L’analyse de l’évolution du passif des entreprises françaises et américaines, depuis le début années quatre-vingt, est riche d’enseignements. Elle permet, d’abord, de constater la forte baisse de la part des crédits contractés auprès des banques. Elle montre, ensuite, l’accroissement considérable de la part des financements désintermédiés sous forme d’émissions d’actions, d’obligations et de titres de créances négociables.
Cette évolution contrastée est due à un certain nombre de facteurs parmi lesquels : la facilitation de l’accès des entreprises aux marchés boursiers, la cherté du crédit bancaire comparativement aux financements directs et l'augmentation du taux d’autofinancement au sein des entreprises.
Source : Données extraites des comptes de patrimoine des sociétés non financières, INSEE, http://www.insee.fr/fr/indicateur/cnat_annu/series/t_4508.xls ).
En France, il apparaît sur le graphique n°12 ci-dessus, qu’entre 1977 et 2002, les entreprises non financières ont divisé par deux leur recours aux crédits des institutions financières, notamment bancaires, qui passe de 30% à 13% du passif financier. En revanche, on note que la part des actions, rapportée au total du passif financier, a connu une hausse très soutenue au cours de la même période, passant de 32% à 53%, avec un record de 67% en 2000.
Le tableau n°11 qui suit, nous renseigne sur l’évolution des sommes mobilisées dans le financement des entreprises françaises. On peut aisément constater que l’écart entre le financement par actions et le financement par crédit s’est significativement creusé au cours des vingt-cinq dernières années. En effet, alors que l’encours des crédits représentait 94% en comparaison à celui des actions en 1977, il ne représentait plus que 24% en 2002.
| Année | 1977 | 1978 | 1980 | 1982 | 1984 | 1986 | 1988 | 1990 | 1992 | 1994 | 1996 | 1998 | 2000 | 2002 |
| Actions | 152,3 | 183,5 | 220,4 | 205,1 | 353,6 | 865,0 | 1113,4 | 1115,8 | 1194,0 | 1127,1 | 1567,2 | 2591,7 | 3600,3 | 2222,6 |
| Crédits | 143,4 | 155,9 | 188,5 | 242,8 | 294,4 | 315,7 | 383,7 | 499,7 | 528,7 | 476,5 | 451,3 | 461 | 527,6 | 543,2 |
| En milliards d’euros | ||||||||||||||
Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).
Par ailleurs, la création de nouveaux instruments de financements comme les billets de trésorerie 52 a permis aux entreprises disposant de bonnes signatures, de ne plus s’adresser systématiquement aux banques pour des financements de CT. Ces dernières ont ainsi vu s’échapper leurs meilleurs clients, en termes de volume d’affaire et de risques.
Au final, il est clair qu’au cours des deux dernières décennies, les firmes françaises ont profondément reconsidéré leur politique de financement, remplaçant progressivement la dette bancaire par l’appel direct à l’épargne publique. Se faisant, elles ont pu augmenter leur taux d’autofinancement (renforcement des fonds propres grâce aux émissions d’actions et à la hausse des profits), toutes choses étant égales par ailleurs, baisser leur endettement total 53 (l’actionnaire étant un propriétaire et non un créancier), tout en maintenant un taux d’investissement stable, comme on peut le voir à travers le graphique n°13 ci-dessous.
Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).
Pour ce qui est de la situation aux Etats-Unis, le graphique n°14 permet de constater que les entreprises non financières procèdent, elles aussi, depuis le début des années quatre-vingt, au remplacement progressif de la dette bancaire.
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
En effet, la décomposition du poste des dettes montre que la part des crédits bancaires a significativement reculé, passant de 29% à seulement 12% du total des dettes entre 1982 et 2003. En revanche, on note que la part des emprunts obligataires dans la dette totale n’a pas cessé de s’accroître, passant de 38% à 58% de 1982 à 2003.
En termes d’encours, le tableau n°12 indique que les sommes levées par les entreprises américaines via l’émission d’obligations représentent aujourd’hui quatre fois le montant de la dette bancaire, alors que les deux modes de financement s’équivalaient au début des années quatre-vingt (les crédits bancaires qui représentaient 76% en comparaison aux obligations en 1982, ne représentent plus que 21% en 2003).
| Année | 1982 | 1984 | 1986 | 1988 | 1990 | 1992 | 1994 | 1996 | 1998 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 |
| Obligations | 421 | 495,1 | 705,4 | 887,2 | 1008,2 | 1154,5 | 1253 | 1460,4 | 1846 | 2230,3 | 2578,8 | 2711 | 2873,3 |
| Crédits bancaires | 318,5 | 391,1 | 481,1 | 517,9 | 545,5 | 488,4 | 527,2 | 642,1 | 764,7 | 861 | 758,3 | 661,9 | 612,5 |
| Encours en milliards de dollars | |||||||||||||
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
Par ailleurs, à l’instar des entreprises françaises qui émettent des billets de trésorerie, les entreprises américaines ont recours à l’émission de commercial papers. Cela leur évite de s’adresser systématiquement aux banques pour les financements de courtes durées. En 2003, ces entreprises ont émis l’équivalent de 85,9 milliards de dollars, ce qui représente environ 7% de l’ensemble des émissions sur le marché des commercial papers. Cela dit, les entreprises américaines sont historiquement plus portées sur le financement par émission d’actions que sur le financement par emprunt obligataire et/ou bancaire. Dans cette perspective, le graphique n°15 montre que l’écart entre les deux postes : dettes et actions, ne cesse de se creuser depuis la fin des années quatre-vingt. En effet, alors que les premières représentaient 80% en comparaison aux secondes en 1953, elles ne représentaient plus que 49% en 2003.
Il faut dire que l’écart entre les deux grandeurs aurait sûrement été plus important si la mauvaise conjoncture qui marque les marchés boursiers américains depuis les événements de septembre 2001, n’avait pas pénalisé autant la capitalisation des entreprises. En effet, rapporté à l’encours des actions, l’encours des dettes ne représentait que 36% en 2000.
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
Quoi qu’il en soit, les entreprises américaines affichent un niveau très élevé d’autofinancement (113% en 2003), qui témoigne de l’importance de leurs fonds propres, ainsi qu’un niveau stable d’investissement (18% en 2003), comme on peut le constater à travers le graphique n°16.
Source : Taux d’autofinancement : données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ). Taux d’investissement : données extraites des rapports annuels du Bureau of Economic Analysis, Department of Commerce.
Tout au long de cette première sous-section, nous avons pu constater l’ampleur des transformations qui caractérisent l’environnement dans lequel évoluent les banques, depuis plus de deux décennies. D’une part, il convient de souligner que ces transformations ne peuvent être correctement saisies qu’à travers un cadre dynamique, prenant en compte, à la fois leur diversité et leur interaction. D’autre part, il faut insister sur le caractère irréversible de plusieurs de ces transformations qui semblent être persistantes et permanentes. Aussi, on voit mal comment un retour en arrière serait possible après tant de changements au niveau des fonctions, des structures et des acteurs de la sphère financière.
A présent, nous allons voir comment la nouvelle donne qui caractérise l’environnement d’exercice des banques s’est répercutée sur la fonction d’intermédiation traditionnelle de celles-ci, en l’occurrence, la collecte des dépôts et l’octroi des crédits.
Titres de créances négociables émis par des entités n’ayant pas le statut d’établissement de crédit et dont la durée initiale est inférieure ou égal à un an (article 1er aliéna 2 du décret 92-137 du 13 février 1992).
Il faut signaler que les taux d’intérêt réels très élevés, au début des années quatre-vingt, ont encouragé les entreprises à se désendetter pour neutraliser l’effet de levier défavorable (ou l’effet de massue).