4.6 Discussion

En observant et en comparant les variations des différentes évaluations des paramètres (ou dimensions) psychophysiques durant les deux premières phases expérimentales, nous avons pu objectiver le phénomène de sensibilisation olfactive.

Dans certains cas précis, par exemple pour l’odeur B1R1, il est possible de suivre le degré d’apprentissage en observant les variations de l’intensité perçue, qui diminue graduellement le second jour de sensibilisation. D’autre part, le fait que cette odeur soit considérée comme « désagréable » (i.e. beurre rance le plus intense) a pu entraîner une aversion au fur et à mesure des stimulations successives (De Houwer et al., 2001). Ainsi, en ce qui concerne le groupe ‘Test’, même si nous n’avons pas observé d’effet sur la valence hédonique du stimulus, nous avons remarqué que les notes de comestibilité relative à l’objet suggéré par l’odeur (du beurre) ont significativement diminué durant la seconde phase du protocole expérimental. Ainsi, le stimulus peut garder une odeur globalement acceptable alors qu’un signal de non comestibilité est présent et s’accroît.

Cette idée est renforcée par les résultats relatifs au stimulus B1 (odeur de beurre). En effet, les sujets du groupe ‘Test’ ont été sensibilisés pendant deux jours à cet odorant (B1) et aux stimulus évoquant des odeurs de beurres rances (B1R1, B1R2, B1R3) alors que les sujets du groupe ‘Contrôle’ n’ont été stimulés au beurre rance que lors de la phase 1, les stimuli odorants de la phase 2 étaient du beurre et des beurres vanillés censés être plus agréables (B1V1, B1V2 et B1V3). En analysant les résultats des tableaux 30 et 31, on réalise que le groupe ‘Test’ a été sensibilisé à l’odeur de beurre (B1) puisque ce stimulus est plus familier pour ‘T’ que pour ‘C’ et que les sujets ont associé la note odorante ‘rance’ à l’odeur de beurre (B1), provoquant : une baisse de l’agrément suscité par l’odeur de beurre et une diminution significative du caractère ‘comestible’ du beurre suggéré. Ces observations n’ont pas été mises en évidence pour les stimuli B1R2 et B1R3.

Malgré ces résultats, nous avons quand même considéré que la sensibilisation olfactive avait été effective pour le groupe ‘Test’ et que les sujets constituant le groupe Test pouvaient être assimilés à des pseudo experts de l’odeur de beurre rance, comme des consommateurs de vin réguliers sont significativement plus performants pour discriminer les vins que des sujets n’ayant pas cette habitude (Melcher & Schooler, 1996).

L’analyse des performances obtenues dans la tâche de jugement de similarité a confirmé les premières conclusions quand à l’efficacité de la sensibilisation olfactive induite chez les sujets Test. On observe bien que les sujets ayant été préalablement et suffisamment exposés à l’odeur de beurre rance ont acquis une aptitude perceptive leur permettant de détecter la présence d’une note odorante rance dans l’odeur de beurre à une concentration significativement plus faible que les sujets contrôles. Nous avons observé cette amélioration pour les comparaisons B1/B1, B1/B1R2 et B1/B1R3. En revanche, un résultat inverse a été observé pour la comparaison B1/B1R1 pour laquelle les sujets contrôles ont obtenu de meilleures performances. Ce résultat, qui nous a d’abord paru incongru, a pourtant déjà été observé à nombreuses reprises. En effet, dans plusieurs études, Stevenson et al. ont montré que des expositions répétées à un mélange odorant peut conduire à l’augmentation de la similarité perçue entre les odorants du mélange flairés séparément (Stevenson, 2001; Stevenson et al., 2003; Case et al., 2004). Après avoir été présenté dans un mélange binaire, un des composés du mélange acquiert certaines propriétés de l’autre. Par exemple, si on fait sentir un mélange constitué d’une substance à odeur de cerise et d’une substance à odeur de fumée (gaïacol) et qu’on demande ensuite d’évaluer la qualité de chacune des composés du mélange séparément, l’odeur de cerise aura une composante « fumée » et l’odeur de fumée aura aussi une note « cerise » (Stevenson, 2001).

Cependant, cela n’explique pas le fait que pour les mélanges avec les plus faibles concentrations de rance, cette confusion perceptive ne soit pas d’autant plus importante. Il convient donc relativiser ce paradoxe en rappelant que dans ces différentes études, les protocoles expérimentaux étaient différents les uns des autres, et différents de celui que nous avons mis en place pour cette expérience.

D’un point de vue électroencéphalographique, aucun effet significatif relatif aux différentes concentrations de rance n’est apparu. En revanche, nous avons constaté des potentiels évoqués olfactifs différents. Ces différences d’activations sont apparues avec des temps de latence différents également. D’une manière générale, nous avons mis en évidence un effet de l’axe antéropostérieur sur l’amplitude de la réponse, ce résultat a déjà été souligné dans différentes études (Prah & Benignus, 1992), les potentiels évoqués olfactifs sont souvent plus amples en position postérieure (occipitale) qu’en position antérieure (frontale).

Au niveau frontal, nous avons observé une réponse aux odeurs différentes très précoce (dès 200 ms après la stimulation) entre les deux groupes de sujets, ce qui suggère que le système nerveux central peut, immédiatement après stimulation, détecter des différences subtiles entre des stimuli olfactifs. Le lobe frontal a un rôle dans de nombreuses fonctions en olfaction, telles que l’émotion, la reconnaissance, l’attention ou encore la planification de la réponse à la tâche...etc. Il pourrait également s’agir d’une réponse à la nouveauté. En effet, lors de la phase 2 de sensibilisation, les sujets du groupe contrôle ont été sensibilisés à des beurres vanillés alors que durant la phase 3, ils devaient comparer des odeurs de beurre et de beurre rance. Mais la complexité de la tâche demandée ─ ainsi les limites de la technique EEG elle-même ─ ne nous permettent pas de faire des inférences quant à la fonction qui a pu être atteinte dans notre expérience. Cependant, nous savons que la composante précoce d’un potentiel évoqué peut être rattachée, mais pas uniquement, aux caractéristiques physiques des stimuli odorants et les différences entre la latence et l’amplitude des réponses enregistrées peuvent peut-être s’expliquer par le fait que sujets du groupe ‘Test’ et les sujets du groupe ‘Contrôle’ ne possédaient pas la même trace des odeurs en mémoire. Ceci renforce l’idée que des changements qualitatifs de stimuli appris surviennent précocement en zone frontale (Royet et al., 1999).

D’autre part, au niveau occipital gauche, nous avons mis en évidence une différence d’amplitude tardive (de 1000 à 1200 ms) en réponse aux odeurs, signifiant un traitement cognitif plus élaboré. Les sujets du groupe ‘Test’ ont montré une réponse tardive plus ample en réponse aux beurres rances que les sujets du groupe ‘Contrôle’. Ce résultat va dans le même sens que dans une étude récente dans laquelle ont été comparée les latences et les amplitudes des réponses en potentiels évoqués olfactifs avant et après entraînement (Livermore & Hummel, 2004). De plus, soulignons que le paradigme de sensibilisation olfactive que nous avons utilisé se rapproche des paradigmes de type « oddball » que nous avons définis dans le cadre théorique de cette étude. La différence d’amplitude dans les enregistrements éléctroencéphalographiques entre les 2 groupes de sujets est peut être inhérent à la procédure expérimentale employée.