2.4 Les théories de la perception de la qualité odorante

2.4.1 La théorie moléculaire ou chimique ou théorie des «odotopes»

Cette théorie propose existence d’une relation entre la structure d'une molécule et sa qualité odorante. Cette théorie a été proposée pour la première fois par Pauling en 1946 (Pauling, 1946), puis elle a été approfondie par Moncrieff (Moncrieff, 1949) et Amoore (Amoore, 1970). L'hypothèse sous-tendant cette théorie est que la qualité odorante d'une molécule est due à sa forme moléculaire, à son arrangement stérique, à ses groupes fonctionnels.

Ainsi, selon cette théorie chimique, un récepteur aux odeurs serait spécifique d'une molécule ou d'un très petit nombre de molécules fortement liées du point de vue de leur structure. La reconnaissance d'une molécule odorante par un récepteur aux odeurs se ferait selon le principe de la « serrure et de la clé ». La structure moléculaire reconnaît le récepteur aux odeurs et − selon cette théorie est responsable de la qualité odorante de la molécule est appelée «odotope».

Lorsqu'en 1991, Buck et Axel mettent en évidence que les récepteurs aux odeurs forment une grande famille comportant environ 1000 membres (Buck & Axel, 1991), l'hypothèse selon laquelle chaque récepteur aux odeurs ne reconnaît qu'une caractéristique structurale très précise semble confirmée. La théorie selon laquelle chaque récepteur aux odeurs est spécifique d'un odorant ou d'un très petit nombre d'odorants est alors renforcée. De plus, puisque les gènes appartenant à une même sous-famille de récepteurs aux odeurs ont des séquences d'acides aminés très proches, il est proposé que les récepteurs aux odeurs d'une même sous-famille reconnaissent des molécules odorantes qui ont elles aussi des structures très proches (Buck & Axel, 1991). Un tel lien a récemment été mis en évidence en stimulant des rats à l’aide d’une série d’odorants qui différaient par la longueur de leur chaîne carbonée (une série d’aldéhydes). Les auteurs (Johnson et al., 2004) ont montré une spécificité de la zone ventrale du bulbe, zone qui reçoit principalement les projections correspondant récepteur olfactif I7.

Suite à la découverte en 1993 de l'organisation de l'expression des récepteurs aux odeurs selon quatre zones dans l'épithélium olfactif (Ressler et al., 1993; Vassar et al., 1993), l'hypothèse suivante est avancée. Etant donné que les gènes appartenant à une même sous-famille de récepteurs aux odeurs sont exprimés au sein de la même zone, les molécules odorantes qui ont des structures stériques voisines activent une seule et même zone de l'épithélium olfactif.

Depuis 1998, diverses études ont permis de cloner et d’exprimer des gènes codant pour des récepteurs aux odeurs afin de déterminer la gamme de molécules odorantes à laquelle ils répondaient (Krautwurst et al., 1998; Zhao et al., 1998; Malnic et al., 1999; Araneda et al., 2000; Kajiya et al., 2001). D'après la théorie précédente, les chercheurs pensaient trouver, pour chaque récepteur aux odeurs étudié, une molécule odorante bien particulière capable de l'activer, ou du moins un petit nombre d'odorants possédant une caractéristique chimique voisine. Or les résultats de ces différents travaux de recherche ne confirment pas ces hypothèses. On notera que les principes d’encodages, reposant sur une combinatoire d’interactions et proposés par l’équipe d’André Holley sur la base de l’étude des réponses des neurones récepteurs, porteurs des récepteurs aux odeurs, (Duchamp et al.1974, Sicard et al., 1984) sont remis à l’ordre du jour. En effet, les nouvelles données confirment qu'une molécule odorante est généralement reconnue par de multiples récepteurs aux odeurs et qu'un récepteur donné reconnaît de multiples odorants. De plus, des récepteurs aux odeurs d'une même sous-famille (donc de structures primaires très proches) peuvent reconnaître des molécules possédant des structures très différentes.

Actuellement, l'hypothèse selon laquelle un récepteur aux odeurs serait spécifique d'un seul odorant ou même d'un petit nombre d'odorants de structure très voisine est infirmée (Touhara, 2002). Que les récepteurs aux odeurs d'une même sous-famille reconnaissent obligatoirement des molécules odorantes de structures proches est également nuancé par les données apportées par l’étude directe des profils de sélectivité des récepteurs.

Ainsi, la conclusion des différentes études concernant l'appariement de molécules odorantes avec des récepteurs aux odeurs est que la gamme de molécules reconnues par un récepteur aux odeurs est à la fois large et spécifique. Les caractéristiques structurales que possèdent ces odorants varient considérablement et il ne semble ainsi pas possible d’en tirer des règles générales afin d’établir une théorie stérique de la détection des odorants par les récepteurs aux odeurs. Mais le lien entre l’odeur et la structure moléculaire n’est pas mieux éclairé par ces nouvelles données.