2.6.6 Discussion

L’ester éthylique de l’acide caproïque (i.e. caproate d’éthyle), à lui seul, peut évoquer une odeur fruitée d’ananas. L’optimum de la qualité de l’évocation semble dépendant de l’intensité. Nous l’avons vu, l’ajout de furanéol améliore l’évocation de l’odeur d’ananas. Dans notre étude préliminaire, la surprise fut que 100 % des sujets interrogés considéraient un des mélanges parmi ceux proposés comme le meilleur représentant de l’odeur d’ananas : dans un mélange de leur dilution au 1/27, le furanéol (note douce caramélisée) et le caproate d’éthyle (note fruitée) semblent effectivement évoquer au mieux l’odeur d’ananas pour tous les sujets. On ne peut pas exclure que ce consensus soit aussi dépendant du choix des autres mélanges présentés.

Sa robustesse a pu être testée en confrontant ce mélange consensuel à une plus large sélection de substances odorantes, connues pour évoquer l’ananas, et nous avons pu remarquer que notre accord (AccF Ana) a obtenu une place honorable lors de l’épreuve de classement. En effet, si nous nous penchons sur les résultats, on remarque que le flacon odorant qui a obtenu l’unanimité quant à l’évocation d’ananas contenait seulement du caproate d’allyle, suivi du flacon contenant du caproate d’éthyle. Ils sont tous deux des composés odorants purs, et non des mélanges. En revanche, dans le mélange de la formulation A1, l’odeur du caproate d’allyle a été « affinée » par l’ajout d’éthyle maltol, de la même manière que nous avions affiné l’odeur du caproate d’éthyle dans l’expérience préliminaire. En continuant notre analyse, nous ne retiendrons pas le mélange de la formulation A7, qui est un mélange ternaire constitué de caproate d’allyle, d’éthyle maltol et d’allyle ionone. Ce mélange arrive bien à la quatrième position du classement mais ne peut réellement représenter un concurrent pour notre propre accord. Comme nous l’avons suggéré préalablement, en partant d’une odeur qui évoque à elle seule une note odorante particulière (dans notre cas, l’ananas) il est possible d’améliorer l’évocation en ajoutant, dans certaines limites, d’autres composants odorants. Dans certains cas, cet ajout améliore l’odeur finale du mélange, mais pour le cas de la formule A7, on remarque que l’ajout d’allyle ionone (qui ne semble pas lui-même évoquer l’odeur d’ananas) diminue la typicité du mélange lui-même et fait chuter le mélange binaire (formule A1) d’un rang.

Le mélange binaire que nous avons voulu tester dans cette expérience était constitué de caproate d’éthyle et de furanéol en proportions volumiques égales et dilués au 1/10. Il est apparu que la population de sujets testés a considéré que cette odeur représentait un bon candidat quant à l’évocation de l’ananas. En effet, placé juste après le mélange ternaire, nous pouvons en conclure que notre mélange a permis d’évoquer une odeur d’ananas très compétitive et même plus écologique par rapport aux autres formulations, si l’on tient compte des résultats du jugement de comestibilité.

Cependant, en observant les descriptions proposées par la base de données BACIS (Boolens, 2001) pour le caproate d’allyle et le caproate d’éthyle, perçus comme étant les meilleurs représentants de l’odeur d’ananas lors de cette expérience, on remarque que les deux composés odorants ne sont pas équivalents. En effet, le caproate d’allyle est décrit comme un composé à « odeur puissante, fruitée, grasse, caractéristique de l’ananas frais, avec une note de rhum » tandis que le caproate d’éthyle a une odeur « douce, fruitée, vineuse pouvant évoquer la pomme, la banane, la framboise, le rhum ou l’ananas.

Ceci nous permet de rappeler que selon notre définition de l’accord aromatique, l’odeur de chacun des composants du mélange ne doit pas évoquer, à elle seule, la note odorante désirée, mais que l’odeur résultante serait plutôt une fusion de différentes notes odorantes. Selon cette définition et les descriptions proposées par BACIS, il semble que notre mélange corresponde d’avantage au concept d’accord fusion.

Signalons tout de même que les différents modèles de mélanges (binaires ou plus) censés évoquer l’ananas peuvent provenir de diverses sources et domaines de l’aromatique, on comprendra alors plus facilement pourquoi certain seront perçus comme plus écologiques (comestible), comme les mélanges avec une note caramel (éthyle maltol ou furanéol) alors que d’autres seront destinés à l’industrie de la parfumerie et ne nécessitent aucune connotation alimentaire. Ainsi, il convient de relativiser l’opposition que nous avons mise en jeu lors de ce protocole et de considérer les deux mélanges comme des modèles d’accords binaires satisfaisants.