La notion d’innovation est une notion protéiforme, qui renvoie à des acceptations diverses. Pour l’appréhender, les économistes font généralement appel à la grille de lecture schumpeterienne. Celle-ci distingue quatre types d’innovations : l’innovation de produit, l’innovation de processus, l’innovation de marché et l’innovation d’organisation.
Appliquée à la sphère financière, cette taxinomie recouvre les éléments suivants :
Il faut signaler que certaines innovations peuvent combiner plusieurs types, à l’exemple du capital-risque et des OPCVM monétaires (Money Market Mutual Funds) qui peuvent être considérés comme des innovations de produit, dans la mesure où il s’agit de deux actifs originaux (le premier étant un produit de financement et le second un produit de placement), comme des innovations de processus, puisqu’ils correspondent à une nouvelle forme d’intermédiation, et enfin, comme des innovations d’organisation, puisque deux nouvelles catégories d’intermédiaires financiers sont apparues pour en faire leur métier.
Le début des années soixante-dix est généralement retenu comme période d’enclenchement du mouvement universel d’innovations financières. En effet, l’augmentation de l’inflation et des taux d’intérêt au niveau mondial, durant cette période, a stimulé l’imagination des opérateurs qui cherchaient à s’affranchir des contraintes réglementaires qui leur étaient imposées.
Aux Etats-Unis notamment, les innovations financières ont souvent été utilisées comme un moyen de contourner les mesures prises par les autorités monétaires. Dans ce cadre, beaucoup d’agents à capacité de financement ont contourné la réglementation « Q » qui plafonnait la rémunération des dépôts bancaires, en transférant leurs fonds à Londres, là où les taux d’intérêt étaient plus rémunérateurs, ce qui a permis l’émergence du marché des eurodollars. De leur côté, les banques américaines ont contourné la même réglementation qui interdisait également la rémunération des comptes de dépôts à vue, en inventant des comptes de dépôts hybrides comme les « NOW » (Negocial Order of Withdrawal) et les « ATS » (Automatic Transfert Service) qui, n’étant pas des comptes de dépôts à vue au sens propre, pouvaient donc être rémunérés 40 . Historiquement, on constate que les innovations financières qui ont eu lieu aux Etats-Unis ont été impulsées de manière décentralisée par le secteur privé. Souvent, ces innovations rendaient les réglementations en vigueur moins efficaces, voire néfastes, ce qui obligeait les autorités publiques à intervenir ex post, d’une part, afin de reréglementer/déréglementer, et d’autre part, afin de surveiller la diffusion de ces innovations dans l’économie.
En France, cette dialectique est inversée dans le sens où, ce sont les autorités publiques qui, ex ante, ont été à l’origine du processus d’innovations financières. En effet, dès le début des années quatre-vingt, plusieurs réglementations ont consacré l’introduction de nouveaux instruments financiers (SICAV et FCP en 1981, livret d’épargne populaire en 1982, certificats d’investissement et titres participatifs en 1983, certificats de dépôts négociables, billets de trésorerie et titres subordonnés en 1985, Bons du Trésor négociables en 1986, Bons à moyen terme négociables en 1992, etc.), tout comme la création de nouveaux marchés/compartiments de capitaux (second marché boursier en 1983, marché des titres de créances négociables en 1985, MATIF et MONEP en 1986, marché de la pension livrée en 1993, etc.). Ce n’est que par la suite que le secteur privé a progressivement pris à sa charge l’essentiel du processus d’innovation, même si l’aval des autorités monétaires et financières reste présent.
Aujourd’hui, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, les innovations financières connaissent une forte dynamique entretenue par trois éléments majeurs. D’abord les importantes avancées en matière de NTIC.
Puis, l’accroissement de la concurrence entre les acteurs de la sphère financière, attisée par les exigences de rentabilité. Enfin, la forte volatilité des référentiels de marché (taux d’intérêt, taux de change, indices boursiers, etc.) qui est à l’origine de l’invention d’une myriade d’instruments de couvertures et de gestion des risques.
Etant donnée l’absence de brevets dans la sphère financière, les innovations financières, notamment celles de produits et de services, connaissent une très large diffusion, accentuée par la globalisation des systèmes financiers. De ce fait, une innovation financière va rapidement se banaliser et développer d’autres incitations à innover, conformément au principe-clé de marketing : « Moins un produit est différent, plus il suscite l’indifférence ».
Cela dit, avec le recul nécessaire, il est indéniable que les transformations qui se sont produites au niveau du secteur financier n’auraient pas été aussi profondes, sans l’incorporation des NTIC. En effet, le secteur financier compte parmi les secteurs d’activité qui ont le plus absorbé les avancées dans le domaine de l’informatique et de la télécommunication (Internet, Intranet, Extranet, plate-forme téléphonique, télévision interactive, audiotex, audiotel, échange de données informatisées, gestion électronique de documents, progiciel intégré, workflow 41 , datawarehouse 42 , etc.).
De façon générale, l’utilisation des NTIC a permis d’augmenter exponentiellement la masse d’information mise simultanément à la disposition des acteurs de la sphère financière, élément qui rend l’hypothèse néoclassique d’information parfaite de plus en plus réaliste. En outre, elle a permis de réduire significativement les coûts de transactions, au point où ceux-ci représentent maintenant un facteur qui intervient de moins en moins dans les choix d’arbitrage entre actifs. Dans la même perspective, la possibilité d’extraire, de traiter, de manipuler et de transmettre d’importantes masses de données, à des coûts faibles, a permis la réalisation d’importantes économies d’échelle et d’envergure.
Au-delà de ces aspects, les NTIC représentent le soubassement matériel de la globalisation financière. D’une part, elles permettent aux intervenants d’arbitrer en temps réel (24 heures sur 24) entre les conditions offertes sur les diverses places financières internationales 43 . D’autre part, elles accentuent la diffusion des principes de l’économie de marché.
Sur le terrain, les NTIC ont instauré de nouvelles règles concurrentielles, à travers la suppression des barrières physiques qui prévalaient jusqu’alors. Profitant d’un faible « ticket d’entrée », de nouveaux outsiders à l’image des e-bankers, e-traders et e-brokers sont venus contester la prédominance historique des insiders dits de « briques et mortier » (bricks and mortar) 44 .
Pour ne prendre que l’exemple des banques, il n’est pas exagéré de dire que les NTIC ont profondément reconfiguré les paramètres du traditionnel métier de banquier, en faisant voler en éclat deux de ses principaux piliers : la proximité géographique, grâce à un large réseau d’agences, et le contact direct avec la clientèle (Saada, 1999, p.29) 45 . Heureusement pour elles, les banques traditionnelles ont montré de réelles aptitudes de réaction et d'adaptation avec la nouvelle donne, en développant une approche « multicanal », complétant la proximité géographique par une proximité technologique très poussée.
Cette approche est aujourd’hui très majoritairement reconnue par les analystes comme le modèle le plus pertinent à terme. En effet, elle a permis entre autres, de réduire les charges liées au « face à face » avec la clientèle et d’évacuer les opérations sans et/ou à faible valeur ajoutée (retraits, virements, consultations de soldes, demandes de chéquier et d’informations diverses, etc.) hors des agences traditionnelles 46 . Ces dernières ont ainsi pu être réorientées vers des activités plus rentables (conseil, ingénierie financière, gestion de patrimoine, etc.). Sans oublier que l’incorporation des NTIC a permis aux banques de diversifier leurs sources de revenus hors intérêts, puisqu’une part importante des commissions qu’elles gagnent, aujourd’hui, provient précisément de l’utilisation de ces NTIC par la clientèle.
Il n’est alors pas surprenant de constater que le secteur bancaire est celui qui investit le plus dans les NTIC. En effet, sur un total de 47 milliards de dollars dépensés en France dans les NTIC par l’ensemble des secteurs, les banques en ont dépensé 12,1% en 2000, selon la FBF (étude réalisée par McKinsey).
La croissance significative du parc des Distributeurs Automatiques de Billets (DAB) et des Guichets Automatiques de Billets (GAB) témoigne de cette tendance. En effet, le nombre d’automates a plus que doublé au cours de la dernière décennie et a été multiplié par 8 sur les deux dernières décennies : 41 988 DAB/GAB en 2003, contre 18 735 en 1993 et 5100 en 1982 (CECEI, 2003, p.137). Par ailleurs, selon la FBF, on comptait 10 millions de visiteurs sur les sites des 10 premiers groupes bancaires français, en mars 2003 (étude de Médiamétrie-eRating).
Cela étant, certains analystes signalent que si le recours de plus en plus prononcé aux NTIC est à l’origine d’importantes économies de coûts, il réduit tout autant le degré de fidélité de la clientèle. De fait, le déclin du facteur humain dans la relation de clientèle au profit du facteur technique encourage le « nomadisme » de la clientèle qui cherche alors à multiplier les avantages comparatifs.
Au final, il va sans dire que les innovations financières ont amplement affecté la sphère financière. A notre sens, leur impact le plus significatif a été de rendre de plus en plus ténue, d’une part, les frontières entre les métiers financiers (banque, assurance, titre) et, d’autre part, la distinction traditionnelle entre actifs monétaires et actifs financiers, capital et dette (action et obligation). Nous reviendrons en détail sur ces éléments dans le second chapitre.
Au terme de ce paragraphe, il semble important de s’arrêter brièvement sur la question de l’irréversibilité des mutations financières évoquées précédemment. En effet, on voit mal comment un retour en arrière serait possible après tant de changements au niveau des fonctions, des structures et des acteurs de la sphère financière. Concernant d’abord la libéralisation financière, il est clair que les agents économiques et financiers contesteraient avec force la restriction de leur liberté d’action, après avoir pris goût aux concessions publiques. Par ailleurs, de par l’envergure actuelle des échanges et flux internationaux, la mondialisation et la globalisation financière semblent avoir celé l’époque où les économies vivaient en autarcie.
Enfin, les innovations financières paraissent également représenter un acquis sur lequel il serait difficile de revenir, ne serait-ce que parce que les NTIC constituent elles-mêmes leur propre système de défense.
Après cette analyse des mutations financières, nous allons maintenant nous intéresser à l’un de leurs effets les plus visibles sur l’intermédiation bancaire, à savoir, la montée concurrentielle des intermédiaires non bancaires.
Les comptes NOW ont été précédemment définis dans le paragraphe qui porte sur la libéralisation financière. Les ATS sont la combinaison d’un compte à vue non rémunéré et d’un compte à terme rémunéré. Lorsque le solde du premier ne suffit plus pour exécuter les paiements du titulaire du compte, les fonds manquants sont instantanément et automatiquement transférés à partir du compte à terme.
Technique de transport et de circulation de l’information entre les différents postes de travail dans le cadre de l’organisation de la banque.
Technique qui permet de transformer des données élémentaires en informations utilisables à des fins décisionnelles.
Plihon, (1999, p.81) qualifie cette caractéristique de double unité : de temps et de lieu.
D’après Bill Gates qui souhaite faire de Microsoft la première banque mondiale présente uniquement via Internet, le monde n’a pas besoin de banquiers, mais de services bancaires.
En France, ces propos sont corroborés par Marois (1998, p.06) qui constate que les Français ne se rendent plus que 5 fois par an en moyenne à leur banque, et que près des deux tiers des transactions bancaires s’effectuent hors agences (par téléphone, courrier, automates ou ordinateurs).
Selon une étude américaine citée par Boutiller, Pansard et Séjourne (1999), une transaction sur Internet est environ 100 fois moins coûteuse pour une banque qu’un chèque, 50 fois moins qu’une transaction par téléphone et 25 fois moins qu’une opérations sur guichet automatique ATM - (Automatic Teller Machine).