D’une manière générale, la notion de titrisation (securitization) renvoie à deux grandes acceptations. La première, propre à la finance d’entreprise, désigne un mécanisme de désintermédiation qui permet aux entreprises de diversifier leurs sources de financement, en émettant des titres de créances négociables adossés à certains de leurs actifs. La seconde, qui sera développée ici, est propre à l’économie bancaire et renvoie au mécanisme de transformation d’un portefeuille de prêts illiquides en titres négociables liquides.
Historiquement, la titrisation a fait son apparition pour la première fois aux Etats-Unis, au cours des années soixante-dix, avec la mise en place de titres adossés à des prêts hypothécaires, octroyés par les caisses d’épargne (Saving Institutions).
Le portefeuille titrisé était alors cédé à un organisme public, le Government National Mortgage Association (GNMA) qui émettait en contrepartie, des parts souscrites essentiellement par les intermédiaires financiers (Miller et VanHoose, 2001, p.382). Ces parts étaient rémunérées à partir des flux financiers (remboursements de crédits) initiés par les clients-emprunteurs des caisses d’épargne. En sus de la valeur du bloc de crédits titrisés, celles-ci touchaient des commissions en compensation des services relationnels qu’elles maintenaient avec les emprunteurs (suivi et monitoring).
A partir de 1983, le marché de la titrisation, également connu aux Etats-Unis sous l’appellation de Market for Asset-Backed Securities (ABS), va connaître un grand essor du fait de l’entrée des banques. Au regard du graphique n°36, l’encours total des créances titrisées est passé de 3,7 milliards à 2712,4 milliards de dollars durant les deux dernières décennies.
Progressivement, les crédits bancaires susceptibles de faire l’objet de titrisation vont se diversifier : crédits immobiliers, crédits industriels et commerciaux, crédits-bail, crédits à la consommation, créances sur cartes de crédit, crédits automobiles, etc. Les titres adossés à ces crédits prennent principalement la forme de Commercial Papers, lorsqu’ils sont à CT, et de Corporate Bonds, lorsqu’ils sont à MT/LT.
Source : Données extraites des Flow and Funds Accounts of the United States, Z1, 1980-2003, Federal Reserve System, ( http://www.federalreserve.gov/releases/Z1/Current/data.htm ).
En 2003, les structures de titrisation (Issuers of Asset-Backed Securities –ABSs) étaient à l’origine de 56% (717,3 milliards de dollars) des émissions sur le marché des Commercial Papers et de 29% (2000,6 milliards de dollars) des émissions sur le marché des Corporate Bonds.
Le graphique n°37 ci-dessous indique les principaux types de crédits titrisés aux Etats-Unis en 2003. On peut constater que sur un encours total de 1693,7 milliards de dollars, les créances sur cartes de crédits (23%) et les créances hypothécaires (23%) représentent à elles seules, un peu moins de la moitié des crédits titrisés. On note également la part assez significative des prêts autos (15%) et des Collateralized Debt Obligations (15%). Ces dernières sont, contrairement aux opérations de titrisation classiques, adossées à un portefeuille de créances hétérogènes. Cela permet la création de tranches présentant des profils de risques de crédits variés, susceptibles d’intéresser les investisseurs en quête de diversification des risques.
Source : The Bond Market Association, Federal Reserve ( http://www.bondmarkets.com ).
En France, la titrisation a été introduite par la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 modifiée
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, portant création des Fonds Communs de Créances (FCC). Elle est définie comme la vente d'un portefeuille de crédits détenu par une banque à un FCC (technique de pass-through présentée ci-après). Celui-ci est une copropriété sans personnalité morale, qui finance l'acquisition des crédits titrisés par l'émission de parts de co-propriété cotées sur les marchés financiers et ayant le statut de valeurs mobilières (Article L.214-43 du code monétaire et financier). Suite à la réforme introduite par la loi n°2003-706 du 1er août 2003 de Sécurité Financière, les FCC peuvent émettre, en sus des parts de co-propriété, des titres de créances (obligations, titres de créances négociables, etc.). Les frais liés à la création du FCC et à l'émission des parts et autres titres de créances, tels que les frais juridiques, de notation et d'inscription à la cote, sont supportés par la banque qui les comptabilise en tant que charges dans son compte de résultat. Le cas échéant, ces charges sont réparties sur la durée de vie des titres émis.
Les souscripteurs aux parts et titres de créances du FCC sont remboursés progressivement, grâce à l'amortissement (intérêts et principal) des prêts titrisés. C'est la banque initiatrice de l'opération qui assure le recouvrement et la gestion des flux financiers, ainsi que le suivi (monitoring) des emprunteurs, moyennant une compensation sous forme de commissions. Le bloc de créances titrisé cesse de figurer à l'actif du bilan de la banque, mais reste apparent, du fait des flux financiers liés à l'amortissement des crédits titrisés, au niveau de son hors-bilan.
Les différentes phases d'une opération de titrisation (telle qu'elle se déroule en France) sont visibles à travers la figure n°01 ci-dessous. On peut aisément constater la diversité ainsi que la multitude des intervenants dans le processus de titrisation.
Le gestionnaire du FCC est une société commerciale de gestion agréée par l’AMF (COB). Il intervient en tant que mandataire et administrateur du fonds (actuellement, 6 sociétés de gestion de FCC existent en France).
Le dépositaire (la banque) est, avec le gestionnaire, cofondateur du FCC. Comme son nom l'indique, il est dépositaire des créances acquises par le FCC ainsi que de sa trésorerie.
L'agence de notation évalue le risque attaché aux titres de créances émis par le FCC. Le recours à une agence de notation est une obligation légale pour obtenir la validation de l’AMF (en France, les 3 agences habilitées depuis 1992 à la notation de FCC sont Standard & Poor's ADEF, Fitch IBCA Notation et Moody's France).
Source : Crédit Agricole de Lyon ( http://www.titrisation.calyon.com/navig/0,2158,s6_l1_d0_r729,00.html ).
Le tableau n°23 retrace l’évolution du nombre et de l’encours des FCC en France, depuis l’introduction de la titrisation en 1988. On remarque que le nombre de FCC au 31 décembre de chaque année augmente régulièrement entre 1989 et 1998, passant de 01 à 102 FCC, avant de revenir à 60 fonds en 2003. La même tendance baissière est également détectable pour ce qui concerne les encours gérés par ces fonds qui passent de 0,1 milliards d’euros à 21,4 milliards entre 1989 et 1998, puis reviennent à 18 milliards en 2003.
| Année | Nombre de FCC lancés | Nombre de FCC arrivés à échéance | Nombre de FCC en activité au 31/12 | Encours gérés (en milliards d’euros) |
| 1989 | 1 | - | 01 | 0,1 |
| 1990 | 7 | - | 08 | 0,7 |
| 1991 | 23 | - | 31 | 2,2 |
| 1992 | 25 | - | 56 | 4,0 |
| 1993 | 29 | 03 | 82 | 5,8 |
| 1994 | 29 | 20 | 91 | 6,7 |
| 1995 | 27 | 19 | 99 | 7,3 |
| 1996 | 25 | 25 | 99 | 13,4 |
| 1997 | 17 | 15 | 101 | 19,7 |
| 1998 | 10 | 09 | 102 | 21,4 |
| 1999 | 05 | 12 | 95 | 16,6 |
| 2000 | 02 | 12 | 85 | 15,7 |
| 2001 | 05 | 07 | 83 | 15,2 |
| 2002 | 05 | 30 | 58 | 17,3 |
| 2003 | 03 | 01 | 60 | 18 |
Source : Données extraites des rapports annuels du CNCT(1989-2001), de la COB (1989-2002) et de l’AMF (2003).
Deux éléments majeurs permettent d’expliquer cette évolution contrastée. D’abord, l’arrivée à terme de plusieurs programmes de titrisation, ces dernières années (30 en 2002). Ensuite, l’entrée en vigueur de la loi n°99-532 du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière, qui autorise la création de FCC à compartiments. Il s’agit de fonds au sein desquels peuvent être mis en place plusieurs compartiments indépendants les uns des autres. Chaque département a la possibilité d’émettre des parts adossées à des créances spécifiques et peut être liquidé sans que cela n’entraîne la liquidation du FCC. Dès lors, les compartiments peuvent remédier à la création de nouveaux FCC.
Il faut préciser que l’ensemble des éléments développés ci-dessus portent exclusivement sur les FCC dits publics (faisant appel public à l’épargne ou dont les parts sont admises à la cote officielle).
Malheureusement, il n’existe pas de données chiffrées antérieures à 2002 relatives aux FCC privés, dont le poids et plus important que les FCC faisant appel à l’épargne publique. D’après le rapport annuel de l’AMF (2003), une forte dynamique caractérise cette catégorie de FCC qui a enregistré la création de 24 nouveaux fonds en 2003 (contre seulement 3 pour les FCC publics). Au 31 décembre 2003, il existait 119 FCC privés qui géraient 44,1 milliards d’euros contre 60 FCC publics qui géraient 18 milliards d’euros.
Au regard des éléments précédents, il apparaît que la titrisation ne connaît pas en France, l’essor auquel elle peut prétendre. En effet, contrairement au marché américain parvenu à maturité, le marché français de la titrisation n’a pas encore pris son envol. Le graphique n°38 illustre les principales catégories de créances titrisées en France, au premier trimestre 2004. On note la prédominance des crédits immobiliers (35%), des prêts bancaires aux entreprises et aux collectivités locales (27%) et des créances commerciales (26%), qui constituent ensemble, l’essentiel du marché de la titrisation en France.
Source : Titrisation sans stress, FitchRatings, avril 2004 ( http://www.fitchratings.com/corporate/reports/report.cfm?rpt_id=205168 ).
D’apres les dernieres estimations de l’agence moody’s, la titrisation par appel public a l’epargne a enregistre une progression de 21% a 12,4 milliards d’euros en 2003. Pour l’annee 2004, moody’s anticipe une croissance continue de l’ensemble des operations de titrisation, tablant sur le dynamisme de l’activite rmbs (residential mortgage backed securities) et sur un regain d’interet pour le financement par creances commerciales cmbs (commercial mortgage backed securities). Dans ce cadre, la modification du statut juridique de la titrisation par la loi n°2003-706 du 1er aout 2003 devrait rendre les creances titrisees plus attractives pour les investisseurs institutionnels.
Si l’on s’intéresse maintenant aux techniques utilisées en matière de titrisation de créances, on distinguera trois grandes techniques généralement retenues par les banques : le Pass-trough, le Asset-backed bond et le Pay-trough.
Dans le cadre du Pass-trough qui est la technique la plus utilisée aux Etats-Unis, le portefeuille de crédits à titriser est cédé à un Grantor Trust (Special Purpose Vehicle - Fonds Commun de Créances) qui émet des certificats de propriété représentatifs de créances, dont la souscription permettra de payer la banque (qui sort le portefeuille titrisé de son bilan). Celle-ci continuera de collecter les remboursements réguliers des emprunteurs (principal et intérêts), qui seront exclusivement affectés aux souscripteurs du Grantor Trust. La banque initiatrice touchera des commissions régulières en contrepartie du maintien de la relation de clientèle avec ses emprunteurs (suivi et contrôle).
Afin de garantir le succès d’une opération de titrisation, les banques procèdent le plus souvent au rehaussement des crédits titrisés. Cette démarche qui consiste à assurer et/ou « collatéraliser » le portefeuille titrisé auprès d’un organisme d’assurance de bonne réputation, permet de relever la notation des certificats émis par le Grantor Trust (en général à une notation de AA). La banque peut également garantir qu’elle couvrira les défauts de paiements sur le portefeuille titrisé, et garder à son actif quelques titres de celui-ci (Residuals) pour réconforter davantage les investisseurs. Le plus souvent, les titres émis via la technique du Pass-trough ont des échéances allant de 18 à 36 mois, la durée maximale étant de l’ordre de 6 ans (Rose, 1998, p.05).
Dans le cadre de la seconde technique du Asset-backed bond (ABB), la banque cède le bloc de crédits titrisés à une filiale (wholly-owned subsidiary) créée spécifiquement pour cette raison. Les crédits titrisés continuent à figurer à l’actif du bilan bancaire consolidé. En contrepartie, la filiale se charge d’émettre des certificats ou obligations (certificats/obligations notes) qui apparaîtront au passif du bilan bancaire consolidé, et dont la souscription est ouverte au public et aux investisseurs divers. Ces titres sont garantis par la filiale grâce à une technique de rehaussement qui prend, le plus souvent, la forme d’un surdimensionnement (overcollateralization). Le montant des créances acquises par les investisseurs est alors supérieur au montant de l’émission de titres, ce qui représente une protection contre le risque de défaillance des débiteurs (emprunteurs initiaux). L’une des différences entre la technique du ABB et celle du pass-trough est que les flux financiers générés par le pool de crédits titrisés ne sont pas affectés spécifiquement à la rémunération des souscripteurs d’abss. Les titres émis via la technique ABB ont, en règle générale, une échéance comprise entre 5 et 12 ans (Greenbaum et Thakor, 1995, p.395).
Enfin, la troisième technique du Pay-Trough combine les caractéristiques des deux techniques précédentes. Elle est proche de l’abb dans la mesure où les titres adossés aux crédits titrisés apparaissent dans le passif de la banque comme des dettes. Elle est proche du pass-through dans le sens ou les crédits titrisés sont exclusivement destinés au paiement des souscripteurs de titres.
Pour faire l’objet d’une titrisation, un portefeuille de creances bancaires doit respecter certaines conditions de standardisation relatives aux taux d’interet, echeances, risques, garanties et assurances, cash flow (flux financiers), etc. Plus le portefeuille titrise sera homogene, plus il reduira les couts de transaction et d’information pour la banque et les investisseurs, et plus l’operation sera rentable pour ces derniers.
Malgré son avènement très récent dans le paysage bancaire, la titrisation de créances s’est rapidement développée, notamment aux Etats-Unis. Parmi les nombreux avantages qui poussent les banques à y avoir recours, on peut citer :
Du point de vue de l’investisseur, la titrisation contribue a l’efficience economique dans le sens ou elle reduit l’incompletude du marche financier (greenbaum et thakor, 1995, p.413). En effet, elle augmente les possibilites d’investissement et permet l’acces a des actifs autrefois inaccessibles.
Intéressons-nous maintenant à l’impact de la titrisation sur l’intermédiation traditionnelle de bilan. Il est clair que cette nouvelle technique a profondément remis en cause notre conception classique du processus d’intermédiation bancaire fondé, d’une part, sur la collecte et la transformation des ressources et, d’autre part, sur le financement et le suivi des emprunteurs.
En effet, la titrisation signe le démantèlement (unbundling / depackaging) du cycle classique de crédit qui se déroulait comme suit : la demande de prêt et l’analyse du dossier de l’emprunteur, l’élaboration et la signature du contrat, le financement du crédit, la gestion des risques (le monitoring), le recouvrement progressif du crédit.
Dès lors, une nouvelle organisation se dessine, où des « originateurs » (les banques) créent des crédits et les cèdent ensuite à des structures « de portage » (les fcc) qui vont les mener jusqu’à leur terme (thiry, 2002, p.24). Pour certains économistes, la titrisation, également qualifiée de « finance des particules » rationalise l’intermédiation bancaire via une spécialisation par fonction plus poussée.
La banque peut ainsi se recentrer sur les segments de son activité dans lesquels elle dispose d’avantages comparatifs certains (sélection des emprunteurs, production d’informations privatives, gestion des risques et monitoring). Elle peut alors se délaisser progressivement des segments les moins rentables et dans lesquels elle a le moins d’avantages concurrentiels du fait de l’érosion de sa marge d’intermédiation sur les opérations avec la clientèle (greenbaum et thakor, 1995, p.389).
Quoi qu’il en soit, la titrisation est devenue aujourd’hui une source non negligeable de revenus reguliers et stables (commissions et produits non financiers), au point que certaines banques en ont fait l’un de leurs metiers de base 65 . S’inscrivant dans la continuite de la logique de marcheisation de l’intermediation bancaire, cette technique a favorise l’emergence d’un marche secondaire du credit. Il faut toutefois preciser ici que, pris isolement, un credit reste un actif illiquide qui ne saurait faire l’objet d’une titrisation puisque l’information qui s’y attache est privative. C’est le fait d’etre « poole» avec d’autres credits aux memes caracteristiques, qui autorise la titrisation de ce credit. Mais avec l’innovation financiere, il ne serait pas impossible de bientot voir l’emergence d’un marche secondaire des credits individuels.
Toujours dans la lignee des activites generatrices de commissions et de revenus divers, nous allons maintenant nous interesser aux engagements de financement et de garantie. Ces derniers ont des liens certains avec la titrisation. D’un cote, ils representent souvent le preliminaire a une operation classique de credit, potentiellement « titrisable ». D’un autre cote, ils peuvent etre cedes, en leur etat, a d’autres banques ou intermediaires qui se chargeront de les financer.
Loi n° 93-06 du 4 janvier 1993, Loi n° 93-1444 du 31 décembre 1993, Loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, Loi n° 98-546 du 2 juillet 1998, Loi n° 99-532 du 25 juin 1999, Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, Décret n° 89-158 du 9 mars 1989, Décret n° 93- 589 du 27 mars 1993, Décret n° 97-919 du 6 octobre 1997, Décret n° 98-1015 du 6 novembre 1998.
Aujourd’hui, plusieurs banques d’affaires (Investment Banks) proposent leurs services en tant qu’arrangeurs spécialisés dans le montage des opérations de titrisation (par exemple, MBNA-America bank aux Etats-Unis). Cette nouvelle activité consiste à sélectionner, analyser et rehausser le portefeuille de créances du cédant avant de mettre en place la structure d’émission des titres négociables et de placer ces derniers auprès de souscripteurs.