2.1.3. La mobiliérisation des bilans bancaires

L’ajustement des bilans bancaires par le recours aux valeurs mobilières caractérise aussi bien le passif que l’actif. Du côté du passif, les banques tentent de compenser la diminution des dépôts de la clientèle et notamment des dépôts à vue non rémunérés par le recours à des ressources rémunérés au taux du marché monétaire comme les certificats de dépôts (Certificates of deposits). Du côté de l’actif, les banques essayent de pallier la baisse des crédits industriels et commerciaux en développant les acquisitions de titres directs de dette et de propriété tels que les titres de créances négociables, les obligations, les actions et les titres d’OPCVM (Open market papers, Corporate and Foreign bonds, Corporate equities, Mutual fund shares).

Cette mobiliérisation des bilans bancaires apparaît, aujourd’hui, difficilement réversible puisqu’elle s’inscrit, d’une part, dans le temps et qu’elle procède, d’autre part, de l’extension continue des marchés de capitaux.

Au niveau global, elle est porteuse d’une mutation de taille. En effet, elle substitut au modèle d’intermédiation classique « dépôts-crédits » un nouveau modèle d’intermédiation « titres-titres » dont les caractéristiques sont très différentes, notamment en termes de mutualisation des risques, de production d’information et de fourniture de liquidité (ces aspects seront traités dans le second chapitre).

Aujourd’hui, il est encore délicat d’évaluer les retombées de cette transformation sur le plan macroéconomique, eu égard à ses effets mitigés, qui oscillent entre meilleure allocation des ressources et nouveaux risques déstabilisateurs.

En France, il apparaît sur le graphique n°25 que la mobiliérisation des bilans bancaires progresse à un rythme soutenu, depuis le début des années quatre-vingt. Au passif, la part des titres relativement au bilan total a été multipliée par 5 et demi, passant de 4% à 21% de 1980 à 2002, soit un taux de croissance annuel moyen de +7,83%. A l’actif, cette même part a été multipliée par presque 6 au cours de la même période, passant de 4% à 23%, soit un taux de croissance annuel moyen de +8,27%.

Graphique n° 25 : Evolution de la part des titres dans les bilans bancaires en France  (1980-2002)
Graphique n° 25 : Evolution de la part des titres dans les bilans bancaires en France (1980-2002)

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).


Lorsqu’on analyse ces évolutions avec plus de détail, on remarque que les émissions de titres ont contribué de manière significative à procurer des ressources aux banques. En effet, au regard du graphique n°26, les émissions de titres de créances négociables (certificats de dépôts et Bons à moyen terme négociables) et d’obligations (dont les titres du marché interbancaire à LT) ont permis de lever respectivement 285,6 et 212,2 milliards d’euros en 2002, ce qui correspond au total à plus de 50% des dépôts collectés.

Graphique n°26: Evolution de l'encours des titres dans le passif des banques en France  (1980-2002)
Graphique n°26: Evolution de l'encours des titres dans le passif des banques en France (1980-2002)

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

Dans la même perspective, les acquisitions de titres à l’actif témoignent de l’importance que prend le portefeuille-titres au sein des banques françaises. Tel qu’on peut le voir à travers le graphique n°27, on assiste depuis le début des années quatre-vingt à une croissance très soutenue des actions, TCN, obligations et titres d’OPCVM dont les encours à l’actif ont respectivement été multipliés par 29, 27, 54 et 80 entre 1980 et 2002.

La situation mensuelle du marché des TCN (Banque de France) établie, qu’au 31 mai 2004, les établissements de crédit étaient souscripteurs de 46,5% des certificats de dépôts émis, 87,05% des billets de trésorerie émis et 62,56% des Bons à moyen terme négociables émis.

Graphique n°27: Evolution de l'encours des titres dans l'actif des banques en France  (1980-2002)
Graphique n°27: Evolution de l'encours des titres dans l'actif des banques en France (1980-2002)

Source : Données extraites des Comptes Nationaux financiers, Banque de France, S.E.S.O.F, ( http://www.banque-france.fr/fr/stat/main.htm ).

Il faut préciser que les banques peuvent réaliser des transactions sur titres, soit pour leur propre compte, soit pour le compte de leur clientèle. Dans le premier cas, les titres appartiennent à la banque et sont comptabilisés à l’actif de son bilan. Dans le second cas, ils sont la propriété de la clientèle et font uniquement l’objet d’un suivi en comptabilité « matière » (ils n’apparaissent ni dans le bilan ni dans le hors-bilan), la banque se rémunérant à travers des commissions. Il est alors formellement interdit à la banque de recourir au « tirage sur la masse », c’est-à-dire, d’utiliser les titres de sa clientèle pour garantir ses engagements.

Lorsque les titres acquis par une banque sont pour compte propre, ils sont répartis entre plusieurs familles de portefeuilles, en fonction de l’intention de leur détention. On peut ainsi distinguer, conformément au règlement du Comité de la Réglementation Comptable (CRC) n°00-02 du 04 juillet 2000 :

Cela étant, dans le souci de converger vers un marché financier unique, l’Union européenne a adopté le 19 juillet 2002, le règlement n°1606-2002 qui impose, à partir du 1er janvier 2005, l’utilisation des normes comptables internationales (International Accounting Standards-IAS) à toutes les entreprises européennes faisant appel à l’épargne publique.

S’agissant des banques, la norme IAS 39 relative aux instruments financiers, prévoit un changement de taille consistant à comptabiliser certains titres de l’actif à leur juste valeur (fair value) 62 , comme c’est le cas aux Etats-Unis. La nouvelle méthode d’évaluation s’appliquera aux titres de placement, titres de l’activité de portefeuille et titres comptabilisés en tant que valeurs mobilisées (hormis les parts dans les entreprises liées), qui seront regroupés au sein d’un unique portefeuille dit « disponible à la vente » (available for sale). Ce dernier devrait être évalué à la juste valeur et non plus à la valeur la moins élevée entre le coût historique et la valeur de marché ou d’utilité (Lower of cost or market) . En conséquence, les plus-values latentes qui n’étaient jusque là pas prises en compte, seront traitées de la même manière que les moins-values latentes, et systématiquement enregistrées, soit en compte de résultat, soit au niveau des fonds propres. L’encadré qui suit illustre, à travers un exemple, la portée de ce changement comptable.

Encadré n°03 : Impacts de la réévaluation du portefeuille de placement selon la norme IAS 39.
Encadré n°03 : Impacts de la réévaluation du portefeuille de placement selon la norme IAS 39.

Source : Commission Bancaire, Rapport annuel 2002, p.166.

Exemple :

Des titres de placement sont acquis à la date T0 pour une valeur de 1000 euros. Leur valeur de marché atteint 1700 euros en T1, 1200 euros et T2 et 900 euros en T3.

Conformément à la norme ISA 39, les plus et moins-values latentes sont enregistrées au choix en compte de résultat ou directement en fonds propres. En comptabilité bancaire française, seules les moins-values latentes donnent lieu à une provision pour dépréciation au niveau du compte de résultat.

Si l'on s'intéresse maintenant, à la contribution des opérations sur titres à la rentabilité bancaire, on constatera qu'elle prend diverses formes. Tout d'abord, les dotations et reprises de provisions pour dépréciation, ainsi que les résultats (plus ou moins-values) de cession relatifs aux titres de participation, aux parts dans des entreprises liées et aux autres titres détenus à LT, doivent être distingués des résultats liés aux autres portefeuilles-titres, parce qu'ils sont comptabilisés dans le poste « Gains ou pertes sur actifs immobilisés » qui figure dans le solde intermédiaire : Résultat Courant Avant Impôt. Cela étant, les résultats liés aux autres titres constituent des éléments à part entière du PNB.

Dans ce cadre, les résultats sur titres de transaction sont enregistrés dans le poste « Gains ou pertes sur opérations des portefeuilles de négociation ». Les résultats sous forme d'intérêts sur obligations et autres titres à revenu fixe ainsi que les rémunérations des opérations de transfert temporaire de titres (prêts, pensions, etc.) sont regroupés au niveau du poste « Intérêts et produits assimilés ».

Les résultats des titres à revenu variable (dividendes), qu'il s'agisse de titres de placement, de participation, de titres de l'activité de portefeuille ou d'autres titres détenus à LT, figurent dans le poste « Revenu des titres à revenu variable ». Les plus ou moins-values de cession relatives aux titres de placement et aux titres de l'activité de portefeuille sont comptabilisées dans le poste « Gains ou pertes sur opérations des portefeuilles de placement et assimilés ».

Au total, on remarque que l'essentiel des résultats liés aux opérations sur titres alimente la rubrique « Commissions et revenus divers » qui sera détaillée dans le prochain paragraphe 2.2.1. D’après notre grille de lecture, cette rubrique reflète principalement les nouvelles activités bancaires de marché et de hors-bilan.

S'agissant maintenant de la situation aux Etats-Unis, on note que la mobiliérisation des bilans bancaires s'y est développée moins significativement qu'en France. Il faut dire qu’à la suite de la grande crise financière des années trente, les banques américaines ont été sévèrement réprimées à travers l'interdiction de mener conjointement des opérations de clientèle classique (dépôts et crédits) et des opérations de prise ferme de valeurs mobilières (Glass-Steagall Banking Act de 1933).

Ce n'est qu'en 1999, date de l'adoption du Financial Modernization Act (ou Gramm-Leach-Bliley Act) que toutes les restrictions réglementaires relatives aux opérations sur les titres de marché ont été levées.


Cela dit, les banques américaines étaient autorisées à acheter et vendre des titres pour le compte de la clientèle (services fiduciaires et de gestion de portefeuille). En outre, elles pouvaient prendre ferme, pour compte propre, des valeurs mobilières émises par l’Etat et les administrations locales, et acquérir, via des sociétés de holding bancaire, des émissions d’obligations et d’actions, dans certaines limites et par l’intermédiaire de filiales.

Le graphique n°28, ci-dessous, illustre le développement des titres dans le bilan des banques américaines. On constate que la mobilièrisation est très présente à l’actif, où elle est passée de 18,6% à 25,1% du bilan, de 1980 à 2003. Au passif, en revanche, la mobilièrisation demeure très limitée et n’évolue pratiquement pas. Elle stagne autour du taux de 6% par rapport au total du bilan depuis 1980.

Graphique n°28: Evolution de la part des titres dans le bilan des banques aux Etats-Unis  (1980-2003)
Graphique n°28: Evolution de la part des titres dans le bilan des banques aux Etats-Unis (1980-2003)

Source : Assets and Liabilities of Commercial Banks in the United States, Federal Reserve Statistical Release H8, 1980-2003, ( http://www.federalreserve.gov/releases/h8/data.htm ).

En termes d’encours, le graphique n°29 ci-après, montre que les titres publics (U.S government securities, Municipal securities) représentent, à eux seuls, les trois quarts (1265,8 milliards de dollars) des titres détenus à l’actif des banques américaines en 2003. Arrivent en seconde position, les obligations d’entreprises américaines et les obligations étrangères (Corporate and foreign bonds) avec 506,4 milliards de dollars en 2003. Enfin, les actions et titres d’OPCVM (Corporate equities & Mutual fund shares) représentent des encours très faibles (32,3 milliards en 2003) par rapports aux autres titres.

Graphique n°29: Evolution de l'encours des titres dans l'actif des banques aux Etats-Unis (1980-2003)
Graphique n°29: Evolution de l'encours des titres dans l'actif des banques aux Etats-Unis (1980-2003)

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, Board of Governors ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

Du côté du passif maintenant, le graphique n°30 permet de constater l’atonie qui marque l’évolution des TCN (Open Market Papers) dont les encours sont en baisse sur le LT, passant de 68,2 milliards à 46,7 milliards de dollars entre 1980 et 2003.

Graphique n°30: Evolution de l'encours des titres dans le passif des banques aux Etats-Unis (1980-2003)
Graphique n°30: Evolution de l'encours des titres dans le passif des banques aux Etats-Unis (1980-2003)

Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, Board of Governors ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).

En revanche, le graphique montre l’essor des obligations (Corporate Bonds) émises par les banques, qui passent de 23,2 milliards à 379,2 milliards de dollars entre 1980 et 2003.

Tout au long de cette première sous-section, il a été question de mettre la lumière sur le phénomène d’ouverture des banques sur les marchés financiers. Il ressort de notre analyse que d’importantes passerelles se sont développées entre ces deux composantes, devenues de nos jours indispensables, l’une à l’autre. En effet, les marchés financiers gagnent en profondeur, en largeur et en liquidité du fait de l’intervention des banques, notamment en qualité de market makers. De même que les banques réalisent une part importante et croissante de leurs revenus grâce aux activités de marché. Le développement significatif des commissions et revenus divers témoigne de cette nouvelle tendance qui permet d’atténuer les effets néfastes relatifs à l’atonie de l’intermédiation traditionnelle. C’est ce que nous allons voir dans la prochaine sous-section.

Notes
62.

Juste valeur : Montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre parties bien informées et consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale (Commission Bancaire, 2002, Rapport annuel, p.157).