3.4.2.2 Résultats remarquables

Les éléments de formules et les composés odorants ont été fournis aux sujets (DESS à l’ISIPCA) lors d’une séance de travaux pratiques. Ceux-ci devaient proposer les proportions des différents composés à mélanger de manière à générer des accords-fusion pour chaque formulation. Le tableau 24 répertorie les principales combinaisons des composés aromatiques qui mis en mélange, ont conduit à des accords perceptifs.

Tab. 24 : Formulations des mélanges réalisés par les étudiants de l’ISIPCA, la formule A composée de butyrate d’éthyle, de furanéol et de trans-2-hexenol et la formule B, composée de frambinone, de vanilline et de benzaldéhyde, ont été considérées comme des mélanges « aromatiques » (alimentaires) au contraire des formules C (héliotropine, vanilline et coumarine) et D (allyl amyl glycoate, triplal et damascone) appartenant plutôt au monde de la parfumerie.
Formule A Formule B Formule C Formule D
Butyrate d’éthyle Frambinone Héliotropine Allyl amyl glycoate
Furanéol Vanilline Vanilline Triplal
Trans 2 hexenol Benzaldéhyde Coumarine Damascone alpha

Source : T. Thomas-Danguin : Projet accord-fusion – Rapport d’analyses des résultats (22/03/2004).

A la fin de la séance de description, les étudiants ont fourni six mélanges qui selon eux généraient des accords (tab.25). Parmi ces mélanges, un seul était binaire (à deux composés) et conduisait à la perception d’un accord total (mélange A) ; les autres mélanges conduisant à la perception d’accords totaux étaient des mélanges à trois composés (mélanges C1, C2, D1, D2, D3). En revanche, aucun accord n’a été trouvé avec les composés de la formule B.

Tab. 25 : Compositions et proportions des mélanges créés par les étudiants et qui ont été décrits comme générateurs d’accords-fusion. Sur 6 mélanges proposés, on compte un seul mélange binaire (A) et 5 mélanges ternaires (C1, C2, D1, D2, D3).

Source : T. Thomas-Danguin : Projet accord-fusion – Rapport d’analyses des résultats (22/03/2004).

Les résultats de la phase QDA (Analyse Descriptive Qualitative) des mélange conduisant à des accords sont présentés dans le tableau 24.

Tab. 26 : Description des 6 mélanges ayant été décrits comme générateurs d’accords totaux. Les étudiants devaient flairer les composés seuls, puis les différents mélanges (en aveugle) et effectuer une description sémantique en utilisant leur vocabulaire d’experts.

Source : T. Thomas-Danguin : Projet accord-fusion – Rapport d’analyses des résultats (22/03/2004).

Les principaux résultats que les auteurs ont mis en évidence sont listés ci-après :

  1. Il y a un effet significatif de la formulation elle-même sur l’apparition d’un accord, c'est-à-dire que le choix des molécules ainsi que leurs proportions relatives dans les mélanges, provoque ou non l’émergence d’un accord olfactif.
  2. Un individu qui évalue (en aveugle) un mélange qu’il a lui-même réalisé le considérera d’avantage comme un « accord total » alors que les formulations d’accords réalisées par d’autres seront moins fréquemment perçues comme « accord total ».
  3. Réciproquement à cette deuxième proposition, un individu flairant une de ses formules la considérera souvent comme un accord olfactif, et très peu souvent comme ne donnant « pas d’accord ».
  4. Il existe bien des accords consensuels, pour lesquels la majorité des sujets a perçu la note odorante émergeante comme dominante, ce qui contraste avec d’autres mélanges dont la note relative à l’accord n’est perçue que par les concepteurs eux-mêmes.

Indépendamment des auteurs de cette étude, nous avons analysé à nouveau les résultats concernant les descriptions qualitatives des mélanges.

Du point de vue de la description sémantique des odeurs, l’observation du tableau 26 confirme que les étudiants maîtrisent un vocabulaire très spécifique et que la description qu’ils donnent des mélanges fait intervenir une terminologie assez riche. On réalise toutefois que les termes utilisés peuvent être de deux types : soit il s’agit d’un terme caractérisant l’odeur (généralement se référant à une source émettrice spécifique) d’un produit odorant en particulier (par exemple, dans le mélange A, « caramel » dont on sait qu’il caractérise bien le furanéol) ; soit il s’agit de propriété non spécifiquement olfactive. C’est par exemple, le cas de « frais » qui correspond plutôt à une sensation trigéminée (véhiculée par la stimulation du nerf trijumeau, hors système olfactif mais complémentaire de la sensation perceptive odorante). L’odeur de menthe par exemple, ne serait pas ce qu’elle est sans la sensation de fraîcheur qu’elle provoque.

Focalisons notre attention sur la perception de la note odorante « dominante » des accords générés. En toute logique, lors de la description qualitative des mélanges, le descripteur qui obtient le plus grand nombre d’occurrences correspond à la note odorante majoritaire du mélange. Les sujets réalisent en quelque sorte, un profil olfactif qui illustrerait la puissance des notes odorantes.

Par exemple, le mélange C2, l’accord ternaire constitué de coumarine, d’héliotropine et de vanilline est décrit par les termes qui permettent de décrire les constituants eux mêmes hors mélange à savoir : ‘coumariné/foin’ et ‘vanillé’. Une autre formule (mélange binaire A1) élaborée à partir de furanéol et de trans-2-hexenol a été décrite comme ‘caramel’ et ‘cuit’ qui sont les deux principaux descripteurs du furanéol et comme ‘vert’ qui est le descripteur principal du trans-2-hexenol.

La formule D2 (cf. fig. 49) est celle dont la description est la plus éloignée de la description des matières premières qui composent ce mélange (allyl amyl glycoate, damascone alpha et triplal). Le terme floral qui est le descripteur le plus fréquent pour cette composition ne se retrouve pas parmi les descripteurs les plus cités pour les matières premières. On peut donc imaginer que ce mélange correspond à un « accord floral », bien que le profil obtenu pour cette formule ne décrive pas un accord total.

Ainsi, ces résultats indiquent qu’il semble possible de construire des accords sur la base de mélanges composés de deux ou trois constituants (mélanges binaires ou ternaires). Toutefois, dans la majorité des exemples explorés dans cette étude, au moins une des matières premières utilisées apporte une note odorante (qualitative) proche de l’accord final. S’agit-il d’une généralité ? En tout cas, les autres notes odorantes ajoutent des facettes supplémentaires permettant de préciser la note définitive de l’odeur résultante, ou du moins, aident à définir la catégorie olfactive de l’accord olfactif.

De plus, en considérant que ces jugements olfactifs (et la composition des mélanges) ont été réalisés par des experts, on peut se demander si le fait de disposer de bonnes connaissances des matières premières (constituants les mélanges) et d’une certaine maîtrise des descripteurs sémantiques servant à définir les mélanges d’odeurs joue un rôle dans la perception des accords olfactifs. En effet, rappelons que les sujets de cette expérience étaient tous des étudiants en DESS à L’ISIPCA (Institut Supérieur International du Parfum de la Cosmétique et de l'Aromatique Alimentaire), formés de manière intensive à détecter et à identifier une large gamme d’odorants. Ceci implique-t-il que seuls des sujets entraînés soient en mesure de déceler les accords aromatiques ?

Dans le second chapitre de cette thèse, nous avons partiellement répondu à cette question. En effet, les résultats concernant l’accord ananas ont montré l’évidence d’un consensus quant à l’apparition de l’odeur d’ananas dans le mélange binaire constitué de caproate d’éthyle et de furanéol. Nous avons démontré qu’une telle perception consensuelle est à la portée de sujets non entraînés aux notes odorantes de chaque constituant du mélange. En rapprochant cette remarque des résultats présentés ci-dessus, nous pouvons penser que des sujets non entraînés ont plus de chance de percevoir un accord fusion total alors qu’un sujet expert aura un jugement plus sévère sur l’apparition d’une nouvelle note odorante car il maîtrise d’avantage les notes odorantes unitaires qui constituent le mélange, élaborant ainsi un ‘profiling’ plus précis du mélange.

Fig. 49 : Exemple de profil olfactif correspondant à la description sémantique donnée par les sujets de l’expérience pour un des mélanges de l’expérience (D2). On remarque que la note odorante principale de ce mélange est ‘floral’ alors que les trois composés qui le constitue ne sont pas décrits comme principalement ‘floral’ mais comme ‘vert/herbe’, ‘frais’ et ‘terpène/résine’ pour la damascone alpha, comme ‘vert/herbe’, ‘ether/solvant/vert’ pour le triplal et enfin comme ‘vert/herbe’, ‘ananas’ et ‘poussière’ pour l’allyl amyl glycoate.

Source : T. Thomas-Danguin : Projet accord-fusion – Rapport d’analyses des résultats (22/03/2004).