1.2.2. Le recul des crédits et la baisse des taux débiteurs à l’actif

L’analyse de l’évolution des crédits à l’actif des banques, en France et aux Etats-Unis, permet de constater le recul de leurs poids par rapport au total du bilan. En France, le graphique n°19 montre que les deux composantes majeures des financements bancaires classiques, à savoir les crédits à CT (trésorerie et découvert) et ceux à LT (équipement et habitat) ont connu une décélération régulière ces deux dernières décennies. En effet, les crédits à CT qui représentaient 17% du bilan bancaire en 1977 ne représentent plus que 5% du bilan en 2002. Pour ce qui est des crédits à LT, ils ont également enregistré une décrue sensible puisqu’ils passent de 39% à 29% du bilan entre 1977 et 2002. Somme toute, l’ensemble des crédits (CT et LT) a chuté de 56% à 34% entre 1977 et 2002.

Graphique n°19: Evolution de la part des crédits à la clientèle non financière dans le bilan des banques en France (1977-2002)
Graphique n°19: Evolution de la part des crédits à la clientèle non financière dans le bilan des banques en France (1977-2002)

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

Le tableau n°15 qui suit nous renseigne sur l’évolution de l’encours des crédits durant la même période. On note que les crédits à CT passent de 39,7 à 158,1 milliards d’euros entre 1977 et 2002. Les crédits à LT, quant à eux, passent de 91,6 à 881,4 milliards d’euros au cours de la même période.

Tableau n°15 : Evolution de l’encours des crédits à la clientèle non financière dans le bilan des banques en France (1977-2002)
Année 1977 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002
Crédits à CT
aux ANF
39,7 42,6 52,1 75,6 82,7 81,1 104,8 144,8 155,2 136,3 141,5 149,9 189,6 158,1
Crédits à LT
aux ANF
91,6 104,4 143,9 200,6 256,5 285,7 370,5 467,8 511,0 488,4 498,7 528,4 742,7 881,4
Total du bilan 236,9 285,6 407,7 567,0 734,6 826,8 1055,4 1290,6 1416,8 1566,3 1759,1 2058,3 2763,8 2993,5

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

Toujours en France, on note à côté de l’effet-volume qui vient d’être développé ci-dessus, l’existence d’un effet-prix qui se caractérise par la baisse des taux bancaires débiteurs de référence (réels et nominaux).


Cette baisse des taux débiteurs, illustrée par le tableau n°16, reflète la concurrence aiguë qui s’est installée au lendemain de la privatisation des banques publiques 54 . Auparavant price setter (faiseurs de prix) les banques n’ont plus désormais autant de pouvoir sur le marché du crédit, et sont devenues des price taker (preneurs de prix).

Toutefois, cela n’a pas suffit à redynamiser la demande de crédits bancaires exprimée par les agents non financiers, comme nous l’avons vu précédemment. Ensemble, l’effet-volume et l’effet-prix ont fortement contribué à l’écrasement de la marge d’intermédiation sur les opérations avec la clientèle, via la réduction du rendement moyen des crédits, comme nous le verrons plus loin. Il convient de signaler ici que de récentes études (Goyeau, Sauviat et Tarazi, 1998, 2002) ont établi de façon empirique, l’existence d’un lien direct entre la baisse des taux d’intérêt débiteurs et la dégradation des résultats bancaires.

Tableau n° 16 : La baisse du coût du crédit bancaire en France (Taux Effectifs Globaux, 1992-2003)
Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
ENTREPRISES                        
Ventes et achats à tempérament 14,0 12,2 12,1 12,2 10,4 7,8 7,6 6,9 7,9 7,2 7,3 6,2
Prêts  2 ans à taux variable 11,8 10,0 8,2 9,0 6,9 5,8 5,4 5,2 6,5 6,0 5,6 4,7
Prêts  2 ans à taux fixe 12,1 10,3 9,7 9,4 7,9 7,0 6,2 5,7 6,8 6,3 6,1 4,9
Découverts 14,0 12,6 12,0 12,1 10,6 9,5 9,4 8,9 9,8 9,2 8,8 8,1
Autres prêts  2 ans 13,4 11,7 10,8 11,7 9,7 8,1 7,5 7,0 8,1 7,8 7,5 6,5
                       
PARTICULIERS                        
Immobilier à taux fixe 11,6 10,0 9,1 9,3 8,3 7,3 6,5 6,2 7,0 6,3 6,0 5,1
Immobilier à taux variable 11,1 9,7 9,1 8,6 7,3 6,3 5,9 5,8 7,0 6,3 5,5 4,6
Prêts  à 1524,49 euros 19,7 17,9 16,5 16,4 15,6 14,3 13,3 13,6 14,9 15,7 16,6 15,6
Découverts  1524,49 euros 16,6 14,9 13,3 14,4 13,4 13,0 12,3 11,8 12,8 12,7 13,2 12,4
Prêts personnels  1524,49 euros 15,2 12,6 11,5 11,8 10,5 9,4 8,4 8,2 8,8 8,5 8,1 7,2
                         
CALCUL DES TAUX REELS
Taux annuel d’inflation 2,5 2,2 1,7 1,8 2,1 1,3 0,7 0,6 1,8 1,8 1,9 2,2

Source : Fédération Bancaire Française, La banque en chiffres, Numéros divers ( http://www.fbf.fr ) et Banque de France ( http://www.banque-france.fr/banque_de_france/fr/info/credit/2.htm ).

Si l’on s’intéresse maintenant à l’évolution des crédits dans les bilans bancaires aux Etats-Unis, on remarquera une tendance différente de celle enregistrée au sein des banques françaises. En effet, le graphique n°20 montre que, sur la période 1950-2003, cette évolution prend une forme cyclique avec une rupture se situant au début des années quatre-vingt. Ainsi, les crédits commerciaux et industriels octroyés par les banques américaines croissent de façon régulière entre 1950 et 1980, passant de 17% à 31% du bilan, avant de chuter progressivement pour revenir à 16% en 2003.

Graphique n°20: Evolution de la part des crédits à la clientèle non financière dans le bilan des banques aux Etats-Unis (1950-2003)
Graphique n°20: Evolution de la part des crédits à la clientèle non financière dans le bilan des banques aux Etats-Unis (1950-2003)

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1945-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

Sur le même graphique, on note que les crédits bancaires à la consommation sont également en baisse sur le LT, mais de façon moins prononcée que les crédits industriels et commerciaux. En effet, ils passent de 6% à 13% du bilan entre 1950 et 1985, avant de revenir à 8% en 2003.

En termes d’encours, le tableau n°17 indique que les crédits industriels et commerciaux qui représentaient 26 milliards de dollars en 1950, représentent 1292,4 milliards en 2003. Les crédits à la consommation, quant à eux, passent de 9,7 milliards à 636,4 milliards de dollars entre 1950 et 2003. Pour sa part, le bilan total des banques a progressé de 149,8 milliards à 7854,4 milliards de dollars sur la même période.

Tableau n°17 : Evolution de l’encours des crédits à la clientèle non financière dans le bilan des banques aux Etats-Unis (1950-2003)
Années 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002 2003
Crédits commerciaux
et industriels
26 39,6 58,3 98,7 154,8 265,8 458,5 661,7 820 949,6 1496,6 1421 1340,4 1292,4
Crédits à la
consommation
9,7 17,2 26,4 45,2 65,6 106,1 180,2 297,2 382 502 541,5 558,4 587,3 636,4
Total du bilan 149,8 187,9 229 341,6 517,2 885,1 1481,7 2376,3 3337,5 4493,8 6468,7 6829 7330,6 7854,4

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1945-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

Le tableau n°18, ci-dessous, nous renseigne sur l’évolution du coût des principaux crédits accordés par les banques américaines. Ici encore, on note la forte baisse des taux débiteurs, élément qui reflète, d’une part, la forte concurrence qui caractérise le marché du crédit américain et, d’autre part, la dégradation des revenus générés par l’intermédiation de bilan traditionnelle.

Tableau n° 18 : La baisse du coût du crédit bancaire en aux Etats-Unis (Moyenne annuelle à partir des taux mensuels, 1990-2003)
Année 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
ENTREPRISES                            
Crédits à CT* 10,0 8,5 6,3 6,0 7,2 8,8 8,3 8,4 8,4 8,0 9,2 6,9 4,7 4,1
PARTICULIERS                            
Crédits à la consommation** 12,5 12,4 9,9 9,5 9,8 11,2 9,8 7,1 6,3 6,7 6,6 5,6 4,3 3,4
Immobilier à
taux fixe***
10,1 9,2 8,4 7,3 8,3 7,9 7,8 7,6 6,9 7,4 8,1 7,0 6,5 5,8
TAUX REELS                            
Taux d’inflation annuel -- 4,2 3,0 3,0 2,6 2,8 2,9 2,3 1,5 2,2 3,4 2,8 1,6 2,3

Source: Selected Interest Rates, Federal Reserve Statistical Release ( http://www.federalreserve.gov/releases/h5/data.htm ).

Comme nous l’avons vu dans la première sous-section, parmi les facteurs explicatifs de la chute des crédits bancaires, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, le recours des entreprises aux émissions d’actions et d’obligations, le développement du marché des titres de créances négociables (commercial papers) et la concurrence des financements accordés par les intermédiaires financiers non bancaires, telles que les compagnies financières (voir le paragraphe 1.1.2). L’essor de nouvelles pratiques bancaires comme la titrisation (securitization) et les engagements par signature (loan commitments) a également sa part de responsabilité dans la baisse des crédits traditionnels (voir la sous-section 2.2).

De façon plus générale, l’analyse de l’évolution du taux d’intermédiation financière au sens étroit (voir encadré n°01 ci-après) qui mesure le poids des crédits accordés par l’ensemble des établissements de crédit résidents (banques) dans le total des financements obtenus par les agents non financiers, permet de prendre conscience du significatif recul des crédits bancaires dans l’économie.

Encadré n°01 : Définition du taux d’intermédiation financière en France
Le besoin de financement des agents non financiers peut être satisfait par un appel direct aux marchés financiers ou le recours à des intermédiaires financiers. Le calcul d’un taux d’intermédiation vise à mesurer le poids de ces derniers dans le financement de l’économie. A cet effet, deux approches sont utilisées.

1/ Le taux d’intermédiation au sens étroit :

Cette première approche consiste à ne considérer comme financements intermédiés que les crédits accordés directement par les établissements de crédit résidents et assimilés. On se place alors sous l’angle des contrats utilisés (crédit ou titre). L’intermédiation reflète alors le choix effectué par l’agent emprunteur entre un emprunt auprès d’un établissement de crédit et une émission de titre, qu’il s’agisse d’un titre de créance ou de propriété. Un tel taux se définit donc comme le rapport des crédits accordés par les établissements de crédit aux agents non financiers sur la totalité des financements obtenus par ces mêmes agents (crédits, titres de dette, titres de propriété).

Toutefois, cette approche ignore les opérations sur titres des établissements de crédit et des autres intermédiaires financiers, et leurs effets sur la satisfaction des besoins de financement des agents non financiers. En effet, lorsque, par exemple, une banque souscrit un billet de trésorerie émis par une entreprise, cette opération constitue bien un financement de l’entreprise par la banque à l’instar de ce qui aurait prévalu dans le cas de l’octroi d’un crédit. La différence réside en ce que la banque peut éventuellement vendre ce billet de trésorerie sur un marché secondaire plus aisément qu’elle ne pourrait céder le crédit. On peut dès lors envisager une conception alternative consistant à définir le taux d’intermédiation de façon plus large.

2/ Le taux d’intermédiation au sens large:

Cette seconde approche appréhende les financements intermédiés comme l’ensemble des concours aux agents non financiers, qu’ils résultent de l’octroi de crédits ou de l’achat par les établissements de crédit, mais aussi les autres intermédiaires financiers (OPCVM et sociétés d’assurance), de titres de créances et de propriété, à l’émission et sur le marché secondaire. Il s’agit alors d’une approche des financements du point de vue de l’offre effectuée par les intermédiaires financiers. Un tel taux se définit alors comme le rapport de l’ensemble des financements (crédits, titres de propriété et titres de créances) accordés par les intermédiaires financiers résidents (établissements de crédit, OPCVM et sociétés d’assurance) aux agents non financiers sur la totalité des financements obtenus par ces mêmes agents.

Source : CNCT, Rapport annuel, 2001, p.269.

Le tableau n° 19 illustre cette tendance en France. En effet, on remarque que le taux d’intermédiation financière au sens étroit poursuit sa forte baisse, entamée depuis la fin des années soixante-dix.

Tableau n° 19 : La baisse du taux d’intermédiation bancaire en France (au sens étroit, 1992-2001)
Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001
Crédits accordés par les EC (A) 990,3 987,9 974,2 996,5 974,4 995,3 1000,3 1050,0 1100,2 1122,7
Financements par
titres (B)
694,9 768,2 861,6 917 1011,3 1084,7 1190,6 1322 1512,3 1620,6
Total des financements dans l’économie (C=A+B) 1685,2 1756,1 1835,9 1913,5 1985,7 2079,9 2190,9 2372,0 2612,5 2743,3
Taux d’intermédiation bancaire (A/C) 58,8% 56,3% 53,1% 52,1% 49,1% 47,9% 45,7% 44,3% 42,1% 40,9%

Source : Conseil National du Crédit et du Titre (CNCT), Rapports annuels.

Alors que ce taux était de l’ordre de 71% en 1978 (CNCT, 2001, p.257), il s’établit à moins de 41% en 2001, soit un recul de 30 points de pourcentage en l’espace de deux décennies. Entre 1992 et 2001, le taux d’intermédiation a enregistré une baisse annuelle moyenne de -3,9%. Il faut rappeler que le déclin de la part des financements par crédit est essentiellement lié à la progression des financements directs sous forme de titres de créances et de titres de capital. A titre d’exemple, la part des obligations dans le financement total des agents non financiers français est passée de 6% en 1978 à 21,9% en 2001. De même, la part des actions émises par ces mêmes agents est passée de 8,1% en 1978 à 21,5% en 2001 (CNCT, 2001). Il est clair que les crédits bancaires sont les grands perdants des nouvelles stratégies de financement mises en œuvre par les agents non financiers (entreprises) depuis la fin des années soixante-dix.

Aux Etats-Unis, le tableau n°20 indique également que le taux d’intermédiation bancaire est en déclin depuis le début des années quatre-vingt. En effet, alors qu’il était de l’ordre de 14,9% en 1980, il s’établissait à 8,1% en 2003, soit une baisse annuelle moyenne de –2,61% sur l’ensemble de la période 1980-2003. Le fait que ce taux se soit relativement stabilisé au cours des dernières années est principalement dû à la chute de la valeur boursière des actions et obligations au lendemain des événements du 11 septembre 2001, facteur qui a fait baisser le dénominateur de ce taux, comme on peut le constater dans le tableau.

Tableau n° 20 : La baisse du taux d’intermédiation bancaire aux Etats-Unis (au sens étroit, 1980-2003)
Année 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2001 2002 2003
Crédits bancaires (A) 938,1 1068 1308,2 1603,3 1854,7 2100,2 2139,8 2407,1 2821,1 3304,6 3874,8 3944,4 4163,8 4398,3
Total des financements dans l’économie (B*) 6289,9 7418,4 9366,5 12918,4 15439 17906,1 21620,1 24985,5 32402,1 42584,2 49381 48767,5 47129,5 54612
Taux d’intermédiation bancaires (A/B) 14,9% 14,4% 14,0% 12,4% 12,0% 11,7% 9,9% 9,6% 8,7% 7,8% 7,8% 8,1% 8,8% 8,1%

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

Les paragraphes 1.2.1 et 1.2.2 précédents nous ont permis de constater le recul effectif de la part des dépôts et des crédits dans les bilans bancaires, en France et aux Etats-Unis. Mais, ce constat ne suffit pas, à lui seul, pour conclure au déclin de l’intermédiation traditionnelle de bilan. C’est pourquoi nous l’étayons dans ce qui suit par l’analyse de l’évolution de la marge d’intermédiation sur les opérations traditionnelles avec la clientèle. L’écrasement de cette marge qui mesure la profitabilité de la collecte des dépôts et de l’octroi des crédits renforce notre argumentaire.

Notes
54.

Dans son rapport annuel de 1994 (p.120), la Commission Bancaire précise que :  « La concurrence bancaire s’est exercée sur les prix, en particulier sur les taux pratiqués sur les crédits. Les établissements ont pu accepter de subir, à CT, un réduction de leurs marges d’intérêts, dans le but d’accroître leurs parts de marché en éliminant les moins compétitifs d’entre eux. C’est en effet ce qui devrait se produire selon la théorie économique. Toutefois, il apparaît que les modalités de fonctionnement de l’industrie bancaire s’écartent des conditions d’obtention de cette «  concurrence régulatrice  » . C’est ainsi que l’existence des banques généralistes, l’inertie de la production de crédits et la viscosité des parts de marché (en raison de la proximité géographique, des habitudes des clients, etc.) ont ralenti considérablement, voir annulé le processus de sélection qui résulte sur d’autres marchés d’une «  guerre des prix  » . Dans ces conditions, il est apparu à certains moments des situations de «  concurrence destructrice ».