En France comme aux Etats-Unis, les banques ont pendant de longues années subies l’intervention des autorités publiques qui les empêchaient de fixer librement leurs conditions commerciales. La finalité annoncée de ce genre d’ingérence était la lutte contre les situations de concurrence destructrice.
Aux Etats-Unis, la réglementation « Q » qui a régi la rémunération des dépôts collectés par les banques américaines, durant la période 1933-1986, représente l’exemple type de cette situation.
En France, les grandes banques qui, jusqu’à la fin des années quatre-vingt, appartenaient encore à l’Etat, voyaient leurs conditions débitrices et créditrices être déterminées administrativement par les autorités de tutelle 58 .
Aujourd’hui encore, malgré leur privatisation, une partie de leurs ressources émanant de la clientèle non financière (24% en 2001) relève toujours de « l’épargne administrée » dont les conditions sont encore, pour l’essentiel, établies par le gouvernement 59 .
Par ailleurs, la clause du « ni-ni » – ni rémunération des comptes à vue, ni tarification des chèques – reste toujours en vigueur 60 . Toutefois, la coordination institutionnelle des pratiques bancaires au niveau européen, conjuguée aux protestations grandissantes de la profession bancaire au niveau national, devraient forcément déboucher, comme dans d’autres domaines, sur la suppression du « particularisme français » en la matière.
Cela étant, l’approfondissement de la libéralisation financière et du désengagement de l’Etat de la gestion directe des banques a fait que celles-ci disposent actuellement d’une plus grande marge de manœuvre en matière de détermination de leurs taux débiteurs et créditeurs. Cette situation s’est traduite par un alignement des conditions bancaires sur les référentiels des marchés financiers, le but étant de stopper la fuite de la clientèle bancaire vers les instruments de financement et les produits de placement non bancaires. La tâche semble très difficile pour les banques, tant leurs actifs ont la réputation d’être plus onéreux aux yeux des agents à besoin de financement et pas très rentables aux yeux des agents à capacité de financement.
Quoi qu’il en soit, on note qu’un profond mouvement d’ajustement s’est opéré au niveau des conditions de rémunération de l’épargne et de tarification des financements bancaires. Au niveau des taux débiteurs, le recours des entreprises à l’émission de billets de trésorerie (Commercial Papers aux Etats-Unis) a conduit les banques à intégrer des clauses d’indexation sur les taux du marché monétaire, dans leurs crédits à CT. De même pour les crédits à LT, les banques proposent aujourd’hui des taux débiteurs en adéquation avec les taux pratiqués sur le marché obligataire. A ce sujet, une étude de la Banque de France 61 (1998, p.63) signale que : ‘«’ ‘ En France, la part du crédit référencé sur le taux de base bancaire dans le total des crédits bancaires aux sociétés fléchit régulièrement depuis quelques années – elle est tombée à 9% en 1995 et certainement encore moins aujourd’hui -, ce qui traduit le fait que, soumis à la concurrence des financements de marché, les établissements de crédit sont de moins en moins souvent en mesure d’imposer ce taux ’ ‘»’ ‘.’
Au niveau des taux créditeurs, la migration des ménages vers des produits d’épargne adossés aux référentiels des marchés monétaires et financiers comme les OPCVM, les plans d’assurance-vie et plus généralement les actifs relevant de la gestion indicielle, a poussé les banques à proposer ces mêmes types de produits avec les mêmes conditions, la plupart du temps, en créant leurs propres structures de commercialisation (SICAV et FCP en France, Mutuals Funds aux Etats-Unis).
Après avoir vu l’alignement des conditions bancaires sur les référentiels de marchés, nous poursuivons la mise en relief du phénomène de marchéisation des banques en nous intéressant, à présent, au rôle central que jouent celles-ci en tant que market makers.
Avant 1990, la rémunération des dépôts bancaires était administrée par le Trésor Public et la Banque de France puis par le Conseil National du Crédit (CNCT).
L’épargne réglementée recouvre plusieurs produits financiers à statut fiscal spécial. Il peut s’agir de placements bancaires (livrets A, livrets bleus, livrets jeunes, LEP, Codevi, comptes et plans d’épargne-logement et une partie des PEP), d’instruments de placement en titres cotés (PEA) ou encore de contrats d’assurance (assurance-vie et une partie des PEP). Les sommes constituées par cette épargne sont soit disponibles à vue (les différents livrets), soit bloqués pendant une période minimale (par exemple 4 ans pour les plans d’épargne-logement, 5 ans pour les PEA et 8 ans pour l’assurance-vie). Par ailleurs, les fonds collectés sont, selon les cas, affectés à des emplois choisis par le souscripteur (cas du PEA et de l’assurance-vie), laissés à la disposition de la banque (cas des livrets jeunes ou de l’épargne-logement) ou encore centralisés et affectés à des emplois déterminés par l’Etat (cas des livrets A et bleus). En ce qui concerne la rémunération de cette épargne, elle est tantôt liée à celle des actifs souscrits dans le cadre de l’instrument (assurance-vie et PEA), tantôt déterminée par la banque qui collecte les fonds (livrets jeunes), tantôt fixée par voie réglementaire (la plupart des livrets et l’épargne-logement).
En France, l'interdiction de rémunérer les dépôts à vue remonte au règlement N° 67-08 du Conseil National du Crédit (CNCT actuellement) datant du 28 juin 1967, entériné par le règlement N° 86-13 du 14 mai 1986 du comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF). Cette interdiction est actuellement inscrite à l’article L.312-3 du code monétaire et financier. Le 18 février 2002, la Caixa Bank, filiale espagnole exerçant en France avait décidé de rémunérer les dépôts à vue (dont les soldes sont supérieurs à 1500 euros) de ses clients au taux de 2%. La banque s'est fondée sur la directive européenne 2000/12/CE du 20 mars 2000 et l’article 43 du traité de la Communauté Européenne qui stipule qu'une banque agrée dans son pays peut s'établir dans la zone euro sous les mêmes conditions que dans son pays d'origine. Le 16 avril 2000, la Commission Bancaire sanctionne la Caixa Bank, lui ordonne de suspendre son action commerciale et lui enjoint également de dénoncer les contrats de dépôts déjà conclus. La banque, considérant cette décision comme une atteinte au principe de liberté européenne d’établissement, a fait appel devant le Conseil d’Etat. Ce dernier a décidé le 06 novembre 2002 de surseoir à statuer sur cette question présentant une « difficulté sérieuse » et de soumettre le dossier à la Cour de Justice des Communautés européennes. Cette dernière a rendu sa décision (avis) le 05 octobre 2004 en faveur de la Caixa Bank, estimant que : « L'interdiction de rémunérer les comptes de dépôts à vue... constitue pour les sociétés d'Etats membres autres que la République française un obstacle sérieux à l'exercice de leurs activités». Le Conseil d'Etat devra maintenant rendre sa propre décision en suivant l'interprétation de la Cour européenne de Justice. La France devra ensuite changer sa législation en la matière.
Banque de France, La politique monétaire à l’heure du marché mondial des capitaux.