a) La modification des comportements de placement des ménages

L’analyse de la composition du patrimoine financier des ménages français et américains montre que les choix faits en matière de placements ont beaucoup évolué au cours des deux dernières décennies. Alors que les ménages détenaient une grande partie de leur richesse financière sous forme de dépôts bancaires, durant les années soixante et soixante-dix, leurs préférences ont significativement changé à partir des années quatre-vingt. Depuis, on note que la part des actifs directs (actions) et des actifs indirects non bancaires (OPCVM et Assurance-vie) ne cesse de croître au sein de leur patrimoine financier. Ce mouvement de recomposition s’est, par contre, opéré au détriment des dépôts bancaires. Parmi les facteurs explicatifs de cette évolution, on peut en citer trois.

En premier lieu, la fin d’une longue période de stabilité des prix et des taux d’intérêt en France et aux Etats-Unis, qui a duré jusqu’aux années soixante. S’en suit une décennie marquée par une inflation galopante (respectivement 13,7% et 11,1% en France et aux Etats-Unis en 1974) du fait, notamment, du choc pétrolier de 1973. Voyant leur pouvoir d’achat sensiblement baissé, les ménages se dirigent progressivement vers des placements plus rémunérateurs au détriment des dépôts bancaires, pas ou faiblement rémunérés. En effet, la réglementation « Q » aux Etats-Unis et la fixation des taux créditeurs par les autorités monétaires en France (statut public des banques) interdisaient la rémunération des dépôts à vue, et plafonnaient les taux de rémunération que les banques pouvaient servir sur leurs dépôts à terme.

En second lieu, l’étroitesse des possibilités de placement, jusqu’à la fin des années soixante-dix, élément qui faisait des dépôts bancaires le placement-phare de l’époque. La dynamique innovante qui caractérise le monde de la finance, depuis le début des années soixante-dix, va offrir aux ménages une multitude de nouvelles opportunités, jusque là, inexistantes.

En troisième lieu, l’attractivité des rendements et des taux de rémunération offerts sur les marchés financiers et par les intermédiaires non bancaires, qui a beaucoup contribué au délaissement des actifs bancaires traditionnels.

En France, le graphique n°08 montre que la part des dépôts à vue et des dépôts à terme dans le patrimoine financier des ménages a fortement chuté, passant de 59% à 30% entre 1977 et 2003, soit une baisse de 29 points. En revanche, le poids de l’assurance-vie a décuplé au cours de la même période, passant de 3% à 28%, alors que la détention d’action et de titres d’OPCVM, qui représentait le cinquième (20%) du patrimoine financier des ménages en 1977, en représente le tiers (34%) en 2003.

Graphique n°08: Evolution de la composition du patrimoine financier des ménages en France (1977-2003)
Graphique n°08: Evolution de la composition du patrimoine financier des ménages en France (1977-2003)

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

Le tableau n° 09 qui suit, retrace l’évolution des encours des principaux actifs financiers détenus par les ménages français. Rapportés au total des actifs financiers, les dépôts, les actions et titres d’OPCVM et l’assurance-vie ont successivement enregistré sur la période 1973-2003 un taux de croissance annuel moyen de –2,67%, +2,14% et +9,34%.

Tableau n°09 : Evolution du patrimoine financier des ménages en France (1977-2003)
Année 1977 1984 1988 1992 1996 2003
Dépôts à vue et numéraire 48,2 114,8 153,5 172,1 204,6 260,0
Autres dépôts et Epargne 120,1 259,4 326,5 360,9 505,8 641,5
Titres hors actions 16,1 53,9 73,2 86,5 92,3 49,5
Actions et titres d'O.P.C.V.M. 56,5 173,4 638,5 754,6 763,7 1035,7
Assurance-vie 9,5 30,1 84,9 198,6 414,1 835,8
Divers 36,1 74,4 65,6 85,2 136,7 202,6
Total des actifs financiers 286,6 705,8 1342,2 1657,9 2126,1 3022,9
Encours en milliards d’euros

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

Aux Etats-Unis maintenant, le graphique n°09 indique que la part des dépôts à vue et des dépôts à terme qui, représentait jusqu’au début des années quatre-vingt, plus du tiers (32%) du patrimoine financier des ménages, n’en constitue aujourd’hui plus que le sixième (16%). Les dépôts à vue sont les grands perdants de la recomposition du patrimoine financiers des ménages, puisqu’ils passent de 15% à seulement 2% de 1953 à 2003.

Graphique n°09: Evolution de la composition du patrimoine financier des ménages aux Etats-Unis (1953-2003)
Graphique n°09: Evolution de la composition du patrimoine financier des ménages aux Etats-Unis (1953-2003)

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1945-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

A l’inverse, la détention d’actifs offerts par les intermédiaires non bancaires a sensiblement crû. C’est ainsi que la part de l’assurance-vie et des fonds de pension a doublé, passant de 18% à 34% du patrimoine financier des ménages entre 1953 et 2003. De même, la détention d’action et de titres d’OPCVM est passée de 27% à 33% du patrimoine au cours de la même période.

En termes d’encours, le tableau n°10 permet de prendre conscience des sommes que les ménages américains consacrent, aujourd’hui, aux actifs intermédiés non-bancaires. A titre d’exemple, on note que l’encours de l’assurance-vie et des fonds de pension s’établissait à hauteur de 10308,6 milliards de dollars en 2003. Rapportés au total des actifs financiers, les dépôts, les actions et titres d’OPCVM et l’assurance-vie ont successivement enregistré un taux de croissance annuel moyen de –1,31%, +0,4% et +1,28% au cours de la période 1953-2003.

Tableau n°10 : Evolution du patrimoine financier des ménages aux Etats-Unis (1953-2003)
Année 1953 1963 1973 1983 1993 2003
Dépôts à vue et numéraire 81,6 95,5 169,2 337 710,5 533,5
Autres dépôts et Epargne 87,8 233,3 621,7 1652,6 2262,7 4201,2
Titres publics 82,2 104,9 125,8 432,9 1197,6 1420,1
Actions et titres d’OPCVM 149,9 494,7 636,2 1173 4554,3 10039,9
Assurance-vie et fonds de pension 102,2 224,6 509,7 1787,7 5097,4 10308,6
Divers 52,5 87,8 355,9 761,4 1818,8 4209,5
Total des actifs financiers 556,2 1240,8 2418,5 6144,6 15641,3 30712,8
Encours en milliards de dollars

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1945-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

Cela étant, les évolutions précédentes peuvent induire le lecteur en erreur, en l’amenant à penser que la baisse de la part des dépôts bancaires détenus par les ménages pourrait être liée à une diminution générale des actifs financiers dans leur patrimoine brut. Afin d’infirmer cette vraisemblance, nous avons reconstitué le poids des actifs financiers dans le patrimoine brut des ménages français et américains en 1982 et en 2002.

En France, il apparaît sur le graphique n°10 que la part des actifs financiers dans le patrimoine brut des ménages n’a pas cessé d’augmenter, passant de 28% (517 milliards d’euros) à 44% (2846,4 milliards d’euros) de 1982 à 2002.

Graphique n°10 : Composition du patrimoine brut des ménages français en 1982 et 2002
Graphique n°10 : Composition du patrimoine brut des ménages français en 1982 et 2002

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

De même, aux Etats-Unis, le graphique n°11 indique que cette même part a progressé de 60% (7615,6 milliards de dollars) à 63% (30299,8 milliards de dollars) entre 1982 et 2002.

Graphique n°11 : Composition du patrimoine brut des ménages américains en 1982 et 2002.
Graphique n°11 : Composition du patrimoine brut des ménages américains en 1982 et 2002.

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

En conséquence, le déclin des dépôts bancaires est bel et bien dû à un changement dans le comportement financier des ménages français et américains qui privilégient, aujourd’hui, davantage la recherche de rentabilité qu’il y a vingt ans.

Cela dit, les évolutions qu’a connue la fiscalité des placements (exonérations, abattements, etc.) sont, sans nul doute, très présentes dans l’orientation finale des choix de placement des ménages 51 .

Notes
51.

En France, la dernière évolution en date a été l’instauration du Plan d’Epargne Retraite Populaire (PERP) par la loi Fillon du 21 août 2003. De par ses avantages fiscaux, ce nouveau produit qui a commencé à être commercialisé par les intermédiaires financiers le 22 avril 2004 dernier devrait connaître un grand succès auprès des ménages.