2.2.1. Les commissions et revenus divers à l’origine d’une nouvelle dynamique

L’analyse menée tout au long de la première section de ce chapitre a formellement mis en exergue le déclin de l’intermédiation bancaire classique définie par la collecte des dépôts et l’octroi des crédits, tout comme la baisse, dans le PNB, des revenus d’intérêts inhérents à cette intermédiation. A priori, ces évolutions structurelles auraient dû fortement affecter la place des banques au sein des économies nationales, par le biais, entre autres, de l’érosion de leur rentabilité financière. Or, le constat est tout à fait inverse comme nous allons le voir dans ce paragraphe. En effet, l’exploitation des statistiques économiques et financières montre que le niveau du PNB relativement, d’une part, au PIB et, d’autre part, au bilan bancaire moyen, se maintient en France, voire progresse aux Etats-Unis, malgré l’effritement de la marge d’intermédiation.

Au regard du graphique n°31, le PNB des banques françaises a très peu évolué sur la période 1988-2001. Il reste pratiquement au même niveau par rapport au PIB, passant de 5% à 5,3% de 1988 à 2001. La rentabilité économique des banques françaises, mesurée grâce au ratio (PNB/bilan ) mesurant aussi la marge brute globale, reste également stable, puisqu’elle passe de 2,5% à 2,6% de 1988 à 2001.

Graphique n°31: Evolution du PNB des banques en France (1988-2001)
Graphique n°31: Evolution du PNB des banques en France (1988-2001)

Source : Données extraites des statistiques de l’OCDE sur la « Rentabilité Bancaire », 2002 ( http://www.sourceoecd.org/ ).

Aux Etats-Unis, il apparaît sur le graphique n°32 qu’entre 1980 à 2003, le ratio (PNB/bilan) a gagné 2 points de pourcentage en passant de 3,8% à 5,7%, ce qui montre que les banques ont amélioré leur rentabilité économique (leur marge brute globale). De même, le ratio (PNB/PIB) a progressé de 14 points de base en passant de 2,5% à 3,9% au cours de la même période.

Graphique n° 32: Evolution du PNB des banques aux Etats-Unis (1980-2003)
Graphique n° 32: Evolution du PNB des banques aux Etats-Unis (1980-2003)

Source : 1980-2001 : données extraites des statistiques de l’OCDE sur la « Rentabilité Bancaire », 2002 ( http://www.sourceoecd.org/ ); 2002-2003 : données extraites du Historical Statistics on Banking, FDIC ( http://www2.fdic.gov/hsob/ ).

Comment expliquer ces évolutions qui semblent, de prime abord, en contradiction avec les conclusions de la première section ?

En fait, l’intermédiation bancaire traditionnelle définie par la collecte de dépôts et l’octroi de crédits est bien en déclin, et en termes de bilan, et en termes de PNB. Toutefois, une nouvelle composante de l’activité bancaire est en plein essor. Celle-ci est, d’une part, adossée aux opérations de marché et de hors-bilan. D’autre part, elle est génératrice de commissions et de revenus divers.

L’émergence de cette nouvelle composante explique le fait que le déclin de l’intermédiation traditionnelle ne se soit pas traduit par l’érosion de la rentabilité économique des banques, comme nous venons de le constater.

Les banques ont donc su compenser l’atonie de leurs activités de bilan traditionnelles, fondées sur la collecte des dépôts et l’octroi des crédits, en développant de nouvelles activités, notamment de hors-bilan, qui font largement appel aux marchés financiers.

Nous pouvons nous rendre compte de la progression de ces nouvelles activités au sein des banques françaises et américaines en retraçant l’évolution de la part des commissions et revenus divers dans leur PNB, ainsi qu’en analysant la rentabilité économique des activités génératrices de ces nouveaux revenus.

En France, le graphique n°33 ci-dessous montre que les commissions et revenus divers ont été multiplié par 3 en l’espace des 13 dernières années. En effet, alors qu’ils ne représentaient que 19% du PNB en 1988, ils dépassent désormais les produits financiers issus de la marge d’intermédiation et constituent 63% du PNB en 2001. Sur la période 1988-2001, cela équivaut à un taux de croissance annuel moyen de l’ordre de +9,66%. Rapportés au bilan, les commissions et revenus divers ont également triplé, progressant de 0,4% à 1,3% de 1988 à 2001, ce qui illustre la forte rentabilité économique des activités qui les génèrent. Par ailleurs, alors que les commissions et revenus divers ne rémunéraient les facteurs de production qu’à hauteur de 27% en 1988, ils couvrent désormais entièrement les frais d’exploitation (102% en 2001).

Graphique n°33: Evolution de la part des commissions et produits divers dans les banques en France (1988-2001)
Graphique n°33: Evolution de la part des commissions et produits divers dans les banques en France (1988-2001)

Source : Données extraites des statistiques de l’OCDE sur la « Rentabilité Bancaire », 2002 ( http://www.sourceoecd.org/ ).

Aux Etats-Unis, le graphique n°34 ci-après montre que la part des commissions et produits divers dans le PNB des banques a doublé au cours des deux dernières décennies, passant de 22% à 45% de 1980 à 2003. Cela représente un rythme de progression annuel moyen de +3,16%. Le rapport (commissions et revenus divers/bilan) a, quant à lui, été multiplié par 3, passant de 0,8% à 2,5% de 1980 à 2003.

Cela confirme la forte rentabilité économique des activités génératrices de commissions et de revenus divers. D’ailleurs, à elles seules, celles-ci couvrent désormais plus des trois quarts des frais d’exploitation (78% de 2003) alors qu’elles n’en couvrait que le tiers en 1988 (33%).

Graphique n°34: Evolution de la part des commissions et produits divers dans les banques aux Etats-Unis (1980-2003)
Graphique n°34: Evolution de la part des commissions et produits divers dans les banques aux Etats-Unis (1980-2003)

Source : 1980-2001 : données extraites des statistiques de l’OCDE sur la « Rentabilité Bancaire », 2002 ( http://www.sourceoecd.org/ ); 2002-2003 : données extraites du Historical Statistics on Banking, FDIC ( http://www2.fdic.gov/hsob/ ).

Les commissions (nettes) sont essentiellement réalisées à travers 3 types de prestations de services bancaires :

  • la gestion élémentaire des comptes et des moyens de paiement (chèque, carte bancaire, virement, télépaiement, porte-monnaie électronique, utilisation de GAB/BAB, facturations de chéquiers, etc.) ; ces commissions sont gagnées à mesure que des services sont rendus ;
  • la gestion de portefeuille et de patrimoine (activités fiduciaires) pour le compte de la clientèle (souscription d’assurance-vie, PEA, SICAV, FCP, etc.) ; ces commissions sont généralement liées à l’exécution d’un acte bien déterminé sur ordre et au profit des clients ;
  • l’ingénierie financière et le conseil (fusion-acquisition, émission de titres, introduction en bourse, etc.) ; ces commissions sont liées à des prestations indépendantes et facilement identifiables en tant que telles.

Le développement de la part des commissions conforte la rentabilité des banques dans la mesure ou ces commissions ne sont pas sensibles, contrairement à la marge d’intermédiation traditionnelle, aux variations des données conjoncturelles et des référentiels de marché comme les taux d’intérêt. Sont notamment considérés comme des commissions en tant que telles, les commissions perçues en qualité d’intermédiaire pour différentes opérations.

Les revenus divers (nets) ou produits non financiers hors commissions comprennent principalement :

  • les revenus de titres à revenu variable ;
  • les gains nets sur opérations financières : opérations sur titres, opérations de négociation (trading), opérations liées au portefeuille de placement, opérations sur instruments financiers à terme, opérations de change, etc. ;
  • les autres produits nets d’exploitation, les résultats exceptionnels, les gains sur actifs immobilisés (cessions), etc.

Depuis quelques années maintenant, les revenus divers contribuent à limiter la détérioration des résultats bancaires faisant suite à la diminution de l’intermédiation traditionnelle. Toutefois, il faut mentionner le caractère relativement instable de ces revenus du fait de la volatilité des marchés financiers et de la complexité de certaines opérations comme celles portant sur les produits dérivés et les montages financiers.

L’encadré qui suit présente les principales opérations bancaires génératrices de commissions et de revenus divers hors intérêts.

Encadré n°04 : Les principales opérations génératrices de commissions et de revenus divers
Les engagements de garantie : engagements de soutiens, avals, cautions, lettre de crédit documentaire, etc.
Les engagements de financement : lignes de crédit de substitution, engagements de reprise (pensions, rémérés), etc.
Les engagements sur produits financiers : futures et forwards, swaps, options, dérivés de crédits, etc.
Les opérations sur titres et produits divers : souscriptions, placements, courtage, teneur de marché, dépositaire de titres, etc.
Les services financiers de crédit : direction de syndicats de prêts, renégociation et restructuration de dettes, titrisation, etc.
Gestion de portefeuille et placements fiduciaires : gestion de fortune, conseil en placements, conseil fiscal, conseil immobilier, gestion de plan de retraite, etc.
Les services d’ingénierie financière aux entreprises : conseil en fusion/acquisitions (OPA, OPE, LMBO, etc.), conseil et montage d’opérations d’introduction en bourse ou de privatisation, capital-risque, etc.
Les services d’agence : démarchage de clientèle, courtage pour OPCVM, courtage d’assurance-vie, agence immobilière, agence de voyage, etc.
Les services de transaction : traitement de données, tenue de compte, compensation, chèques, virements, prélèvements, titre interbancaire de paiement, carte de paiement et de crédit, gestion des terminaux et des points de vente, coffre, distributeurs de billets, banques à domicile, services NTIC, etc.
Les services étrangers : relations avec les correspondants, conseil commercial, assurance-export, domiciliation et paiement d’opérations import-export, etc.

En France, les comptes de résultats publiés par les banques ne permettent pas de connaître avec exactitude la répartition des commissions et revenus divers. Aux Etats-Unis, en revanche, les banques sont tenues, depuis 2001, d’utiliser un nouveau format comptable qui permet de répertorier avec précision les différentes composantes du poste « produits non financiers ». Cela permet d’avoir une idée sur l’importance relative de chaque source de revenus hors intérêts et de mesurer sa contribution à la rentabilité globale.

Le graphique n°35 qui suit, nous montre les principaux éléments du poste « commissions et revenus divers » des banques américaine pour l’exercice 2003.

Graphique n°35: Commissions et revenus divers réalisés par les banques américaines en 2003 (Encours total: 186,5 milliards de dollars)
Graphique n°35: Commissions et revenus divers réalisés par les banques américaines en 2003 (Encours total: 186,5 milliards de dollars)

Source : FDIC, 2004, ( http://www2.fdic.gov/sdi/ ).

Au regard du graphique précédent, on constate l’importance que tend à prendre l’activité « titrisation et la vente de créances bancaires » qui a permis de réaliser 19% (35,3 milliards de dollars) des revenus non financiers en 2003. On note également la part significative des commissions issues d’opérations avec la clientèle, notamment celles liées à la gestion des comptes de dépôts qui représentent 17% (31,7 milliards de dollars) du total des revenus non financiers, ainsi que celles liées aux activités fiduciaires (gestion de portefeuille pour le compte de la clientèle) qui représentent 11,3% (21 milliards de dollars) du total. Cela montre que, nonobstant l’atonie générale de l’intermédiation traditionnelle de bilan, les banques ont su rentabiliser certaines composantes de cette intermédiation en développant des prestations annexes à forte valeur ajoutée (frais divers liés à la gestion des comptes, des moyens de paiements, services connexes, etc.), qui génèrent aujourd’hui des commissions non négligeables.


Concernant l’activité de trading qui porte sur les produits dérivés, elle a permis de réaliser 6,2% (11,5 milliards de dollars) des produits non financiers totaux. De leur côté, les activités de banque d’investissement et de courtage (investment banking, advisory, brokerage and underwriting) ont été à l’origine de 5,4 % (10,1 milliards de dollars) des produits hors intérêts.

Enfin, les « autres revenus » qui, constituent près du tiers (59,4 milliards de dollars) de l’ensemble des commissions et revenus divers, proviennent essentiellement des services de traitement de données (data processing services) et de l'utilisation, par la clientèle, des NTIC bancaires.

Après cet aperçu global des activités génératrices de commissions et de revenus divers, nous allons nous focaliser sur trois d’entre elles, caractérisées par un fort potentiel de croissance dans les années à venir. Il s’agit d’abord de la titrisation, puis des engagements de financement et de garantie et, enfin, des opérations sur produits dérivés. Le choix de ces trois activités est également justifié par l’absence de données analytiques concernant l’évolution des autres activités sur le moyen terme. Nous commencerons donc par analyser le développement de la titrisation des créances bancaires.