Les mutations financières présentées préalablement ont joué un rôle essentiel dans l’essor de nouvelles formes d’intermédiation financière non bancaires. Celles-ci ont su s’imposer face aux banques, en offrant des produits et des services financiers qui sont, pour certains, de proches substituts aux produits et services bancaires, et pour d’autres, très différents.
En France, le graphique n°01 montre, que le poids des banques relativement aux autres intermédiaires financiers a baissé de 08 points de pourcentage entre 1980 et 2002, passant de 58% à 50%. Certes, le secteur bancaire reste prédominant au sein de l’économie, mais ses parts de marché ne cessent de se réduire sur le LT 47 . En revanche, le poids des OPCVM a gagné 14 points de pourcentage sur la même période, passant de seulement 2% à 16%. De même, le secteur de l’assurance a renforcé sa position relative et s’affiche à 17% en 2002 alors qu’il ne représentait que 7% du secteur financier en 1980.
Comme nous le verrons par la suite, les actifs offerts par ces intermédiaires non bancaires attirent de plus en plus les agents non financiers qui délaissent souvent, en contrepartie, les actifs bancaires traditionnels.
Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).
Le tableau n°01, ci-dessous, retrace l’évolution de l’actif total des intermédiaires financiers en encours. Ici encore, on remarque le dynamisme qui caractérise l’évolution des OPCVM et des compagnies d’assurance. Malgré la forte volatilité qui caractérise les marchés financiers, ces investisseurs institutionnels ont rapidement capturé l’attention des agents non financiers à travers l’offre de produits financiers à taux fixe et/ou garantissant un rendement minimum (OPCVM monétaires, Obligataires, etc.).
| Année | 1980 | 1985 | 1990 | 1995 | 2002 |
| Banques | 407,7 | 768,4 | 1290,6 | 1673,7 | 2993,5 |
| Autres Institutions financières | 210,8 | 368,8 | 430,3 | 519,2 | 850,9 |
| Institutions financières et assimilées | 19,2 | 38,4 | 45,7 | 54,8 | 186,9 |
| Assurances | 50,7 | 108,6 | 241,6 | 489,7 | 985,2 |
| OPCVM | 18,0 | 125,9 | 346,4 | 429,0 | 927,2 |
| Total des actifs financiers détenus | 706,4 | 1410,1 | 2354,5 | 3166,5 | 5943,7 |
| Encours en milliards d’euros | |||||
Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).
En ce qui concerne l’évolution aux Etats-Unis, le graphique et le tableau n° 02 illustrent, sur une plus longue période, l’impressionnant recul des banques commerciales par rapport aux autres intermédiaires financiers en termes d’actif total. En effet, alors que les banques détenaient un peu moins de la moitié (47%) des actifs du secteur financier, au début des années cinquante, elles ne détiennent, aujourd’hui, plus que le quart (25%) de ces actifs.
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1945-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
En revanche, les actifs gérés par d’autres intermédiaires financiers non bancaires ont connu une évolution inverse. Ainsi, les OPCVM (Mutual Funds) qui ne comptaient que pour 1% du secteur financier en 1953, représentent 21% de ce secteur en 2003. De même, les fonds de pension ont enregistré une importante croissance, passant de 8% à 27% entre 1953 et 2003.
Il est indéniable que ces intermédiaires ont, en grande partie, renforcé leurs parts de marché au détriment des banques commerciales.
| 1953 | 1963 | 1973 | 1983 | 1993 | 2003 | |
| Banques Commerciales | 173 | 286,1 | 760,8 | 1887,2 | 3891,8 | 7812.2 |
|
Caisses d’Epargne: -Saving Institutions - Credit Unions |
55,7 53,8 1,9 |
165,6 157 8,6 |
401,4 374,2 27,2 |
1108 1011,7 96,3 |
1301,9 1020,2 281,7 |
2092,4 1475,1 617,3 |
|
Compagnies d’Assurance: Vie Autres |
92,2 76,5 15,7 |
169,5 136,8 32,7 |
316,1 244,8 71,3 |
867,9 632,7 235,2 |
2397,4 1754,9 642,5 |
4866,7 3823,4 1043,3 |
|
Fonds de Pension: - Personnels - Privés - Publics |
23,6 ----- 12,7 16,9 |
104,3 ----- 59,7 44,6 |
466,4 166,4 179,7 120,2 |
1527,3 293,2 814,9 419,2 |
4463,7 660,9 2283 1519,8 |
8336,9 899 4194 3243,9 |
|
OPCVM: - Mutual Funds - Money Market M.F. |
4,1 4,1 ----- |
25,2 25,2 ----- |
46,6 46,6 ----- |
291,6 112,1 179,5 |
1935 1375,4 559,6 |
6680,9 4664,9 2016 |
| Sociétés financières | 13,6 | 35,3 | 91,6 | 256,8 | 557,4 | 1380,6 |
| TOTAL | 362,2 | 786 | 2082,9 | 5938,8 | 14547,2 | 31169,7 |
| Encours en milliards de dollars. | ||||||
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1945-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
D’ailleurs, en France, comme aux Etats-Unis, le recul de la position des banques face aux autres intermédiaires financiers est constaté des deux côtés du bilan bancaire. Au passif, les fonds d’investissement (OPCVM en France et Mutual Funds aux Etats-Unis) ont su capter une importante clientèle, notamment de petits ménages, grâce à une kyrielle de produits de placement et des rendements nettement supérieurs aux taux créditeurs bancaires. Les tableaux n°03 et n°04 confirment la montée en puissance de ces intermédiaires aussi bien en termes de nombre que d’actifs gérés.
| Année | 1980 | 1984 | 1988 | 1990 | 1994 | 1998 | 2000 | 2003 |
|
SICAV |
||||||||
| Total des actifs gérés Nombre de SICAV |
9,5 nd |
45,5 nd |
163,8 772 |
244,4 1083 |
270,7 1064 |
270,6 1200 |
335 1281 |
287,7 1108 |
|
FCP |
||||||||
| Total des actifs gérés Nombre de FCP |
0,6 272 |
20,9 1879 |
54,5 3659 |
145 3813 |
138,7 3754 |
263,5 5074 |
431 5863 |
621,7 6798 |
| En milliards d’euros et en nombre. | ||||||||
Source : Données extraites des rapports annuels de la Commission des Opérations de Bourse (COB) 1980-2002, et du rapport annuel 2003 de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).
| Année | Total des Actifs gérés (en milliards de dollars) |
Nombre de fonds | Nombre de comptes gérés (en millions) |
| 1940 | 0,45 | 68 | 0,3 |
| 1950 | 2,53 | 98 | 0,9 |
| 1960 | 17,02 | 161 | 4,9 |
| 1970 | 47,61 | 361 | 10,7 |
| 1980 | 134,76 | 564 | 12,1 |
| 1985 | 495,38 | 1 528 | 34,1 |
| 1990 | 1 065,19 | 3 079 | 61,1 |
| 1995 | 2 811,29 | 5 725 | 131,2 |
| 2000 | 6 964,67 | 8 155 | 244,8 |
| 2003 | 7 414,08 | 8 126 | 260,6 |
Source : Données extraites du Mutual Fund Fact Book, 2003, p.63, Investment Company Institute, ( http://www.ici.org/stats/latest/2004_factbook.pdf ).
Parmi les fonds d’investissements les plus prisés, aujourd’hui, particulièrement pour leurs faibles risques, on peut citer les OPCVM monétaires (Money Market Mutuals Funds). Ces derniers sont de très proches substituts aux traditionnels dépôts bancaires. En plus d’une rémunération souvent plus consistante que ces derniers, ils permettent à leurs détenteurs de liquider rapidement leurs avoirs et leur offrent même la possibilité de tirer un nombre « limité » de chèques par mois.
Il faut dire que ces fonds sont beaucoup plus flexibles que les banques qui sont, de part leur spécificité monétaire, tenues au respect de certaines dispositions réglementaires (réserves obligatoires, ratios prudentiels, assurance des dépôts, etc.). Cela se répercute sur le coût des ressources qu’elles collectent, et rend les rendements des OPCVM monétaires nettement plus attrayants. 48
En France, à leur création au début des années quatre-vingt, les OPCVM monétaires ne comptaient que pour 0,4% des dépôts bancaires transférables. Deux décennies plut tard, ce rapport est de 94% comme l’indique le graphique n°03 ci-dessous.
Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).
Aux Etats-Unis, à leur création en 1974, les Money Market Mutuals Funds (MMMF) ne représentaient que 0,01% comparativement aux dépôts bancaires transférables. En 2003, ce rapport s’est tout simplement inversé, et les MMMF représentent désormais plus de 4 fois la somme des dépôts bancaires transférables, comme on peut le constater à travers le graphique n°04 qui suit.
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1974-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
Si l’on s’intéresse maintenant à la concurrence qui pénalise les banque à l’actif, on remarquera que les sociétés financières (Finance Companies) jouent aujourd’hui un rôle non négligeable en matière de financement des entreprises. Ces sociétés lèvent l’essentiel de leurs fonds sur le marché des Commercial Papers (billets de trésorerie). En 2003, elles étaient à l’origine de 11% de l’ensemble des émissions sur ce marché (137,2 milliards de dollars sur un total d’émissions de 1288,7 milliards), alors que les banques ne comptaient que pour 3% des émissions (42,3 milliards de dollars). Il faut préciser ici que les MMMF sont les principaux souscripteurs de Commercial Papers. En 2003, ils se sont portés acquéreurs d’environ 36% de l’ensemble des émissions (458,9 milliards de dollars).
De ce fait, Edwards (1993, p.38) met en évidence une coalition implicite entre les MMMF et les Finance Companies à l’encontre les banques. Les MMMF disposent d’un avantage comparatif qui leur permet de collecter des ressources à plus faibles coûts que les banques, et donc de réduire la part de marché des dépôts bancaires. Ils transfèrent cet avantage aux Finance Companies en souscrivant à leurs Commercial Papers. Les fonds ainsi levés par ces dernières sont recyclés sous forme de crédits aux entreprises, ce qui réduit d’autant la part de marché des crédits bancaires.
Ici encore, le fait de ne pas être astreintes aux mêmes obligations réglementaires que les banques, surtout en matière de fonds propres, de gestion des risques et de plafonds de crédits, permet à ces sociétés financières de proposer des conditions souvent plus avantageuses que les banques.
Dans ce cadre, le graphique n°05 illustre l’important recul des crédits bancaires dans le passif des entreprises américaines, où ils passent de 29% à 12% de l’ensemble des dettes entre 1970 et 2003. A l’inverse, on remarque le renforcement relatif de la part des crédits contractés par ces mêmes entreprises auprès des sociétés financières, qui passent de 5% à 8% au cours de la même période. L’écart entre les financements contractés auprès des banques et ceux contractés auprès des sociétés financières s’est ainsi réduit de 14 à seulement 4 points de pourcentage entre 1970 et 2003.
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1970-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
Par ailleurs, entre 1970 et 2003, l’encours total des crédits industriels et commerciaux octroyés par les compagnies financières s’est significativement renforcé par rapport à celui des crédits commerciaux et industriels accordés par les banques, passant de 14% à 35%. Cela étant, de façon générale, il faut surtout imputer le recul notable des crédits bancaires à l’attrait incontestable exercé, depuis le début des années quatre-vingt, par les instruments de financements directs. En effet, comme on le verra plus loin, les emprunteurs sont nettement plus attirés, aujourd’hui, par ces instruments qui, comparés aux crédits bancaires apparaissent, à priori, moins onéreux, moins contraignants et plus flexibles. Au final, si l’on retrace l’évolution de la part des crédits bancaires relativement au total des financements attribués par les intermédiaires financiers dans l’économie, on notera la nette atonie qui les caractérise aujourd’hui.
En France, le tableau n°05 montre que la part des crédits bancaires aux agents non financiers dans le total des financements intermédiés (au sens large) à ces mêmes agents a perdu plus de 14 points de pourcentage en l’espace de la seule dernière décennie, passant de 77,1% à 62,7% entre 1992 et 2001. Certes, cette part reste prépondérante, mais sa baisse continue porte à croire qu’elle ne pourra résister longtemps à la montée des financements accordés par les non-banques.
| Année | 1992 | 1993 | 1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 |
| Crédits bancaires (A)* | 990,3 | 987,9 | 974,2 | 996,5 | 974,4 | 995,3 | 1000,3 | 1050,0 | 1100,2 | 1122,7 |
| Total des Financements intermédiés (B)** | 1283,8 | 1315,2 | 1377,9 | 1436,6 | 1509,7 | 1583,7 | 1606,3 | 1688,7 | 1742,2 | 1789,5 |
| Part des crédits bancaires (A/B) | 77,1% | 75,1% | 70,7% | 69,4% | 64,5% | 62,8% | 62,3% | 62,2% | 63,1% | 62,7% |
| Encours en milliards d’euros, Taux en pourcentage * : Crédits octroyés par l’ensemble des établissements de crédit. ** : Nous retenons les financements intermédiés au sens large du CNCT (2001) = crédits + portefeuille actions + portefeuille obligations + portefeuille titres du marché monétaire. |
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Source : Conseil National du Crédit et du Titre (CNCT), Rapports annuels.
Aux Etats-Unis, le tableau n°06 montre que les crédits bancaires à l’économie (et non pas seulement aux agents non financiers) qui représentaient, en 1980, 22,2% des financements intermédiés (au sens large) ne représentent, aujourd’hui, plus que 12,4% de ces financements.
| Année | 1980 | 1982 | 1984 | 1986 | 1988 | 1990 | 1992 | 1994 | 1996 | 1998 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 |
| Crédits Bancaires (A) | 938,1 | 1068 | 1308,2 | 1603,3 | 1854,7 | 2100,2 | 2139,8 | 2407,1 | 2821,1 | 3304,6 | 3874,8 | 3944,4 | 4163,8 | 4398,3 |
| Total des Financements intermédiés (B)* | 4217,5 | 5077,7 | 6471,9 | 8631,7 | 10212,9 | 11785,3 | 13783,4 | 16071,6 | 20138,3 | 25818 | 30595,1 | 31211,4 | 31287,4 | 35516,4 |
| Part des crédits bancaires (A/B) | 22,2% | 21,0% | 20,2% | 18,6% | 18,2% | 17,8% | 15,5% | 15,0% | 14,0% | 12,8% | 12,7% | 12,6% | 13,3% | 12,4% |
| Encours en milliards de dollars, Taux en pourcentage * : Financements intermédiés au sens large = Corporate equities and Mutual funds shares held by financial intermediaries + credit markets assets held by financial intermediaries [credit markets are organized or informal arrangements that enable the transfer of funds between suppliers and acquirers of funds = Open market paper + Treasury and agency securities + Municipal securities + Corporate and foreign bonds + Banks loans + Other loans and advances + Mortgages + consumer credit]. |
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Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
Somme toute, l’ensemble des observations précédentes montre que la place des banques au sein des économies françaises et américaines s’est fortement dépréciée au profit des non-banques, au premier rang desquelles, les OPCVM monétaires et les fonds de pension. Certes, de récentes études (Boutiller, Pansard et Quéron, 2002, 2003 49 , Boubel et Pansard, 2004) relativisent ce déclin sous prétexte que les banques détiennent un nombre important de filiales sous forme d’OPCVM ou relèvent de conglomérats financiers communs avec les non-banques.
Il n’empêche que ces entités sont juridiquement distinctes des banques, et que le modèle classique d’intermédiation bancaire fondé sur la collecte de dépôts et l’octroi de crédits est aujourd’hui dans un état critique (voir la deuxième sous-section 1.2). Cette situation est largement amplifiée par l’essor de la finance directe que nous allons maintenant étudier.
Il faut préciser que la catégorie « banques » intègre, depuis le 1er janvier 2000, les caisses d’épargne et de prévoyance qui ont cessé de constituer une catégorie particulière en vertu de la loi n°99-352 du 25 juin 1999 qui les a dotées d’un statut de banque coopérative. Avant cette date, les caisses d’épargne et de prévoyance étaient comptabilisées dans la catégorie « autres institutions financières ». Cela explique ,en partie, la chute du poids relatif de cette catégorie.
Il faut toutefois signaler que contrairement aux détenteurs de dépôts bancaires, qui sont couverts par une assurance des dépôts, les détenteurs de parts d’OPCVM monétaires ne disposent d’aucune garantie légale leur permettant de récupérer leurs fonds en cas de faillite.
D’après les estimations de ces auteurs, les groupes bancaires français contrôleraient près de 75% des OPCVM en France, et participeraient à hauteur de 57% dans le chiffre d’affaire de l’assurance-vie. Il faut toutefois nuancer ces chiffres qui retracent l’activité de distribution et non celle de gestion. Cela dit, il est vrai qu’en adoptant une approche globale de l’intermédiation financière, la consolidation comptable entre banques, OPCVM, assurances et autres filiales appartenant au même groupe (conglomérat) permet de relativiser le déclin des banques. Mais, c’est une approche distinctive (institutionnelle) que nous adoptons ici.