1.2. La genèse de la banque 9

La banque est une très vieille institution, probablement l’une des plus anciennes. D’après les historiens, on trouve des témoignages d’activité bancaire qui remontent à environ 3500 ans avant J.-C. En effet, à l’époque sumérienne, les prêtres du Temple rouge d’Ourouk en Mésopotamie : (1) recevaient des offrandes et rassemblaient des ressources énormes par l’accumulation de petits dépôts et dons en nature, (2) possédaient des domaines et les faisaient fructifier, (3) prêtaient aux commerçants, aux agriculteurs et aux plus démunis, (4) consignaient ces opérations sur des tables d’argile. A travers leur statut religieux, les prêtres incarnaient la sécurité et la confiance, éléments qui sont aujourd’hui encore, indispensables à l’essor de l’activité bancaire.

Vers 2000 avant J.-C., un vaste réseau de banques privées s’étendait de la Mésopotamie à tout l’Orient méditerranéen. Ceci a fait apparaître la nécessité d’établir des règles pour encadrer l’activité bancaire. C’est dans le Code d’Hammourabi, roi de la première dynastie babylonienne (1955-1913 avant J.-C.) que l’on trouve la plus ancienne réglementation du dépôt de marchandise et du prêt : pour éviter l’usure, tout contrat de prêt devait être visé par des fonctionnaires royaux.

L’invention de la monnaie métallique vers 600 avant J.-C., va donner une nouvelle dimension à l’activité bancaire. C’est Phidon, roi d’Argos, qui serait à l’origine de cette invention.

Il aurait eu l’idée de fractionner le métal lingot en portions de poids identiques, frappées d’un sceau. Les premières pièces métalliques furent composées d’un alliage naturel d’or et d’argent appelé electrum, provenant de la rivière Pactole. Mais, le fait que la proportion d’or dans l’électrum variait d’une pépite à l’autre posait problème. Crésus serait le premier à avoir séparé les deux métaux pour frapper des pièces de statères (1 statère d’or étant égal à 20 statères d’argent).

A partir de 500 avant J.-C., les opérations bancaires prospèrent en Grèce antique (1400 cités grecques battaient monnaie). Des petits prêteurs d’argent (Trapézites 10 ) et des changeurs (Collubistes) s’installent sur les foires et les marchés. S’enrichissant, ces individus se sédentarisent et ouvrent boutique, devenant ainsi de véritables banquiers. Ce faisant, ils reçoivent des dépôts et accordent des prêts. Par la suite, ils développent un système de paiement efficace, d’autant plus que l’obole et la drachme s’imposent comme la monnaie de tout le bassin méditerranéen. Ainsi, grâce à un document remis par une banque d’Athènes un commerçant pouvait retirer une somme d’argent du compte d’un client d’une banque de Sinope.

Dès 400 avant J.-C., les Etats et les villes de Grèce fondent des banques publiques chargées de garder les fonds publics, d’encaisser les recettes et de payer les dépenses. La Grèce est par la suite conquise et gouvernée par Philippe II de Macédoine (359-336 avant J.-C.), puis par son fils Alexandre III (336-323) qui étend son empire jusqu’à la Perse, la Bactriane, l’Inde et l’Egypte. Cet empereur jouera un rôle important dans la standardisation du monnayage au travers des différentes régions de son empire. A partir de 300 avant J.-C., Rome chasse le roi de Macédoine et établit un protectorat sur la Grèce qui devient, par la suite, une province romaine au nom de d'Achaïe.

A l’origine, les Romains sont très peu attirés par les activités bancaires : Ce sont des agriculteurs plus que des commerçants. Mais, au fur et à mesure que leurs conquêtes militaires s’intensifient, ils développent des échanges commerciaux avec plusieurs peuples. Se posent alors des problèmes tels que le change des monnaies, la levée et le transfert des impôts et l’entretien des armés en campagne.

Pour remédier à ce genre de problèmes, on voit apparaître, sur le modèle grec, des banques privées (Argentarii) et des banques publiques (Mensae). Les premières installent d’abord leurs tables (banca) sur le Forum, puis s’établissent dans des comptoirs donnés en location par l’Etat. Les secondes sont établies dans les provinces pour collecter les impôts, émettre de la monnaie et assurer les opérations de change.

Vers 200 avant J.-C., la vie économique s’épanouit à Rome. Des lois strictes encadrent alors les opérations bancaires : des plafonds aux taux d’intérêt, un moratoire pour les débiteurs insolvables et l’interdiction de la mise à mort des débiteurs par leurs créanciers. Après la rupture de l’empire romain (395 après J.-C.), on observe des évolutions contrastées. L’activité bancaire décline dans l’empire romain d’occident qui se féodalise du fait des invasions externes (disparition de cet empire en 476). En revanche, l’activité bancaire prospère dans l’empire romain d’orient (qui durera jusqu’en 1453).

Au moyen-âge, la diversité des monnaies stimule l’activité de changeur, assurée par des négociants orientaux (les Syriens) qui s’installent dans les grandes villes d’occident. En 789, Charlemagne et l’Eglise interdisent le prêt à intérêt, ce qui restreint significativement l’expansion de l’activité bancaire. Toutefois, vu les nécessités économiques, le prêt finira (pendant près de trois siècles) par être toléré à condition d’être pratiqué par les Juifs qui se spécialisent dans le prêt sur gage ou par les monastères qui jouent le rôle de banquiers dans les campagnes.

Du 10e au 15e siècle, l’activité bancaire se développe du fait des croisades qui permettent de rétablir les échanges commerciaux entre l’orient et l’occident. Apparaissent alors les Lombards, banquiers italiens de Venise, Pise et Gênes, qui établissent leurs comptoirs en France, Flandre, Angleterre, Orient et Afrique du Nord. Ces Lombards se spécialisent surtout dans les activités de prêts à intérêt et de change. En 1119 apparaissent les Templiers, ordre religieux et militaire fondé à Jérusalem. Cet ordre fonctionne en réseau qui s’étend à toute l’Europe et donne naissance à une activité bancaire mieux ordonnée. En dehors du financement des croisades, les Templiers maîtrisaient toutes les techniques bancaires de l’époque : dépôts à vue et à terme, opérations de changes, caisse de consignation, création de monnaie, comptabilisation en partie double, etc. Cet ordre sera interdit par le Pape en 1313 après qu’en 1307, Philippe le Bel, conseillé par les Lombards, a décidé de le supprimer en France.

Au cours de la même période, l’activité bancaire va également se développer par le biais du commerce de foire. En effet, beaucoup de villes se créent tout au long de l’axe commercial Pays-Bas / Italie, et les foires de Champagne et de Lyon deviennent des lieux habituels de rencontre et d’échange entre les marchands de diverses régions. Ces foires sont à l’origine d’une profonde mutation des techniques bancaires. Pour éviter de transporter des sommes en numéraire, la monnaie se dématérialise et la lettre de paiement (Lettra di pagamento), ancêtre de la lettre de change voit le jour. C’est une reconnaissance de dette par laquelle un marchand s’engage à verser à une date convenue une somme d’argent due à un autre marchand, soit à une prochaine foire, soit à un banquier, chargé d’en verser le montant au banquier du créancier. Ce dernier cas de figure montre que d’importantes relations interbancaires existaient déjà à l’époque, par le moyen de comptes que les banques avaient les unes chez les autres.

Plus tard, les marchands utiliseront un instrument de paiement plus souple, en l’occurrence, la lettre de change qui se transmet entre créanciers par simple endos. Grâce au crédit octroyé par l’intermédiaire de ce nouvel instrument, les banquiers contribuent indirectement à la création monétaire. Toutefois, le prélèvement d’un intérêt étant prohibé par l’Eglise, ces banquiers profitent de la diversité des monnaies pour se rémunérer grâce à la différence des taux de change à terme et au comptant.

A la Renaissance (15e siècle), deux événements donnent un nouveau souffle à l’activité bancaire. D’abord, les expéditions en Afrique et la découverte du nouveau monde permettent d’amener en Europe d’énormes quantités d’or, souvent entreposées dans les coffres-forts des banques. Ensuite, l’extension du protestantisme qui, contrairement au catholicisme, reconnaît la légitimité du prêt à intérêt. Plusieurs grandes innovations apparaissent à cette époque : les premières formes de billet de banque (invention de l’imprimerie), de nouvelles techniques de monnayage, l’escompte des effets de commerce, les actions de sociétés, la bourse, etc. En outre, l’utilisation des chiffres arabes va significativement faciliter les calculs monétaires qui se faisaient jusqu’alors à travers les chiffres romains.

Parallèlement, les banques publiques font un retour en force. Elles ont pour principale mission le financement des villes. Pour ce faire, elles émettent des emprunts. Petit à petit, leurs créanciers finissent par devenir des déposants qui, du fait de l’afflux de nouveaux dépôts, ne sont plus obligés d’attendre le remboursement des emprunts pour disposer de leurs fonds.

Cependant, les banques privées poursuivent leur ascension dans toute l’Europe. Ces banques de dimension internationale ne pratiquent pas seulement le prêt à la consommation et le prêt aux Princes, mais s’adonnent au financement du commerce maritime et aux opérations de change. L’exemple de Jacques Cœur en France, des Médicis, Albertis et Strozzi à Florence, des Fugger à Augsbourg (Allemagne), illustre l’association étroite de l’activité bancaire et de la politique à cette époque.

Le 16e siècle marque l’apparition de la banque moderne. D’abord, c’est la Banque d’Amsterdam (Wisselbank) qui est créée en 1609. Cette banque a une grande renommée car c’est elle qu’A. Smith retient pour étudier l’activité bancaire. Elle détenait le monopole des lettres de changes (d’un montant supérieur ou égal à 600 florins) sur Amsterdam, qui devaient obligatoirement être payées par virement sur ses livres. A partir de 1640, la Banque d’Amsterdam délivre à ses déposants des certificats négociables libellés dans une monnaie de compte dite le « banco-florin », qui avait une valeur variable en florin de compte « habituel », lié au florin métallique par un rapport fixe de 1 pour 1. Les certificats de la banque deviennent par la suite des titres représentatifs du métal et donnent lieu à des négociations entre les marchands.

Mais, l’histoire monétaire retiendra Palmstrusch, fondateur de la Banque de Stockholm comme l’inventeur du billet de banque moderne. En effet, en 1661, la Banque de Stockholm émet des certificats représentatifs de dépôts qui ne comportent ni intérêts, ni commissions, ni échéance précise et sont reconvertibles à tout instant en espèces, à leur valeur nominale. Ces certificats connaissent un vrai succès d’autant plus qu’ils permettent de s’affranchir de l’usage d’une monnaie de cuivre lourde et encombrante. Leur mise en circulation se fait en contrepartie d’un versement en espèces ou d’une simple reconnaissance de dette. La banque de Stockholm incarne la première banque de circulation au monde, distribuant des liquidités sans nécessairement collecter des dépôts au préalable.

Vers la même époque, les orfèvres de Londres appelés Goldsmiths connaissent une ascension fulgurante après que les avoirs métalliques des marchands, déposés auprès de la Tour de Londres ont été confisqués par Charles 1 er . Les Goldsmiths en profitent pour devenir de véritables banquiers, remettant des reçus (promissory notes) en contrepartie des dépôts métalliques.

Les reçus en question avaient trois grandes particularités : ils étaient payables à vue, fractionnés en coupures d’un montant égal et circulaient par simple endossement. Au début, les Goldsmiths ne remettaient ces fameux reçus que contre dépôt d’espèces. S’apercevant de la faiblesse des demandes de reconversion en espèces, ils se mirent, par la suite, à remettre des reçus à des emprunteurs.

La faillite des Goldsmiths londoniens entraîne la création en 1694 d’une banque d’émission privée : la Banque d’Angleterre (The Governor and Company of the Bank of England). Celle-ci pouvait recevoir des dépôts, émettre des billets au porteur d’une valeur fixe et escompter les lettres de change nationales et étrangères. Elle obtint le monopole d’émission des billets pour l’Angleterre et le Pays de Galles en 1708 (en échange d’un prêt consenti à la couronne).

En France, J. Law crée en 1716 la Banque Générale. Celle-ci reçoit un privilège de vingt ans pour l’émission des billets et réalise des opérations de prêts et de change. Puis en 1718, elle devient la Banque Royale, mais fit faillite par la suite. Plus tard, en 1776, la Caisse d’Escompte, banque privée d’envergure est créée pour consolider la place de Paris qui ne comptait à l’époque que 66 petites banques. Mais cette banque qui consentis d’importants prêts aux gouvernements successifs fut liquidée en 1793 au nom de la Convention.

Les anciens dirigeants de la Caisse d’Escompte créent en 1800 la Banque de France, à l’instigation de Bonaparte qui réformera ses statuts en 1806 pour la rapprocher davantage de l’Etat en lui accordant le privilège de battre monnaie. Les grands établissements bancaires français actuels apparaissent à l’époque. La première Caisse d’Epargne et de prévoyance est fondée en 1818, le Comptoir national d’escompte de Paris (à l’origine de la BNP) en 1848, le Crédit Industriel et Commercial en 1859, le Crédit Lyonnais en 1863 et la Société Générale en 1864. Ces créations accompagnent l’essor de l’activité économique dans le contexte de la révolution industrielle et de l’expansion coloniale. Par la suite, d’autres préoccupations socio-économiques, et notamment la promotion de l’agriculture et de l’artisanat, donnent naissance à divers réseaux à vocation particulière, comme le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel et les Banques Populaires. La loi du 13 juin 1941 organise l’activité des banques en définissant pour la première fois celles-ci comme : ‘«’ ‘ Des entreprises ou établissements qui font profession habituelle de recevoir du public, sous forme de dépôts ou autrement, des fonds qu'elles emploient pour leur propre compte en opérations d'escompte, en opérations de crédit ou en opérations financières ’ ‘»’ ‘.’

Par la suite, la loi du 2 décembre 1945 refond l’ensemble du système bancaire français. Les grandes banques sont nationalisées 11 , un contrôle bancaire est mis en place et le principe de spécialisation des banques, réparties en banques d’affaire, banques de dépôts ou banques de crédit à long et moyen terme est instauré. Ce n’est qu’à l’issue des réformes introduites par les décrets Debré de 1966-1967 que l’on assiste à la déspécialisation et à l’universalisation des banques en France. Enfin, la loi bancaire du 24 janvier 1984, actuellement en vigueur, mais modifiée et complétée à plusieurs reprises (notamment en 1996 12 ) consolide la modernisation de l’activité bancaire, eu égard aux mutations financières.

L’histoire de la banque aux Etats-Unis est assez récente. Elle remonte officiellement à 1783, date à laquelle les Britanniques reconnaissent l’indépendance des Etats-Unis (traité de Versailles). Auparavant, l’activité bancaire était très peu développée et s’organisait autour de quelques banques de campagne (country banks) et des bureaux de représentation dépendant de la métropole. Après l’indépendance, plusieurs banques d’Etat (state banks) sont fondées via l’obtention d’une licence d’exercice (charter) auprès des gouvernements locaux (la première banque créée est la Bank of North America en 1782 à Philadelphie).

En 1791, le Congrès américain crée la Banque des Etats-Unis qui assumait à la fois des fonctions de banque commerciale et de Banque Centrale (banque d’émission). La licence de cette banque sera prolongée jusqu’en 1836. La période s’étalant de 1836 à 1864 correspond à une phase de liberté bancaire (free banking) caractérisée par l’absence de Banque Centrale et de réglementation bancaire nationale. Chaque gouvernement local avait en charge la réglementation des banques exerçant dans sa circonscription. En réalité, les banques étaient souvent laissées libres d’agir et d’émettre leur propre monnaie. Cette situation a rapidement débouché sur un état d’anarchisme monétaire et d’escroquerie bancaire (apparition des Wildcat Banks ou banques sauvages) accentué, par la suite, par la guerre civile.

Ainsi, en 1860, pas moins de 10 000 différents billets de banque circulaient aux Etats-Unis, ce qui encourageait la contrefaçon et pénalisait le développement du commerce. Devant cette situation, de nouvelles lois furent adoptées : les National Currency and National Bank Acts de 1863 et 1864.

Ces lois ont permis (1) de créer des banques d’envergure nationale, (2) d’instaurer le Bureau du Contrôleur de la Monnaie (Office of the Comptroller of the Currency) 13 chargé de l’agrément et de la supervision des banques nationales, (3) d’uniformiser et de centraliser l’émission de monnaie via l’émission de national bank-note. Après une série de paniques bancaires, le Federal Reserve Act qui crée la Fed est adopté en 1913. Malgré plusieurs amendements, c’est ce dispositif qui organise, aujourd’hui encore, le système bancaire américain.

Au total, ce panorama nous a permis de constater l’histoire très mouvementée de la banque qui puise ses racines dans un passé très lointain. Il est intéressant de voir, maintenant, la place que la banque occupe en tant qu’objet d’étude dans l’histoire de la pensée économique.

Notes
9.

Pour une revue de l’histoire bancaire voir, entre autres, Green (1989), Bichot (1997) et Allen et Galle (2000c).

10.

De trapeza qui signifie table en grec.

11.

L’article 6 de la loi du 2 décembre 1945 stipule la nationalisation des banques suivantes : le Crédit Lyonnais, la Société Générale, le Comptoir National d’Escompte de Paris et la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie - ces deux dernières banques fusionneront en 1966 pour former la Banque Nationale de Paris.

12.

Loi du 2 juillet 1996 portant la modernisation des activités financières qui définit les services d’investissement.

13.

Le Contrôleur de la Monnaie fait partie du département du Trésor.