1.3. La banque, une préoccupation ancienne dans la pensée économique

Dans cette revue sommaire de la banque en tant qu’objet d’étude au travers de l’histoire de la pensée économique, nous nous intéressons exclusivement aux grands économistes qui ont développé une analyse « élaborée » de la banque.

Smith (1723-1790), largement considéré comme le père fondateur de l’économie politique, est également présenté par certains (notamment Diatkine, 2002, p.09) comme le fondateur de la théorie bancaire. Il faut dire qu’avant lui, les idées mercantilistes et physiocrates qui n’accordaient pas de véritable importance à l’activité bancaire étaient largement diffusées 14 . Alors que les premiers prônaient principalement la thésaurisation 15 des espèces métalliques, l’industrie manufacturière et le commerce extérieur comme sources de richesse économique, les seconds ne voyaient cette richesse que dans l’agriculture.

L’époque de Smith coïncide avec l’avènement de la banque moderne, émettrice de papier-monnaie.

Dans son ouvrage « An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations » de 1776, Smith appréhende les banques comme des acteurs économiques dont la fonction consiste à faciliter ou à lubrifier les transactions et la circulation monétaire. Leurs rôles en matière de financement des investissements à long terme (LT) et de collecte d’épargne sont ignorés. Dans son analyse, on note que les instruments bancaires (billets, certificats, comptes de dépôts) permettent d’améliorer le bien-être de la société dans la mesure où ils se substituent aux espèces métalliques, sans toutefois en augmenter le montant. Ces instruments permettent d’économiser les coûts suscités par la manipulation de la monnaie métallique.

Autrement dit, les banques offrent aux commerçants la possibilité de détenir des « encaisses de transaction » pour faire face aux décalages entre leurs dépenses et leurs recettes non plus sous forme métallique coûteuse et risquée, mais sous forme fiduciaire et scripturale. Ce faisant, elles transforment le capital improductif (oisif) des commerçants sous forme métallique en capital productif qui générera une valeur ajoutée pour le commerçant et son pays.

Ceci dit, Smith insiste sur le fait qu’à travers l’escompte d’effets et les découverts, les banques ne doivent procurer aux commerçants qu’une encaisse de transaction ou de trésorerie à court terme (CT), et non du capital qui sert à faire des investissements à LT. Sans s’en rendre compte, Smith va pour la première fois faire allusion au rôle des banques dans la réduction des asymétries d’information et le monitoring. En effet, selon lui, il existe deux types d’emprunteurs s’adressant aux banques : les prudents et les spéculateurs (ou faiseurs de projets). Tandis que les premiers n’empruntent (essentiellement grâce à l’escompte d’effets) qu’à CT pour disposer d’une encaisse de transaction, les seconds émettent et escomptent des lettres de change fictives dans le but de financer des projets risqués. Lorsqu’une banque fait crédit aux spéculateurs, elle encourt le risque de faire faillite du fait de la conjugaison de deux facteurs : d’une part, l’insolvabilité des emprunteurs-spéculateurs et, d’autre part, l’incapacité d’honorer les demandes de reconversion en métal faites par les détenteurs du papier-monnaie émis par la banque.

C’est pourquoi, Smith recommande aux banques de discriminer leurs emprunteurs. Pour garantir la bonne qualité de ces derniers, elles peuvent, par exemple, leur demander des garanties ou des remboursements fréquents et réguliers.

Ceci dit, Smith admet la difficulté de distinguer la véritable nature des emprunteurs et de différencier entre les effets de commerce « réels » et « fictifs ». Aussi, il conclut à la nécessité d’une réglementation bancaire, puisque le fait de financer les spéculateurs peut déboucher sur une crise financière dont le résultat est à la fois la faillite des banques et la destruction de capital productif, situation qui pénalise la croissance économique et le bien-être collectif. Parmi les garde-fous que Smith préconise pour éviter cette situation, l’interdiction de mise en circulation de petites coupures bancaires afin d’éviter les effets de diffusion et de contagion.

Dans son ouvrage « An Inquiry into the nature and effects of the paper credit of Great-Britain  » de 1802, Thornton (1760-1815) critique la réflexion précédente menée par Smith. Il souligne tout d’abord qu’un même bien peut servir de garantie à plusieurs traites, donc à diverses opérations d’escompte. En fait, le banquier escompteur ne peut vérifier si ces traites correspondent à de réels échanges.

En outre, Thornton indique que les banques ne sont pas de simples lubrificatrices des échanges, mais qu’elles jouent également un rôle important en matière de financement des investissements via l’émission de dettes sur elles-mêmes. Par ailleurs, il souligne le rôle vital que doit jouer la Banque Centrale, d’une part, en tant que stabilisatrice le la valeur de la monnaie et, d’autre part, en tant que Prêteur en dernier ressort (PDR) en cas de paniques bancaires.

Thornton développe une conception originale qui fait du crédit et non de la monnaie, la pierre angulaire d’une économie d’échanges. Selon lui, il ne peut y avoir d’échanges sans crédit, et la monnaie métallique n’est qu’une manifestation matérielle de celui-ci. L’approfondissement de la confiance entre les agents économiques permet alors l’apparition de « papier de crédit » qui correspond à la dématérialisation – grâce à l’écriture – des engagements de paiement (lettres de changes, billets à ordre, écritures dans les livres des commerçants ou des banquiers). Le billet de banque a ceci de particulier qu’il est de meilleure qualité (moins risqués) que les autres engagements de paiement, c’est pourquoi il est largement accepté dans les échanges.

Ceci étant, le papier de crédit (au sens général) véhicule deux grands risques : le risque de solvabilité et celui d’illiquidité.

Thornton souligne alors le rôle des banques en tant qu’évaluatrices de la solvabilité des emprunteurs via, d’une part, l’escompte des effets et l’octroi de découverts et, d’autre part, les prestations de paiements. En effet, ces deux activités permettent aux banques de collecter d’importantes informations sur les commerçants et industriels.

S’agissant du risque d’illiquidité, Thornton note que tout agent détenteur d’un actif (bien, valeurs mobilières, etc.) encourt un risque d’illiquidité s’il ne peut rapidement transformer celui-ci en monnaie. La liquidité est définie par la possibilité de conversion rapide en monnaie, sans coût ni variation importante de prix. Les actifs les plus liquides servent de moyens de paiement (circulating medium) à l’image des lettres de changes, des traites commerciales et des billets émis par les banques provinciales et par la Banque d’Angleterre. En fonction de la confiance des agents économiques dans ces moyens de paiement, d’une part, et des taux d’intérêt qui leur sont attachés, d’autre part, ils ont une certaine vitesse de circulation qui varie dans le temps.

Ce constat amène Thornton à remettre en cause la règle de stricte proportionnalité proclamée par Smith entre la quantité de billets de banque en circulation et la quantité de marchandise à faire circuler, ou encore la quantité d’espèces métalliques qui circulerait si le crédit n’existait pas.

Selon Thornton, il ne peut exister une stricte correspondance entre le billet de banque et le métal dans la mesure où leurs vitesses de circulation sont différentes. Par ailleurs, les billets de la Banque d’Angleterre, largement utilisés à l’époque comme moyen de paiement ultime par les gros commerçants et les banques provinciales, devaient obéir selon Thornton à une offre flexible. En effet, en cas de crise d’illiquidité, ces billets de bonne qualité étaient les premiers à être thésauriser. Or, pour remédier à la crise, il était nécessaire d’injecter une quantité additionnelle de ces billets, condition incompatible avec la règle de proportionnalité défendue par Smith. Ainsi, Thornton prône la suspension momentanée de la convertibilité des billets de la Banque d’Angleterre en périodes de difficultés.

Pourtant, en 1810, Thornton qui était membre du « Comité des Bullionistes 16  », participe à la rédaction d’un rapport qui prône le retour à la convertibilité des billets de la Banque d’Angleterre en espèces métalliques. Cette position était également défendue par certains de ses contemporains comme Ricardo (1772-1823) et Wheatley (1772-1830) et représentera, par la suite, le fer de lance de la « Currency School ». Les arguments de cette école trouvent un écho auprès des décideurs de l’époque et dès 1844, la Banque d’Angleterre applique un coefficient de 100% entre ses émissions de billets et ses réserves métalliques. Toute réduction des réserves est alors automatiquement suivie d’une baisse d’émission de papier.

A l’opposé, les partisans de la « Banking School » et notamment Tooke (1774-1858) s’opposaient à l’existence d’une règle de proportionnalité entre les billets de banque et les réserves métalliques. Pour eux, l’émission des billets de banque devait traduire des besoins de l’économie.

Tooke développe ses idées au travers de deux grands ouvrages : « A History of Prices and of State of the Circulation » (1838-1856) et « An Inquiry into the Currency Principle » (1844). L’auteur adopte une vision très large des instruments monétaires et rejoint en cela la conception de Thornton des « circulating medium » (billets de banques, comptes de dépôts, lettre de changes, traites, etc.). Dans ce cadre, il souligne que l’intersubstituabilité des différents moyens de paiement rend inefficace le contrôle de la seule émission des billets de banque comme moyen de stabiliser le niveau des prix internes.

D’après Tooke, les instruments monétaires et notamment les billets bancaires sont émis à la demande des commerçants et industriels comme avance en capital, en fonction des besoins de la circulation. Ce sont des instruments de crédit. Dès lors, la « loi du reflux » (développée par Fullatron) fait en sorte que les billets bancaires non désirés par les agents économiques reviennent aux banques émettrices à l’occasion de remboursement de crédit, de dépôt ou de demande de reconversion en espèces.

Tooke se positionne ainsi contre la théorie quantitative de la monnaie qui établit une relation stricte entre les billets de banque et les réserves métalliques.

Pour lui, c’est la quantité de billets qui est fonction de la valeur des marchandises à faire circuler en tant que capital. L’augmentation de la quantité de billets en circulation est donc la conséquence et non la cause de l’augmentation des transactions et des prix dans l’économie.

Tooke souligne la nécessité d’encadrer la distribution de crédits bancaires qui serait à l’origine des épisodes d’instabilité. Il dénonce les pratiques imprudentes de certaines banques qui escomptent des effets et consentent des avances trop facilement, sans s’assurer de la solvabilité des emprunteurs (et de la qualité de leurs garanties). Un régime de convertibilité des billets de banque en espèces métalliques devrait, à travers la loi du reflux, discipliner les banques.

Au regard de la Grande Dépression de 1929, Fisher (1867-1947) se replonge dans le débat qui oppose la banking school à la currency school. Considérant que la monnaie est à l’origine des fluctuations de l’activité économique, il donne raison à la seconde école et approfondit ses enseignements. Il attribue ainsi à la Banque Centrale (BC) la tâche de réguler la valeur de la monnaie via une politique monétaire qualifiée aujourd’hui de « monétariste », et axée sur une règle quantitative d’offre de monnaie.

S’agissant des banques de second rang, Fischer défend, à travers son ouvrage « 100% Money » publié en 1935, un projet de réforme de leur activité. L’auteur considère que le crédit bancaire est à l’origine des troubles monétaires macroéconomiques via sa connexion avec le système de paiement. Aussi, il propose de scinder les banques en deux compartiments distincts : L’un, assurant la collecte des dépôts et la gestion des moyens de paiement (départements de chèques) et, l’autre, la distribution de crédits à l’économie (département de prêts et investissements) 17 . La finalité de cette réforme est d’empêcher les banques de créer de la monnaie sous forme de nouveaux dépôts, à partir des crédits. Pour cela, Fisher demande l’application aux banques d’un coefficient de réserve de 100% à la place du système de réserves fractionnaire. Autrement dit, l’ensemble des comptes de dépôts à vue bancaires ne devrait refléter que de la monnaie déjà en caisse 18 .

Les banques sont identifiées comme l’origine des maux macroéconomiques internes dans le sens où elles gonflent artificiellement la masse monétaire par des dépôts à vue qui n’ont pas de réelles contreparties. Cela crée des fluctuations très fortes de l’activité économique qui est emprisonnée dans un cycle d’inflation - déflation. En effet, selon Fisher, à une phase expansive de surémission de monnaie bancaire qui nourrit l’inflation, succède automatiquement une phase déflationniste lorsque les banques accroissent leurs réserves pour réduire leur risque d’illiquidité (par rapport aux déposants) et d’insolvabilité (par rapport aux emprunteurs). Il y a alors une diminution nette de la quantité de monnaie dans l’économie.

Schumpeter (1883-1950) va sévèrement critiquer la position de Fisher en explicitant le rôle vital des banques en matière de croissance économique, via le financement de projets innovants. Dans son ouvrage « Business Cycles : A Theoretical Historical and Statistical Analysis of the Capitalist Process » publié en 1939, il souligne l’importance du secteur bancaire en tant que créateur de nouveaux moyens de paiement à travers les crédits consentis aux entrepreneurs. Ces crédits qui ne relèvent pas d’une épargne ex ante, permettent d’accroître le niveau des richesses produites dans l’économie.

En fait, le crédit bancaire fait émerger un nouveau pouvoir d’achat, chose impossible à partir d’une épargne préexistante qui traduit une abstention de consommer. Ainsi, l’entrepreneur peut, grâce au crédit bancaire, prélever des biens et services d’investissement sans réelle contrepartie, qu’il remplacera, ex post, par de nouveaux biens et services.

Schumpeter attribue aux banques un rôle essentiel dans l’évaluation, la sélection et le suivi des projets viables (solvables) portés par les entrepreneurs. Une relation de clientèle suivie permet précisément aux banques d’acquérir de riches informations sur leurs clients emprunteurs. Il précise que les banquiers doivent faire preuve de compétences spécifiques et de qualités morales particulières, à défaut desquelles, ils ne peuvent évaluer correctement les projets en attente de financement. Il en découle le risque d’insolvabilité de certaines banques qui peut entraîner une crise systémique ayant des répercussions profondes sur l’économie entière.

Au total, Schumpeter est aux antipodes de la conception classique de la banque qui n’envisage celle-ci que comme un acteur passif ou de second rage dans l’économie.

Il rompt ainsi avec la tradition de la « banque de dépôt » et met en exergue l’importance de la « banque d’affaires ». Pour lui, les banques sont des acteurs spécifiques dans la mesure où elles ne se limitent pas à réaffecter une épargne préexistante vers des emplois à CT, mais créent de nouveaux moyens de paiement qui permettent de financer l’innovation, véritable moteur de l’évolution économique.

Telle semble également être la position de Hawtrey (1879-1975) qui considère, dans son ouvrage « Currency and Credit » publié en 1919, la banque comme une activité produisant à la fois du crédit et de la monnaie (production jointe). L’auteur présente le crédit comme étant à l’origine de la monnaie. Il construit son raisonnement à partir d’une économie contemporaine (britannique) dépourvue de monnaie. Dans cette économie, les biens et services sont échangés non pas contre d’autres biens et services, mais contre des reconnaissances de dettes privées. Tout achat crée une dette et toute vente crée une créance. La nécessité d’une monnaie se fait alors ressentir pour effectuer les compensations et régler les soldes entre les créances et les dettes privées. La monnaie joue alors deux rôles distincts. D’une part, elle constitue un étalon qui permet de libeller les créances et les dettes dans une unité de mesure commune (fonction d’unité de compte). D’autre part, elle permet de solder les positions créditrices et débitrices entre les agents économiques (fonction de moyen de paiement).

Les dettes privées émises par les agents économiques comportent des risques et notamment un risque de solvabilité. Dès lors, toute dette est garantie par une richesse détenue par son émetteur. Un créancier n’est intéressé que par la richesse qu’il peut avoir à partir d’une dette. Toutefois, la solvabilité d’un débiteur quelconque n’est pas assez connue pour que sa dette puisse servir de moyen de paiement.

Hawtrey introduit alors deux types de monnaies. D’abord, une monnaie exogène ou de premier rang dite « monnaie », correspondant aux dettes de la BC (espèces et dépôts à la Banque d’Angleterre). Ensuite, une monnaie endogène offerte par les banques secondaires qu’il qualifie de « monnaie-crédit ». Le rôle principal de ces banques est d’effectuer la centralisation et la compensation des dettes et créances privées. Pour ce faire, elles substituent leurs propres dettes à celles des agents économiques qui sollicitent leurs services (les emprunteurs). Les dettes bancaires sont largement acceptées dans le règlement des dettes privées car elles sont de meilleure qualité.

Cependant, les banques secondaires doivent assurer la convertibilité de leurs dettes en monnaie exogène. Cela permet de réguler leur offre de monnaie-crédit et les incite à limiter leur prise de risque.

D’après Hawtrey, les banques font face à deux grands risques : d’illiquidité et de solvabilité. Le premier procède de la confiance des déposants et peut être évité si la banque conserve des actifs à CT qu’elle peut rapidement transformer en monnaie exogène en cas de difficulté. Elle peut également réduire ce risque en ayant recours au marché monétaire et/ou à la BC en tant que PDR. Le second risque est lié à la solvabilité des emprunteurs. La banque gère ce risque en prenant des garanties en fonction des fonds propres des emprunteurs.

On retrouve également chez Keynes (1883-1946) la distinction entre monnaie et crédit, d’un côté, et entre monnaie endogène propre aux banques secondaires et monnaie exogène propre à la BC, d’un autre côté. Dans son ouvrage «  A Treatise on Money » publié en 1930, Keynes attribue aux banques secondaires un double rôle. D’une part, elles fournissent un substitut à la monnaie étatique en agissant collectivement comme une chambre de compensation qui effectue les paiements courants entre les agents économiques par le biais d’écritures comptables 19 . D’autre part, elles agissent comme des intermédiaires qui collectent des dépôts du public afin d’acheter des titres ou octroyer des crédits à l’industrie ou au commerce dans le but de répondre aux demandes d’investissement productif. Il faut préciser que la fonction d’intermédiation financière pour Keynes ne se limite pas à la redistribution de dépôts préalablement collectés, mais consiste à « créer activement de nouveaux dépôts » en faisant des crédits ou avances à l’économie 20 .

Le dilemme du banquier est alors de combiner de manière satisfaisante ces deux fonctions dont les exigences peuvent être contradictoires. En effet, l’octroi de crédits réduit les fonds disponibles en réserves pour répondre à la demande de liquidité émanant des déposants.

Comme l’atteinte complète de l’une des deux fonctions est parfois incompatible avec l’atteinte complète de l’autre, Keynes souligne qu’il revient aux responsables du système bancaire (superviseurs) de trouver un juste compromis entre les deux. Celui-ci doit veiller, autant que possible, à garantir le pouvoir d’achat de la monnaie sans toutefois compromettre le financement des investissements.

Dans son fameux ouvrage « The General Theory of Employment, Interest and Money » publié en 1936, Keynes ne revient pas sur le rôle des banques au sein de l’économie dans la mesure où il s’intéresse davantage à la monnaie exogène émise par la BC et au marché financier. Toutefois, les nombreuses critiques qui font suite à cette publication le poussent à reconsidérer le rôle des banques secondaires à travers la notion de « finance » 21 .

A cette occasion, il publie plusieurs articles entre 1936 et 1939, dans lesquels il défend son rejet de la contrainte d’épargne préalable en montrant que l’investissement peut être entravé par manque de monnaie de crédit, mais non par manque d’épargne. Pour ce faire, il rompt avec le cadre d’analyse statique de la Théorie Générale et revient à un cadre d’analyse dynamique proche du Traité de la monnaie.

La notion de « finance » est en fait un mécanisme d’avance monétaire qui recouvre essentiellement le crédit bancaire. Cette notion n’a rien à voir avec l’épargne. Toutefois, elle est à l’origine d’une partie de cette dernière dans la mesure où elle permet la distribution de nouveaux revenus liés à la production. Somme toute, Keynes montre que les banques sont indispensables à l’économie car elles sont les seules capables de soutenir les plans de financements des entrepreneurs indépendamment de l’épargne disponible.

Ce panorama très sommaire nous a permis de constater que la banque représente un sujet de préoccupation ancien dans la pensée économique.

Notes
14.

Il convient ici de souligner quelques exceptions, à l’image du mercantilisme fiduciaire développé en France par J. Law (1671-1729) qui crée en 1716 la Banque Générale. L’idée du mercantilisme fiduciaire est que l’enrichissement d’un pays dépend de l’existence d’un système bancaire permettant la circulation de billets de banque et suppléant à l’insuffisance de la monnaie métallique pour financer les besoins de l’activité économique. Mais la déconfiture du système instauré par Law suite aux conspirations de ses adversaires met rapidement fin à cette expérience.

15.

Le verbe thésauriser vient du latin « Thesaurus » qui signifie « trésor ». Thésauriser signifie accumuler des valeurs pour elles-mêmes. La thésaurisation s’oppose à l’épargne. En effet, la première est stérile, tandis que la seconde est productive. Celui qui épargne permet à d’autres d’investir alors que celui qui thésaurise prive au contraire les autres des ressources qu’il accumule.

16.

Comité chargé d’enquêter en 1810 sur les causes de la hausse du prix de l’or et de la baisse du taux de change de la Livre après la suspension de la convertibilité de celle-ci durant les guerres napoléoniennes. Il faut rappeler qu’en 1797, la Banque d’Angleterre décide de suspendre la convertibilité de ses billets en métal suite à une ruée sur ses guichets faisant suite à des rumeurs de débarquement français au Pays de Galle. La suspension durera jusqu’en 1821.

17.

Fisher reprend ici les dispositions de l’acte de Pell de 1844 qui organise la Banque d’Angleterre en deux grands départements distincts : un département de banque et un département d’émission.

18.

On retrouve ici les principes du Narrow Banking et de la « banque éclatée » (voir Bryan, 1992).

19.

Dans ce cadre, les nouveaux keynésiens comme Stiglitz et Weiss (1990) qualifient la banque de « comptable social ».

20.

Dans le chapitre 3 du Treatise on Money, Keynes distingue deux grands types de dépôts bancaires : les dépôts liquides ou à vue (cash deposits) et les dépôts d’épargne (savings deposits). Les premiers se répartissent en dépôts de revenus (income deposits) et en dépôts d’affaires (bussiness deposits). Les dépôts de revenus ont trait à la rémunération et aux dépenses courantes des salariés. Les dépôts d’affaires concernent la rémunération et les dépenses courantes des entrepreneurs. S’agissant des dépôts d’épargne, ils prennent la forme de placements (investissements) animés par la rémunération de l’argent par le taux d’intérêt et autres motifs. Les dépôts liquides apparaissent comme l’esquisse des « encaisses pour transaction et pour précaution » développées dans la Théorie Générale (1936), tandis que les dépôts d’épargne semblent être celle des « encaisses pour spéculation ».

21.

On peut citer par exemple les articles critiques de Hicks (1936), Robertson (1936) et Ohlin (1936). Pour plus de précisions, voir Goux (1989).