3.6 Conclusions

En se basant sur les exemples que nous venons d’analyser, il semble qu’il est possible de créer un accord olfactif rappelant un fruit ou une fleur. Mais plusieurs détails suscitent des questionnements et suggèrent que la création d’un accord olfactif dépend surtout de la puissance de la note de tête, qui semble, dans la plupart des cas, prendre le dessus dans les mélanges. C’est cette note odorante que l’aromaticien ou le parfumeur va « travailler » petit à petit, pour en affiner la qualité jusqu’à ce qu’elle concorde avec l’odeur « cible » désirée.

Selon la définition, un accord-fusion total est constitué d’au moins deux constituants odorants mis en mélange dont l’odeur résultante est perçue comme une unité nouvelle et qualitativement différente de l’odeur de chacun des composés perçus indépendamment. Or nous avons vu que même s’il reste possible de faire émerger une note odorante nouvelle, il est souvent difficile, voire impossible de faire complètement fusionner les différentes notes odorantes correspondantes aux différents constituants et ainsi de les faire disparaître au profit d’une nouvelle (l’odeur de l’accord). Nous serions davantage en présence d’un accord partiel dans lesquels les notes odorantes des constituants restent perceptibles, même si une nouvelle note apparaît également.

Ainsi, nous pourrions mieux comprendre pourquoi le mélange ternaire (cf. fig. 46) est décrit comme étant floral alors que ses constituants ne le sont pas s’ils sont flairés seuls. Ainsi, si certains résultats ont montré que les connaissances sémantiques ne sont pas indispensables pour percevoir un accord, le nombre de termes servant à décrire les odeurs et l’ordre dans lequel ils sont perçus peut nous permettre de mieux comprendre le phénomène d’accords olfactifs.

Cela suggère que des interactions quantitatives (concentrations), qualitatives (masquage, fusion) et/ou temporelles (compétition entre molécules au niveau périphérique) expliqueraient que certaines des notes odorantes lointaines (ou note de fond, à opposer à note de tête) viennent à remonter vers la « tête » de l’odeur de l’accord, pour des personnes capables de détecter les différentes notes odorantes d’un mélange tout du moins.

Dans la modalité visuelle, l’interaction entre les couleurs nous prouve quotidiennement que, si nous savons que le violet est constitué de cyan et de magenta, il n’en reste pas moins qu’un individu naïf ne peut pas distinguer la part de bleu de la part de rouge dans cet accord, alors qu’un peintre aura sans doute cette aptitude.

D’autre part, les musiciens sont tout aussi capables de reconnaître, dans une certaine mesure, les notes qui constituent un accord, même si la majorité des sujets ne perçoivent qu’une entité sonore quasi indécomposable à l’oreille.

Ces réflexions nous ont amené à réorganiser notre pensée relative à la notion d’accord fusion d’un point de vue intermodal et surtout à reconsidérer notre définition de l’accord olfactif :

L’accord résulte de l’interaction perceptive (en terme quantitatif) mais aussi cognitive (en terme qualitatif) entre les constituants aromatiques d’un mélange. Sa perception ne peut être considérée uniquement de façon holistique (comme un « tout indécomposable ») et nous devons admettre qu’il est possible de focaliser notre attention sur certaines facettes odorantes et donc de l’odeur résultante quelques uns de ses éléments les plus remarquables.

Cette définition nous permet d’ajouter que d’un point de vue physiologique, les interactions entre les molécules d’un mélange odorant ne peuvent pas se restreindre au niveau périphérique, et qu’il est maintenant raisonnable de penser à une collaboration étroite des niveaux de traitement de l’information : des bas niveaux (muqueuse périphérique) et des hauts niveaux (du bulbe olfactif au cortex olfactif).