3.5 Accords, formulations et descripteurs sémantiques

En examinant un plus grand nombre de formulations d’accords aromatiques, nous espérions mieux discerner le phénomène d’accord perceptif et tirer quelques règles sur le rôle et le choix des matières utilisées pour construire un accord spécifique et esthétiquement ‘rond’ (c'est-à-dire que l’odeur finale du mélange ne présente pas de notes odorantes saillantes qui perturbent la perception de l’accord).

Dans le manuel de cosmétique  « Perfumes, Cosmetic and Soaps  » de (Poucher, 1975), nous avons donc sélectionné les formulations relatives à la composition de ‘fleurs’ et de ‘fruits’. Nous avons répertorié la totalité des constituants (matières premières) entrant dans la composition synthétique d’odeurs de 14 fruits et de 14 fleurs (cf. liste ci après).

Les 54 molécules odorantes nécessaires à l’élaboration des 14 formulations de « fruits » (fig. 50) ainsi que leurs proportions dans les différents mélanges sont représentées pour les fruits (fig. 51) et pour les fleurs (fig. 52 et 53).

Nous avons calculé la fréquence moyenne d’utilisation de chaque composé pour les différentes formulations. Enfin, nous avons réuni tous les descripteurs sémantiques proposés par Arctander (Arctander, 1969) et la base BACIS (Boelens, 2001) pour chaque molécule utilisée pour représenter les odeurs des fruits (tab. 27) et des fleurs (tab. 28).

Fig. 50 : Présentation des 14 formulations d’odeur de fruits selon la base de Poucher (1975). Pour les différents composants, les proportions sont données en parties par million (ppm), volume à volume. Par exemple, 1 ppm (en microlitre), correspond à un volume de 1 µL pour 1 million de µL final. Les numéros des 54 composés correspondent à ceux de la légende de la figure 51 ci-après.
Fig. 51 : Participation des 54 molécules servant de matières premières à la composition de l’odeur des 14 fruits selon Poucher. On remarque que 4 molécules sont plus souvent utilisées : amyl valerianate (5), ethyl acetate (19), ethyl valerianate (30) et isobutyl acetate (39).

En ce qui concerne les fruits, les figures 50 et 51 relatives aux formulations exactes pour chaque cible, démontrent qu’un petit nombre de molécules sont nécessaires à l’évocation d’une odeur « fruitée » générique (i.e. sans identification précise du fruit). En effet, dans les formulations, nous avons pu constater que sur 54 molécules, seules 3 d’entres elles (oenanthate d’éthyle, butyrate d’éthyle et acetate d’éthyle) constitueraient déjà une « base » aromatique « fruitée ». Bien qu’un profil olfactif détaillé de ces composants (tab. 27) indique que chacun d’entre eux peut évoquer une note correspondant à un ou deux fruits précis (par exemple la banane, l’ananas, la framboise ou la poire) ou encore à une catégorie de fruits (agrume), nous notons que ces composés sont d’abord décrits comme ayant une odeur « puissante et fruitée ». Ainsi, il est suggèré que certains composés aromatiques peuvent servir de base à l’élaboration d’accord plus spécifiques.

D’autre part, la fréquence d’utilisation de la vanilline dans 12 des formulations sur 14 suggère qu’il est toujours nécessaire d’ « arrondir », d’affiner les  accords  à l’aide d’une et même note odorante (ici, une note odorante ‘douce’ et ‘vanillée’), comme autant de facettes qui permettent à l’odeur d’avoir un meilleur éclat.

On réalise d’ailleurs que quelque soit le fruit « simulé », le mélange apparaît toujours composé d’une molécule principale, dont l’odeur est retouchée peu à peu à l’aide de molécules complémentaires ce qui résulte en un accord consensuel.

Fig. 52 : Présentation des 14 formulations d’odeurs de fleurs selon la base de Poucher (1975). Pour les différents composants, les proportions sont données en parties par million (ppm), volume à volume. Par exemple, 1 ppm (en microlitre), correspond à un volume de 1 µL pour 1 million de µL final. Les numéros des 66 composés correspondent à ceux de la légende de la figure 50 ci-après.
Fig. 53 : Fréquence d’utilisation des 66 molécules servant de matières premières à la composition de l’odeur des 14 fleurs selon Poucher (1975). On remarque que seul un petit nombre de molécules est employé dans la majorité des formulations.
Tab 28 : Les huit molécules les plus fréquemment utilisées dans la composition des fleurs de Poucher (1975). La plupart des molécules sont décrites comme étant « florale » même si chacune d’entre elle peut avoir une ou plusieurs autres notes odorantes supplémentaires (en fonction de sa concentration).
Composés Fréquence d’utilisation
(sur 14)
Note odorante
(Arctander)
Note odorante
(Boolens)
Acétate de benzyle 6 Puissant mais fin, floral doux
-Note jasmin, gardénia,
muguet, lilas-
Floral aromatique
-Note jasmin-
Alcool cinnamique 7 Balsamique chaud, floral
- Note de tête variable en fonction de la concentration-
Chaud, doux, floral aromatique
-note faible cannelle-
Hydroxy citronellal 8 Floral doux
-Note muguet vert-
Florale, fraîche, muguet, tilleul-like
-Compositions florale cosmétiques-
Linalol 8 Florale boisée
-Note légèrement agrume-
Florale, fraîche
-Note bois de rose-
Aldéhyde phényle acétique 8 Puissante, verte, florale
-Note jacinthe douce-
Verte florale
-Note jacinthe forte-
Alcool phényle éthylique 9 Doux, chaud
-Note rose et miel-
Fraîche, douce, florale aromatique
-Réminiscence de rose-
terpinéol 9 Florale
-Note lilas-
Pin, florale
-Note lilas-
Ylang ylang 11 - Boisée, balsamique, florale aromatique

En ce qui concerne les compositions de fleurs, l’analyse des formulations de Poucher (fig. 52 et fig. 53) ainsi que l’observation des descriptions des notes odorantes données dans « Perfume and Flavor Chemicals » (Arctander, 1969) et par la base BACIS (Boelens, 2001) nous a permis de relever huit molécules sur les 66 composés permettant d’évoquer une note odorante générique « fleurie » (tab. 28).

Pour les fleurs, l’observation des graphiques a montré que certains composés utilisés évoquent presque toujours une note odorante fleurie non identifiable précisément. Cette odeur peut rappeler une(des) cible(s) odorante(s) « fleurs », comme par exemple l’acétate de benzyle qui évoque principalement une note florale douce mais aussi le jasmin, le gardénia, le muguet, le lilas ou également l’alcool cinnamique dont la qualité de la note de tête varie en fonction de sa concentration. Mais dans la majorité des cas, cette odeur qui représente le « noyau » odorant de l’accord doit être affinée, arrondie par l’ajout d’autres constituants à l’odeur plus subtile, et qui permettent de préciser la note odorante finale du mélange.

D’une manière générale, pour les formulations des odeurs de fleurs comme celles des odeurs de fruits que nous avons étudiées, or nous avons constaté que seules une ou deux molécules principales seulement permettaient d’évoquer une odeur proche de l’odeur finale et de spécifier le mélange. Le « reste » du travail du compositeur consiste à trouver d’autres éléments, correspondant à d’autres facettes olfactives qui permettent d’apporter l’odeur jusqu’à la cible qu’on désire atteindre. Cet affinage est nécessaire et indispensable à l’émergence d’un accord olfactif acceptable.

De ce point de vue, il faut signaler que dans le cas des accords floraux, du domaine de la parfumerie plutôt que de l’aromatique présentés précédemment, la distance qualitative entre odeur cible olfactive à atteindre (pour le compositeur) et odeur finale obtenue à l’issue du mélange (finalement retenue) peut être relativement grande. Mais l’acceptation de ces accords implique qu’ils remplissent aussi des critères « esthétiques» à côté de leur pertinence organoleptique.

Comme l’a précisé Laing (Laing & Francis, 1989; Laing & Glemarec, 1992), les capacités des humains à détecter les odeurs des constituants d’un mélange d’odeurs dépendent de plusieurs critères dont :