2.8.2 Matériel et méthode.

Dans ce travail, c’est la dimension qualitative des odeurs que nous avons étudiée, mais le masquage olfactif est un phénomène subtil, très difficile à aborder pour des sujets naïfs, et qui met en jeu des dimensions quantitative, qualitative et hédonique. Nous avons donc élaboré un protocole expérimental nous permettant d’examiner ces trois dimensions à la fois. Tous les sujets ont passé les trois épreuves de ce protocole successivement.

Vingt sujets (9 femmes et 11 hommes) ont été volontaires pour participer aux trois parties de cette expérience. Leur moyenne d’âge était de 27 ans et 7 d’entre eux étaient fumeurs. Aucun n’a déclaré souffrir de problèmes olfactifs et ils ont tous terminé l’expérience, qui durait 45 minutes environ.

Nous avons sélectionné deux couples « acide / éthyle ester » différents nous permettant de tester le phénomène de masquage d’un acide par son ester d’éthyle. Chaque paire était constituée d’une odeur désagréable (l’acide), et d’une odeur agréable (l’ester). Il s’agissait du couple « acide butyrique / Butyrate d’éthyle » et du couple « acide caproïque / caproate d’éthyle ».

Pour chaque paire, nous avons préparé une série de dilutions pour l’acide (1/10, 5/100, 1/100 et 1/1000) ainsi que deux mélanges binaires équivolumiques, constitués de l’acide (au 1/100) et de son ester d’éthyle (au 1/100 et au 1/1000).

Toutes ces solutions ont été préparées dans des flacons de verre fumé de 12 ml. Pour présenter les stimuli, chaque flacon odorisé par l’acide seul a été introduit dans un flacon plus grand de 250 ml, opaque. Les mélanges ont été fabriqués en introduisant 2 flacons odorisés, l’un par l’acide l’autre par l’ester, dans le même flacon opaque de 250 ml. Ainsi l’odeur qui en émanait résultait d’un mélange des vapeurs et non d’un mélange en phase liquide des deux composés.

Tab. 22 : Présentation des solutions utilisées pour les deux couples acide/ester dans l’expérience de masquage olfactif. Les couples sélectionnés ont été choisis de manière à ce que l’acide présente une odeur désagréable et l’ester (le masquant) une odeur agréable. Il s’agit de la paire acide caproïque/caproate d’éthyle et de la paire acide butyrique/butyrate d’éthyle. Quatre solutions de l’acide de concentrations variées ont été préparées (10-1, 5.10-2, 10-2 et 10-3) et deux solutions de l’ester d’éthyle correspondant (10-2 et 10-3). Les stimuli ont été stockés dans des flacons de verre fumé de 12 ml eux-mêmes introduits dans un flacon de verre opaque de 250 ml pour la présentation aux sujets en aveugle. Ainsi, lors de la stimulation avec les mélanges binaires, les deux flacons (acide et ester) ont été introduits dans un flacon opaque de 250 ml et le sujet a flairé l’odeur de la vapeur résultante.
Couple 1 A1 A2 A3 A4 MASQ1_A3 MASQ2_A3
Concentration en acide butyrique 1/10 5/100 1/100 1/1000 1/100 1/100
Concentration en butyrate d'éthyle - - - - 1/100 1/1000
Couple 2 B1 B2 B3 B4 MASQ1_B3 MASQ2_B3
Concentration en acide caproïque 1/10 5/100 1/100 1/1000 1/100 1/100
Concentration en caproate d'éthyle - - - - 1/100 1/1000

Les quatre flacons contenant les diverses concentrations (A1-A4 ; B1-B4) ont été présentés au sujet dans un ordre aléatoire. Il devait déboucher les flacons les uns après les autres pour flairer leur contenu et les rebouchait après chaque évaluation. Puis il devait évaluer l’intensité de l’odeur désagréable présente dans chacun des flacons et ranger ceux-ci dans l’ordre des intensités croissantes (1er rang pour le flacon présentant la plus faible intensité et ainsi de suite jusqu’au 4ème rang).

Le sujet n’avait pas de durée limitée pour accomplir la tâche, il pouvait sentir chaque flacon plusieurs fois et dans n’importe quel ordre en respectant une pause de 25 secondes entre chaque flairage.

Lorsque qu’il avait terminé, on lui demandait de faire une pause d’une minute, puis de vérifier son classement en commençant par le flacon présentant à son avis l’odeur nauséabonde la moins intense. Il pouvait alors effectuer des modifications sur son classement.

Si nécessaire, les flacons étaient alors redisposés selon l’ordre des concentrations croissantes.

Deux nouveaux flacons contenant un mélange (MASQ1 et MASQ2) était présenté au sujet : il devait évaluer l’intensité de l’odeur désagréable émanant de ces flacons et les ranger par rapport à l’échelle d’intensité représentée par les quatre flacons déjà classés.

Le sujet pouvait flairer chaque flacon plusieurs fois et dans n’importe quel ordre tant qu’il respectait les 25 secondes de pause entre les flairages, sans limite de temps pour accomplir la tâche.

Chacun des produits peut être décrit par un descripteur sémantique, nom de source ou note odorante.

Si dans un premier temps, les sujets sont renseignés sur les différentes notes odorantes mises en jeu dans l’expérience, on peut suivre l’évolution de la qualité d’un produit, lorsqu’on le met en mélange, simplement en analysant les descriptions de l’odeur données par les sujets.

Pour pouvoir rendre compte de manière objective des éventuelles interactions entre les odorants en mélanges que nous avons testés, nous avons demandé aux sujets d’identifier l’odeur des différents flacons, en utilisant les termes suivants (Arctander, 1969) :

Pour finir, nous avons demandé aux sujets d’évaluer le caractère hédonique des flacons contenant les mélanges binaires uniquement sur une échelle linéaire bornée d’une taille fixe égale à 11 cm et renseignée par « extrêmement agréable » à l’extrémité gauche de l’échelle et « extrêmement désagréable » à l’extrémité droite. Les sujets devaient marquer l’échelle d’un trait vertical afin de représenter leur sensation.

Pour chaque odeur testée, nous avons calculé les moyennes des évaluations de l’intensité pour chacun des acides flairés hors mélange et pour les deux mélanges binaires susceptibles de manifester un masquage olfactif. Les coefficients de concordance de Kendall ont été calculés pour les classements afin d’évaluer la robustesse du consensus.

D’autre part, pour la tâche d’évaluation qualitative, les sujets ont utilisé un des termes mis à leur disposition pour décrire la note odorante perçue pour les mélanges. Nous avons systématiquement encodé la réponse verbale donnée par un « -1 » si le sujet utilisait le terme correspondant à l’acide, par un « 0 » si le sujet utilisait le terme correspondant à l’ester, et par « 1 » si le sujet répondait « les deux notes à la fois ». Au final, nous avons calculé les moyennes de ces évaluations qui représentent en quelque sorte une distance d’une note odorante à une autre.

Enfin, les évaluations du caractère hédonique de chaque mélange binaire ont été moyennées de manière à évaluer le degré de disparition de la composante nauséabonde dans l’odeur résultante.