4.7 Conclusions

Ce que nous retiendrons de cette expérience, c’est d’une part que certaines caractéristiques psychophysiques de la perception olfactive sous l’influence d’un apprentissage présentent des variations qui sont compatibles avec ce qu’on pourrait attendre d’une sensibilisation. Elles s’accompagnent de modifications notables du traitement de l’information qu’illustrent des variations anatomo-fonctionnelles spécifiques décelées par notre investigation électrophysiologique.

Il est généralement accepté que certaines caractéristiques physicochimiques d’une molécule odorante définissent la qualité de son odeur aussi bien que sa « discriminabilité » perceptive des autres molécules odorantes (Chastrette, 2002). L’éventualité d’une perception olfactive dirigée par les propriétés de la molécule pourrait conduire à occulter des mécanismes centripètes, tels que ceux mis en jeu à la suite de l’expérience où l’apprentissage olfactif. Pourtant, comme d’autres, notre étude confirme que l’entraînement peut influencer la perception de la qualité d’une substance odorante, singulièrement sa similarité par rapport à d’autres stimuli, donc dans une certaine mesure, sa « discriminabilité ».

La majorité des études sur l’apprentissage olfactif indiquent que l’expérience peut améliorer les performances en discrimination olfactive (Rabin, 1988). Il semblerait néanmoins que dans certains cas au moins, les mélanges odorants soient « traités » comme des « configurations », qu’il est parfois difficile de décomposer mentalement en éléments individuels constituant le mélange (Laing & Francis, 1989; Laska et al., 1990; Laska & Hudson, 1992; Laing, 1994; Laing & Jinks, 2001) Il est probable que la segmentation d’une odeur soit possible s’il existe pour le sujet une bonne raison de la faire, voire si le sujet cherche une facette ou une note, ou a développé une aptitude à ce type d’analyse.

D’autre part, il nous a semblé plus complexe de suivre la progression d’un apprentissage associatif (d’une note odorante dans un mélange odorant) par une méthode exclusivement psychophysique, bien que plus écologique (naturelle). Malgré le fait que pour certaines odeurs, il soit difficile de quantifier la sensibilisation olfactive, nous sommes en mesure de penser que l’évaluation psychophysique de l’intensité, de la familiarité, et dans le cas d’odeurs alimentaires familières, de la comestibilité de l’aliment suggéré par l’odeur permet d’objectiver et de quantifier le phénomène d’apprentissage olfactif passif (implicite). Pour mesurer de manière plus concrète l’efficacité d’une telle sensibilisation, une simple comparaison des seuils de détection (avant / après sensibilisation) semble suffisante et permettrait de quantifier beaucoup plus facilement le degré de sensibilisation olfactive (Hummel et al., 2005).

Comme nous venons de le discuter, cet apprentissage associatif (la note odorante rance a toujours été présentée avec l’odeur de beurre, et jamais seule) a induit une spécialisation perceptive chez les sujets du groupe ‘Test’, en leur permettant de discriminer une note odorante particulière (rance) au sein d’un mélange binaire odorant.

De plus, la tâche demandée à tous les sujets lors de la phase 3 (tâche de similarité) est une tâche de mémoire de travail, quantifiable en potentiels évoqués olfactifs (Zelano et al., 2005). Pour réaliser cette tâche, les sujets doivent mémoriser la première odeur jusqu’à ce que la seconde leur soit délivrée, et ainsi réaliser une comparaison perceptive des deux stimulations odorantes. Cette dernière remarque explique également les différences tant dans les performances de discrimination des paires d’odeurs que dans les tracés électroencéphalographiques obtenus. Les sujets sensibilisés à l’odeur de beurre rance ont effectué la tâche avec plus de facilité (meilleures performances en discrimination), facilitation quantifiable grâce aux potentiels évoqués olfactifs tardifs enregistrés.

Il nous parait aujourd’hui évident que le nombre de sujets sélectionnés pour cette expérience est trop faible pour obtenir de meilleurs résultats psychophysiques et électrophysiologiques. Les études en potentiels évoqués olfactifs font apparaître une variabilité des réponses d’ordre intra et interindividuelle considérable (due à la nature du stimulus lui-même et également au type de tâche demandée), et par ce fait, il est entendu que plus le nombre de sujets testés est important, plus nous serons en mesure d’augmenter la qualité du signal EEG en diminuant les interférences dues au nombre de sujets.

Toujours dans le même objectif, il conviendrait d’effectuer une expérience en induisant non plus des mélanges odorants comme apport de l’apprentissage, mais chaque molécule odorante véhiculant chacune une note odorante spécifique, puis de tester les performances en discrimination dans les mélanges qui sous-tendent. D’autre part, les enregistrements des potentiels évoqués olfactifs en réponses aux odeurs seules, puis en mélanges pourraient être comparés avec moins de difficultés. De cette manière, il deviendra possible d’enregistrer des potentiels évoqués moins bruités car nous serions en mesure de quantifier la part de la réponse corticale associée à chaque composé dans la réponse corticale enregistrée pour les différents mélanges odorants.