4.3 Cadre théorique et objectifs de l'étude

Certains auteurs ont étudié l’effet de la prise alimentaire sur la latence et l’amplitude du LPC (Geisler & Polich, 1990, 1992, 1992) et ont montré une influence de l’heure de la journée et de l’état de satiété sur l’amplitude du LPC (P3), d’autres ont directement cherché à analyser l’effet de la perception de différentes odeurs de type alimentaire sur les potentiels évoqués olfactifs en montrant une diminution significative de l’activité de type thêta (un rythme cérébral naturel associé à des fonctions cognitives, mais aussi celui qui est le plus perturbé par la stimulation olfactive). Ainsi, après stimulation à une odeur de chocolat et à une odeur de menthe, le rythme thêta diminue significativement par rapport à une condition non odorisée tandis qu’il a tendance à augmenter après une stimulation avec une odeur d’amande ou de cumin (Martin, 1998). D’autre part, les études en EEG menées avec des odeurs non alimentaires ont plutôt montré un accroissement des rythmes thêta (Klemm et al., 1992). Tous ces résultats suggèrent que l’activité éléctroencéphalographique est modifiée par la perception olfactive, et qu’un pattern particulier survient lors de la perception d’odeurs alimentaires.

D’autre part, il n’est plus à prouver que la dimension hédonique est une propriété psychophysique dominante en olfaction (Holley, 2002) et des analyses multidimensionnelles de l’organisation des odeurs en mémoire montrent bien que la valence hédonique explique la quasi-totalité de la variance observée (Carrasco & Ridout, 1993). Il semble donc y avoir une évidence que la dimension hédonique puisse être associée aux modulations des rythmes électriques enregistrés.

Les études en potentiels évoqués utilisant des stimuli plus complexes (mélanges de molécules odorantes, aromes complexes) sont plus rares. En 1999, Pause et al. (Pause et al., 1999) ont mis en place un protocole de type ‘oddball’ pour étudier les potentiels évoqués sous-jacents à la perception d’odeurs corporelles (odeur axillaire). Ils ont remarqué que la perception de « sa propre » odeur corporelle dans une série de stimulation avec une odeur corporelle « étrangère » provoque une diminution significative de la latence de l’onde P3 (LPC).

Dans le troisième chapitre de cette thèse, nous avons suggéré que la perception de la dimension qualitative d’un mélange odorant dépend, en partie, des capacités de ségrégation olfactive, c’est à dire de notre aptitude à dissocier un mélange en ses différents composants (Laing & Francis, 1989; Jinks & Laing, 2001). Cette aptitude n’est pas uniquement physiologique mais peut être considérablement renforcée par un entraînement (une sorte de sensibilisation olfactive) ainsi que par une meilleure connaissance des descripteurs sémantiques relatifs aux odeurs. Evidemment, nous ne sommes pas tous experts dans le domaine des odeurs et nos connaissances sont assez réduites en ce qui concerne cette description linguistique de nos sensations.

Malgré ces limitations et pour étudier les capacités de discrimination des notes olfactives dans un mélange odorant tout en restant proche des conditions naturelles, nous avons cherché des modèles de mélange odorants que des sujets même naïfs seraient capables de décomposer. C’est précisément le cas de l’odeur des produits alimentaires, et plus précisément de l’odeur de l’altération des odeurs alimentaires, une aptitude écologiquement capitale pour détecter les substances signant l’altération des aliments… Par exemple, nous avons déjà tous expérimenté la perception olfactive que provoque une brique de lait « tourné » ou un beurre rance dans notre réfrigérateur, un agrume moisi dans une corbeille de fruit ou encore un vin « bouchonné ». Ce phénomène appelé « off-odor » en anglais et qui peut être traduit par « odeur d’arrière plan » est bien connu par les chercheurs qui étudient la perception de la flaveur (odeur + goût). Il semble que la sensibilité du système perceptif « humain » soit souvent plus forte dans ces conditions. En effet, nous sommes ce que nous pouvons appeler des experts des odeurs familières, tant qu’on ne nous demande pas de les dénommer.

On sait d’autre part que la sensibilité olfactive peut être accrue par l’apprentissage (Rabin, 1988; Jehl et al., 1995). Dans ces études, les auteurs ont montré qu’une exposition préliminaire à un stimulus odorant augmente significativement sa discriminabilité par rapport aux autres odeurs, et ce dès la première pré-exposition. Cet accroissement peut être expliqué par des mécanismes attentionnels ou avoir des origines plus sensorielles. Par exemple, de simples présentations répétées d’un stimulus olfactif peuvent augmenter les capacités de détection de son odeur et s’accompagnent d’une augmentation de la sensibilité physiologique dès l’organe récepteur (Wysocki et al., 1989; Wang et al., 1993).

Comme nous l’avons vu, les potentiels évoqués enregistrés sur le scalp à la suite de la présentation de stimuli chimiques sont caractéristiques. Révélée par Lorig (Lorig et al., 1990; Lorig et al., 1996), l’apparition d’une réponse électrophysiologique avant la détection consciente de l’odeur suggère qu’il existe un intervalle pour la modulation du seuil de détection consciente du stimulus olfactif. Les sites d’activation majeurs de cette perception « non-consciente » ont été localisés en IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) dans le gyrus frontal inférieur, au niveau de l’amygdale et dans le thalamus médian antérieur (Sobel et al., 1999).

Partant de ces postulats, nous avons cherché à élaborer un modèle odorant nous permettant de « mimer » l’altération de l’odeur d’un aliment familier, le beurre, dont nous avons altéré l’odeur en ajoutant une note odorante « rance » (de l’acide butyrique). Nous avons voulu vérifier par une approche mixte, psychophysique et en imagerie cérébrale (potentiels évoqués) que l’apprentissage d’une odeur représentant une altération biologique (naturelle) d’un produit alimentaire conduit par la suite les sujets à détecter cette altération à des concentrations inférieures, et peut être sans perception consciente.

Nos objectifs étaient multiples :

  1. Observer les variations de plusieurs évaluations psychophysiques (intensité perçue, familiarité, hédonicité…) et par la même quantifier le phénomène d’apprentissage perceptif.
  2. Confirmer cet effet de sensibilisation olfactive à l’aide d’enregistrements électrœncéphalographiques en potentiels évoqués.
  3. Vérifier que cette sensibilisation olfactive conduit à la diminution du seuil de détection de la note odorante mimant l’altération alimentaire dans le mélange.