupes qu’à partir des noms des sources odorantes inscrites sur des étiquettes. Nous ne fournissions les flacons odorants numérotés qu’après la catégorisation et la description des groupes achevés, enfin, ils terminaient par l’évaluation de la typicité avec les flacons étiquetés des noms de sources odorantes.

  • Traitements des résultats

- Analyse des classifications réalisées :

Pour chaque condition, le nombre de groupes total a été comptabilisé ainsi que le nombre de groupes constitués d’une seule odeur ou étiquette (élément isolé). Ce nombre de classes uniques a été utilisé par la suite comme un indice de difficulté de regroupement : un sujet qui a des difficultés à regrouper deux odorants aura tendance à réaliser deux groupes distincts restreints plutôt qu’un seul groupe plus global.

- Arborisation des regroupements réalisés :

Les résultats de la tâche de catégorisation ont été traités par un programme informatique (Guénoche & Garreta, 2001) qui génère une organisation topologique des groupements émergeant à partir de données individuelles. La méthode de calcul est fondée sur les arbres de similarité additifs, qui évalueent des scores d’association de paires d’objets (Sattah & Tversky, 1977) et représentent les objets comme les feuilles d’un arbre de manière à ce que la distance entre deux feuilles reflète la ressemblance entre les deux objets. Le logiciel fournit des critères permettant d’évaluer la qualité de la représentation fournie. Dans cette expérience, par souci de précision, nous n’avons considéré comme « robuste » que les regroupements reproduits avec 95 % de certitude ou plus.

- Analyse des verbalisations :

Nous avons mené une analyse sémantique et une analyse référentielle sur l’ensemble des données. La première est une analyse linguistique, qui permet d’appréhender de quelle manière les sujets parlent ; la seconde, à base psycholinguistique, est une analyse de contenu, elle permet d’appréhender de quoi les sujets parlent.

  • Analyse des expressions linguistiques de types sémantiques

L’analyse sémantique que nous avons menée est fondée sur l’hypothèse des « types » sémantiques, proposée par Godard & Jayez (Godard & Jayez, 1993, 1996, 1999), à la suite de Vendler (Vendler, 1967), et Marandin (Marandin, 1984, 1984, 1992). On peut retenir de la typologie proposée par les auteurs et du travail mené par Flaux et Van de Velde (Flaux & Van de Velde, 2000) les types suivants : le type « événement » avec le sous-type « activité », le type « objet » avec deux sous-types « objets naturels », « objets artefactuels », le type « propriété », le type « période ».

Dans ce corpus particulier, nous n’avons finalement considéré que les types « propriété » (douceur, fraîcheur) et « objet » (vanille, fruit, médicament), lequel rassemble deux sous-types : le type « objets naturels » (fleur, cannelle, vanille, fruit) et le type « objets artefactuels » (carburant, parfum, bonbon, médicament). Les adjectifs relèvent eux du type « propriété » (agréable, frais, fort, comestible). Signalons que « propriété » et « objet » sont les deux types sémantiques les plus représentés (plus de 90 % des occurrences dans les trois conditions), les autres types (« événement » (picotement), « période » (printemps), etc.), apparaissent de manière marginale.

  • Analyse des expressions linguistiques de types référentiels

L’analyse référentielle consiste à ranger les termes en fonction des domaines de connaissance auxquels ils sont associés. Les catégories ont été isolées sur la base des hypothèses que nous souhaitons explorer : « dimension » hédonique, « dimension » d’intensité, classification des odeurs en prise avec la classification des objets et des pratiques auxquelles elles sont associées.

Dans ce corpus, nous avons distingué les catégories suivantes : « hédonique » (agréable, douceur, dégoût, écoeurant, piquant), « intensité » (fort, faible, léger), « nature » (citron, agrume, floral, campagne, maritime), « alimentation » (bonbon, repas, assaisonnements), « pollution » (essence, pot d’échappement), « frais » (rafraîchissant, qui dégage le nez).

Les catégories « hédonique », « intensité », « nature », « alimentation » sont les plus représentées (au moins 10 % d’occurrences dans une des trois conditions, et plus de 72 % du total).

Les effets de la condition (3 conditions) sur les regroupements réalisés et sur les types d’expressions linguistiques effectuées sur ces regroupements par les sujets ont été testés à l’aide d’analyses de variance (ANOVA). Les comparaisons de moyennes (a posteriori) ont systématiquement été réalisées à l’aide du test t de Student avec un seuil de significativité fixé à 5%.

  • Analyse des évaluations psychophysiques :

Les moyennes des évaluations psychophysiques (Intensité, Familiarité, Hédonicité, Typicité) ont été calculées pour l’ensemble des sujets dans les trois conditions.

- Analyses Multivariées (MDS : Multi Dimensional Scaling) :

Cette méthode a été introduite par Shepard (Shepard, 1962) et Kruskal (Kruskal, 1964) et permet de représenter une configuration spatiale des stimuli à partir des cooccurrences entre stimuli au sein d’un même groupement. Cette matrice de cooccurrences est ensuite considérée comme une matrice de similitude et permet de projeter sur un plan la proximité entre les odorants. D’autre part, nous avons calculé les coefficients de corrélation entre MDS et évaluations psychophysiques afin de déterminer les facteurs explicatifs des regroupements réalisés.