2.3 Discussion générale

Chez l’humain, l’existence d’une aptitude d’imagerie olfactive est depuis quelques années une question très discutée (Lyman & McDaniel, 1986; Schab, 1991; Herz & von Clef, 2001). Nous savons peu de chose sur la gestion de ces « entités » et comment elles s’organisent en mémoire. Des travaux récents montrent qu’une partie au moins de la population est capable d’imagerie olfactive, c'est-à-dire d’évoquer mentalement une odeur à partir d’un nom (Bensafi et al., 2003), et qui plus est, que cet exercice mental a un effet descendant (top-down) sur les seuils de détection de l’odeur imaginée (Djordjevic et al., 2004).

Si l’expérience complémentaire que nous avons réalisée ne peut entièrement rompre le débat quant à la validité de l’imagerie mentale olfactive, elle a montré que la consigne donnée aux sujets peut inciter à effectuer la tâche demandée (i.e. imaginer mentalement une odeur, comme une image visuelle). Pour preuve, l’intense corrélation positive observée entre intensité perçue et évaluation de l’hédonicité dans les deux conditions ‘olfactives’ en comparaison d’une condition ‘visuelle’ (figure 17). Comme il a déjà été montré dans plusieurs études, il apparaît clairement que les sujets ont ‘manipulé’ des objets similaires dans les conditions ‘perception’ et ‘imagerie olfactive’ (Carrasco & Ridout, 1993) et nous avons par la suite considéré que dans le cadre de l’expérience principale, la condition ‘étiquette’ associée à la consigne stipulant un exercice d’imagerie mentale olfactive a incité les sujets à imaginer les odeurs suggérées par les noms d’objets sources inscrits sur les étiquettes.

Dans ces conditions, nous avons remarqué les catégories d’odeurs imaginées sont très différentes de celles des odeurs perçues : pour ces dernières il apparaît un groupe de mauvaises odeurs : [Ail - Fioul - Poisson] et un groupe [Citron - Orange]. Dans la condition d’imagerie, les catégories fiables sont au nombre de 3, ce qui indique un meilleur accord inter-sujets, avec un groupe floral [Violette - Lavande], et un groupe épices [Cannelle - Vanille], un groupe de 4 fruits [Mûre – Pomme – Orange – Citron].

L’imagerie permet de regrouper significativement 8 odeurs contre 5 en perception, mais surtout, le groupe des mauvaises odeurs n’apparaît plus comme tel.

En ce qui concerne les verbalisations associées, nous avons remarqué une double dissociation entre les conditions : D’une part, il y a eu d’avantage d’expressions linguistiques de type sémantique ‘objet’ cités dans la condition perception avec une prédilection pour des référents de type ‘naturels’; d’autre part, plus d’expressions linguistiques de type sémantique ‘propriétés’ citées en imagerie sans référent privilégié. Tout se passe donc en condition « Perception » comme si l’absence de noms créait une sorte de besoin de se référer à une source, donc une obligation d’identifier l’odeur. En effet, lorsque l’odeur n’est plus présente (condition « Imagerie »), les expressions linguistiques de type sémantique ‘propriété’ ont été dominantes, ce qui confirme cette première observation. Notons aussi que dans la condition « Imagerie », la valence hédonique n’est plus organisatrice de catégories. Cependant, cela pourrait s’expliquer par le résultat relatif à la variabilité hédonique observée entre les conditions ‘perception’ et ‘Imagerie’ lors de l’expérience préliminaire (fig. 14), puis confirmée par les résultats de l’expérience complémentaire (fig. 18). En effet, certain odorants semblent susciter plus de variabilité hédonique qui pourrait être responsable de la disparition de l’axe organisateur.

En effet, en analysant plus précisément les résultats relatifs à la dimension hédonique utilisée pour décrire les groupes d’odeurs, nous avons pu mettre en évidence l’importance maintenue de la dimension hédonique lorsque la stimulation olfactive est présente, confirmant l’idée selon laquelle l’axe hédonique reste primaire en perception olfactive. Nous pouvons même ajouter que les sujets orientent leurs jugements hédoniques relatifs aux odeurs de manière négative par rapport à leur imagination. La condition ‘Avec noms’ permettant dans une certaine mesure, d’équilibrer et de relativiser la différence observée (Herz & von Clef, 2001)

Par rapport à la situation de perception, l’étiquetage de l’odeur par un nom d’odeur (le plus souvent, celui de sa source logique) améliore l’accord inter-sujets, 3 groupes apparaissent au lieu de 2, concernant 7 odeurs au lieu de 5. Comme en condition « Imagerie », la présence de noms oriente les verbalisations vers des expressions linguistiques de type ‘propriétés’ des odeurs plutôt que vers leur source : Les sujets, affranchis du poids de l’identification, se sont concentrés sur une description plus élaborée des catégories d’odeurs formées. On a constaté également une grande similitude de groupements entre les deux conditions où l’odeur est perçue : 2 groupements sont communs, dont celui des désagréables, et on a vu apparaître un nouveau groupe (Herbe-Violette) dans la condition « Avec noms » que rien ne permettait de prévoir dans la condition « Perception ».

Ainsi, la seconde partie de l’expérience principale a permis de confirmer des résultats récents sur les effets descendants (top-down) des connaissances sémantiques sur les ressemblances perçues (Herz, 2003).