4.5 Résultats

L’analyse globale de la variance effectuée sur les évaluations psychophysiques réalisées par les 2 sujets témoins et les sujets testgroupes de sujets lors des 2 premiers jours d’expérience a montré une forte significativité [F(25,2470)=30,96, p<.0001] de leur différence, avec un effet du groupe (p<.0001), un effet du type d’évaluation (p<.0001), un effet du jour (p=.041) et un effet du stimulus (p<.0001) sur les notes attribuées.

Ce résultat général nous a conduit à entreprendre des analyses de la variance pour chaque type d’évaluation psychophysique (intensité, hédonicité, familiarité et comestibilité) pour quantifier l’effet du groupe (groupe ‘Test’ sensibilisé à l’odeur de beurre et de beurre rance vs. groupe ‘Contrôle’ stimulé avec l’odeur de beurre et de beurre vanillé). Les résultats significatifs de l’analyse de la variance centrée sur chaque type d’évaluation psychophysique et l’analyse de la variance centrée sur chaque stimulus sont présentés respectivement dans le tableau 31 et le tableau 32.

Tab. 31 : Récapitulatif des effets obtenus par l’analyse de la variance effectuée pour chaque type d’évaluations psychophysiques. Les effets du groupe (Test vs. Contrôle) et de l’odeur (B1, B1R1, B1R2, B1R3) sont très impliqués dans la variance observée pour toutes les dimensions étudiées, sauf pour l’évaluation de la comestibilité de l’aliment suscité par l’odeur).
Type d’évaluations Effets ddl F p
Intensité - Groupe
- Odeur
- Jour
1
3
1
145,4
2,66
7,5
<.0001
0.0474
0.0064
Hédonicité Groupe
Odeur
1
3
40.80
4.64
<.0001
0.0032
Familiarité Groupe 1 136.03 <.0001
Comestibilité Groupe 1 87.58 <.0001

Ces résultats font essentiellement apparaître une différence entre groupes expérimentaux sur les notes attribuées par les sujets selon toutes les dimensions psychophysiques testées. L’objectif principal de cette phase expérimentale était de sensibiliser les sujets du groupe ‘Test’ à l’odeur de beurre ainsi qu’aux différentes odeurs de beurre rance tandis que les sujets du groupe ‘Contrôle’ étaient stimulés avec l’odeur de beurre et différentes odeurs de beurre vanillé. Hormis pour l’odeur B1 (odeur de beurre), nous ne pouvons pas tester l’influence des 2 jours d’expérience car les sujets des 2 groupes n’ont pas été stimulés avec les mêmes odeurs (B1R1, B1R2 et B1R3 pour le groupe Test ; B1V1, B1V2 et B1V3 pour le groupe Contrôle).

Ces résultats suggèrent que les groupes expérimentaux ont jugé les odeurs différemment selon le jour d’expérience. On peut ainsi considérer que le protocole a induit deux types de comportements différents entre les deux groupes expérimentaux, objectivant ainsi l’apprentissage implicite que nous voulions induire. Ceci nous permet alors de focaliser notre attention uniquement sur les résultats du groupe test, pour tenter d’objectiver le processus de sensibilisation olfactive aux odeurs de beurre rance.

Le tableau 32 récapitule les effets obtenus pour l’odeur B1 pour les 2 groupes expérimentaux lors des phases 1 et 2 de l’expérience.

Tab. 32 : Récapitulatif des effets influençant la perception de l’intensité de l’odeur de beurre sur l’ensemble des évaluations données par les sujets des 2 groupes (T : ‘Test’, C : ‘Contrôle’) durant les 2 premiers jours d’expérience (J1 et J2). Les dimensions d’intensité, d’hédonicité et de comestibilité ont été influencées par des effets de groupe, de jour.
Stim. Dimension Effets ddl F p détail
B1
Intensité - Jour
- Jour * Répétitions
- Groupe
- Groupe * Jour * Répét.
1,288
11,288
1,288
11,288
18.10
1.86
67.84
3.35
<.0001
0.0494
<.0001
0.0004
J1 > J2
J1 : I ▲; J2 : I ▼
T > C
TJ1 : I ▲ ; TJ2 : I▼ ; CJ1= CJ2
Hédonicité - Groupe
- Groupe * Jour
1,288
1,288
8.10
4.23
0.0051
0.0415
T > C
TJ1 = TJ2 ; CJ1 < CJ2
Familiarité - Groupe 1,288 45.58 <.0001 T > C
Comestibilité - Groupe
- Groupe * Jour
1,288
1,288
19.57
12.20
<.0001
0.0006
T > C
TJ1 > TJ2 ; CJ1 < CJ2

En ce qui concerne l’odeur de beurre (B1), nous avons remarqué que la dimension psychophysique la plus influencée dans le phénomène de sensibilisation est l’intensité. D’une manière générale, l’intensité perçue a diminué significativement entre le premier et le second jour, et ce de façon plus marquée pour le groupe ‘Test’, au fur et à mesure des répétitions successives (figure 61) alors que l’intensité perçue par le groupe contrôle ne varie pas d’un jour à l’autre [F(11,288)= 3.35, p=0.0004].

Fig. 61 : Représentation des variations de l’évaluation de l’intensité moyenne de l’odeur B1 durant les 2 premiers jours d’expérience (J1 en bleu) et J2 (en rouge). Si l’intensité perçue de B1 augmente significativement au cours des 12 répétitions du premier jour, elle subit une diminution significative lors des répétitions du second jour.

L’évaluation moyenne de la comestibilité du produit suggéré par l’odeur nous indique que les sujets du groupe ‘Test’ ont très rapidement fait un lien entre la note rance du beurre et l’odeur de beurre elle-même (c'est-à-dire qu’ils ont « perceptivement » associé la note odorante rance à la note odorante de beurre, ces deux odeurs ayant systématiquement été présentées en mélange durant la phase de sensibilisation) , faisant par là même diminuer le caractère agréable du beurre [F(1,288)= 4.23, p=0.041] ainsi que la comestibilité associée à ce produit [F(1,288)= 12.20, p=0.0006] (figure 62). En revanche, les sujets du groupe contrôle ne semblent pas avoir renforcé ce lien.

Fig. 62 : Entre le 1er et le 2ème jour d’expérience, à l’inverse des sujets du groupe contrôle, les sujets du groupe ‘Test’ ont fait le lien entre l’odeur de beurre et la note rance qui l’associe dans la plupart des cas, le caractère hédonique de B1 a donc été significativement revu à la baisse au cours du jour 2 (A), ainsi que le caractère comestible du beurre suggéré par l’odeur (B).

Dans le tableau 33, on a reporté les effets obtenus pour le groupe ‘Test’ pendant les 2 premières phases expérimentales, pour l’odeur B1R1. Aucun effet significatif n’a été mis en évidence pour les odeurs B1R2 et B1R3, aussi, elles ne seront pas représentées dans les tableaux récapitulatifs.

Tab. 33: Récapitulatif des effets influençant la perception de l’intensité de l’odeur B1R1 sur l’ensemble des évaluations données par les sujets du groupe Test durant les 2 premiers jours d’expérience (J1 et J2). Seul les dimensions d’intensité et de comestibilité ont été influencées durant l’expérience. Les cases grisées correspondent aux cas où aucun effet significatif n’a été observé.
Odorant Type d’évaluation Effets ddl F p détail
B1R1
Intensité Jour
Jour * Repet.
1,72
11,72
3,84
3.69
0.05
0.0001
J1 > J2
J1 ▲ ; J2 ▼
Hédonicité          
Familiarité          
Comestibilité Jour 1, 72 5,59 0,02 J1 > J2

A l’instar de ce que nous avons observé pour B1, odeur du beurre seul, , l’intensité perçue de l’odeur B1R1, le beurre rance le plus fort,) est influencée par le nombre de répétitions successives (figure 63). Ainsi, l’intensité perçue de B1R1 augmente significativement au cours des 12 premières répétitions (jour 1) alors qu’elle diminue au cour des 12 dernières répétitions (jour 2) [F(11,72)= 3,69, p=.0001]. De plus, l’association de la note odorante rance la plus intense (R1) à l’odeur de beurre (B1) fait disparaître le caractère comestible de l’aliment suggéré par ce stimulus.

Fig. 63 : Représentation des variations de l’évaluation de l’intensité moyenne de l’odeur B1R1 durant les 2 premiers jours d’expérience (J1 en bleu) et J2 (en rouge). L’intensité perçue de B1R1 augmente au cours des 12 répétitions du premier jour mais elle diminue significativement lors des répétitions du second jour.

L’analyse globale de la variance effectuée sur les 11 fenêtres temporelles a montré, entre autre, une réponse caractéristique aux odeurs (fig. 64). La réponse montre plus de positivité dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche [F(1,2880)=4,615, p=.0325], et selon l’axe antéropostérieur, la réponse est de plus en plus positive à mesure que l’on se déplace du lobe frontal au lobe occipital [F(2,2880)=56,85 p<.0001].

Fig. 64 : L’expérience en potentiels évoqués olfactifs réalisée a provoqué une réponse aux odeurs plus positive dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche (A). D’autre part, cette réponse s’amplifie à mesure que l’on enregistre selon l’axe antéropostérieur (du lobe frontal au lobe occipital).

D’autre part, deux interactions ont été indiquées en considérant les groupes expérimentaux (fig. 65). L’analyse a montré un effet « sujet » du groupe expérimental (C : ‘Contrôle’ et T : ‘Test’) sur l’activité enregistrée dans les hémisphères et selon l’axe antéropostérieur. En réponse aux odeurs, le groupe ‘Contrôle’ montre plus de positivité dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche alors que le groupe ‘Test’ montre l’inverse, à savoir plus de négativité dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche [F(1,2880)=17,23, p<.0001]. D’une manière générale, selon l’axe antéropostérieur, on remarque de plus en plus de positivité à mesure que l’on enregistre la réponse d’avant en arrière du scalp [F(2,2880)=21,95 , p<.0001].

Fig. 65: Réponses EEG et apprentissage. L’appartenance à un des groupes expérimentaux induit une réponse aux stimulus différentes selon qu’on enregistre l’activité dans l’un ou l’autre des hémisphères (A) ou selon que l’on enregistre l’activité en se déplaçant selon l’axe antéropostérieur (B). Le groupe C ‘Contrôle’ montre plus de positivité dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche alors que le groupe T ‘Test’ montre l’inverse, à savoir plus de négativité dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche. D’une manière générale, selon l’axe antéropostérieur, il y a de plus en plus de positivité vers l’arrière du scalp.

L’analyse globale a également montré des interactions plus précises. L’activité électroencéphalographique enregistrée dans l’un et l’autre des hémisphères (droit - gauche) [F(10,2880)= 1,96, p=.0 33] et le long de l’axe antéropostérieur (frontal – temporal – occipital) [F(10,2880)=3,91 , p<.0001] était différente selon le groupe expérimental et selon la fenêtre temporelle analysée. Le facteur odeur n’a montré aucun effet significatif et n’a pas été pris en compte pour le reste de l’analyse.

Cette analyse a indiqué que les interactions significatives entre groupes expérimentaux et réponses électroencéphalographiques impliquent toutes les fenêtres temporelles. Nous avons donc effectué des analyses a posteriori, axées sur les fenêtres temporelles durant lesquelles sont censées apparaître les composantes précoces correspondant à des traitements primaires des odeurs, relatifs aux caractéristiques physiques des stimuli et les composantes tardives qui correspondent à des processus de plus haut niveau en réponse aux odeurs. Les résultats les plus remarquables qui ont émergé de nos analyses a posteriori en se déplaçant de fenêtre temporelle en fenêtre temporelle (de 50 ms de stimulation à 1200 ms après la stimulation) sont présentés dans le tableau 34.

Tab. 34 : Récapitulatif des effets (facteur hémisphère, facteur axe antéro-postérieur, facteur groupe exprimental, et leurs interactions) obtenus lors des analyses à posteriori de l’analyse de la variance effectuée sur l’ensemble des enregistrements en potentiels évoqués olfactifs. Ces résultats indiquent une réponse aux odeurs significativement différente dans différentes zones cérébrales selon que les sujets ont été sensibilisés ou non (Groupe Test vs. Groupe Contrôle). Les cases grisées représentent les cas dans lesquels aucune différence significative n’a été observée.
FENETRES TEMPORELLES (en ms)
50-200 100-300 200-400 300-500 400-600 500-700 600-800 700-900 800-1100 900-1100 1000-1200
Hémisphère : La réponse est plus ample dans l’hémisphère droit. (p<.0001)              
Axe Antéropostérieur : La réponse est toujours de plus en plus ample à mesure qu’on enregistre de l’avant vers l’arrière (Frontal => Temporal => Occipital)
Groupe * Hémisphère :
Pour le groupe ‘Contrôle’, la réponse aux odeurs est toujours plus ample dans l’hémisphère droit.
Pour le groupe ‘Test’, la réponse est plus ample dans l’hémisphère droit de 50 ms à 600 ms après la stimulation, ensuite, de 600 à 1200 ms, le pattern s’inverse et la réponse est plus ample dans l’hémisphère gauche.
Groupe * Axe Antéropostérieur :
Pour le groupe ‘Contrôle’, la réponse aux odeurs est toujours plus ample à mesure que l’on enregistre vers l’arrière du scalp (frontal=>occipital).
Pour le groupe ‘Test’, la réponse précoce (jusqu’à 400 ms) est de plus en plus ample selon l’axe antéropostérieur, puis entre 400 et 700 ms, ce pattern s’inverse et finit par revenir à la ‘normale’ selon l’axe.
        Tendance
Groupe * Hémi * côté * axe antéropostérieur
p=.054
Groupe * Hémi * côté * axe antéropostérieur
F(2,288)=3,03, p=.049
    Groupe * Hémi * côté * axe antéropostérieur
F(2,288)=3,19, p=.042
  Groupe * Hémi * côté * axe antéropostérieur
F(2,288)=6,1, p=.0025

Hormis les effets les plus simples survenant dans les fenêtres temporelles précoces, ou bien tout au long de la réponse, nous avons remarqué l’apparition d’une interaction complexe entre le Groupe (T/C) * Hémisphère (D/G) * Coté lat. (int./ext.) * axe antéropostérieur (frontal/temporal/occipital) [F(2,288)=6,1, p=.0025].

Cette interaction complexe souligne une différence significative de l’activité encéphalographique entre les deux groupes expérimentaux (sujets contrôles non sensibilisés au beurre rance vs. Sujets test sensibilisés au beurre rance). Cette différence a été précisément localisée dans une zone occipitale médiane de l’hémisphère gauche et n’apparaît que tardivement dans la réponse aux odeurs (Figure 66).

Fig. 66 : Représentation graphique de l’interaction complexe entre le Groupe (T, C) * Hémisphère (D, G) * Coté lat. (int, ext.) * axe antéropostérieur (frontal, temporal, occipital) visible dans une fenêtre temporelle tardive (1000-1200 ms après la stimulation. Pour le groupe contrôle, il y a toujours une grande différence d’amplitude, toujours plus grande que pour le groupe test droit, et précisément dans la zone occipitale médiane. Pour le groupe test, la variation d’amplitude de l’activité moyenne a toujours été plus restreinte sur tout l’encéphale.

En ciblant la représentation sur la fenêtre 1000-1200 lors de laquelle une différence d’activation très spécifique est survenue, nous avons localisé les différences d’amplitude relatives à une réponse tardive aux odeurs dans l’hémisphère gauche, en position frontale et occipitale. Les tracés ainsi que la projection corticale des réponses moyennes indiquent deux processus distincts dans le traitement des odeurs selon le groupe de sujets. Dans la région frontale, la réponse enregistrée pour les 2 groupes de sujets est très différente dès la stimulation alors que dans la région occipitale, la réponse enregistrée se différencie plus tardivement (fig. 67).

Fig. 67 : Tracé des potentiels évoqués olfactifs moyens enregistrés sur le scalp des sujets des 2 groupes expérimentaux (Test vs. Contrôle) en position frontale et occipitale de l’hémisphère gauche et leurs projections corticales. Les tracés ainsi que la projection de la réponse moyenne indiquent deux processus distincts dans le traitement des odeurs. Le potentiel évoqué olfactif enregistré est négatif pour le groupe ‘contrôle’ en position frontale alors qu’il est positif en position occipitale.

Les paires d’odeurs comparant l’odorant B1 (arôme de beurre) à elle-même (paire B1/B1) ainsi qu’aux 3 différents beurres rances (paires B1/B1R1, B1/B1R2 et B1/B1R3) ont été présentées à tous les sujets (12 comparaisons pour chaque paire). Pour chaque paire, les sujets devaient déterminer si les odeurs présentées étaient similaires ou différentes. Nous avons calculé les performances moyennes des 2 groupes, c’est à dire la proportion de réponses correctes pour chaque paire d’odorants (fig. 68).

Fig. 68 : Proportions de réponses correctes lors de la tâche de similarité par paire. Les sujets devaient déterminer si les odeurs de chaque paire étaient similaires ou différentes. La présentation de l’odeur de beurre (B1) était suivie soit de l’odeur de beurre (B1, réponse attendue : Identique), soit de l’odeur d’un des beurres rances à différentes concentrations de rance (B1R1, B1R2 ou B1R3, réponse attendue : Différente).

L’analyse de la variance effectuée sur les performances dans la tâche de similarité a indiquée un effet de la paire présentée sur les performances de jugements de similarité [F(3,18)=3,8, p=0,028]. D’une manière générale, les sujets du groupe test ont obtenu de meilleures performances en discrimination des odorants que les sujets du groupe contrôle.