Au cours des deux dernières décennies, des progrès considérables dans la réflexion académique sur la banque ont permis l’apparition d’un corpus homogène que l’on qualifie aujourd’hui de théorie bancaire 74 . Celle-ci s’est principalement développée en intégrant les avancées d’autres branches théoriques (théorie de l’intermédiation financière et théorie de la firme notamment), plutôt qu’en développant ses propres outils et grilles d’analyse. Le résultat de cette démarche est mitigé. D’une part, elle a permis une meilleure compréhension des raisons d’être de la banque et de son rôle économique. D’autre part, elle a quelque peu déformé la véritable nature de la banque en l’appréhendant souvent comme une firme ordinaire transformant des inputs en outputs.
Il est incontestable que la théorie de l’intermédiation financière est, de loin, celle qui a le plus marqué la littérature sur la banque. En effet, depuis les travaux pionniers de Gurley et Shaw (1960), l’intermédiation financière représente l’assise théorique des principales contributions qui ont fait avancer l’état de l’art sur la banque : Klein (1973), Benston et Smith (1976), Leland et Pyle (1977), Lindley et Sealey (1977), Bryant (1980), Diamond et Dybvig (1983), Diamond (1984, 1996), Ramakrishnan et Thakor (1984), Gale et Hellwig (1985), Williamson (1986), Boyd et Prescot (1986), Berger, Hanweck et Humphrey (1987), Wang et Williamson (1993), Diamod et Rajan (2000, 2001), entre autres. Aujourd’hui encore, la quasi-totalité des travaux sur la banque reste profondément ancrée à la fonction traditionnelle d’intermédiation bancaire, consistant à collecter des dépôts et à distribuer des crédits.
Or, comme le chapitre précédent nous l’a montré, cette intermédiation qui est en déclin (du moins, en France et aux Etats-Unis) est désormais restrictive de la réalité bancaire contemporaine, caractérisée par une large reconversion vers de nouvelles activités de marché et de hors-bilan. Comment expliquer ce décalage entre théorie et pratique bancaires ? Deux éléments de réponse peuvent être avancés ; d’abord, le manque de recul de la part de certains économistes qui interprètent encore l’activité des banques à la lumière de quelques actifs et passifs du bilan, et ignorent l’ensemble des produits et services du hors-bilan ; ensuite, l’absence d’une grille de lecture claire, propre aux nouvelles activités bancaires.
Au regard des mutations de l’environnement d’exercice des banques et de l’évolution effective de leur activité, l’objectif de ce second chapitre est double. D’une part, il est de mettre en relief les limites de la littérature bancaire moderne qui reste « exagérément » attachée à l’intermédiation bancaire traditionnelle. D’autre part, il est d’identifier de nouvelles pistes de recherche s’annonçant prometteuses pour une actualisation de la théorie bancaire. Pour cela, nous reconsidérons trois questions qui sont au cœur de cette théorie, en l’occurrence, les raisons d’être de la banque, la fonction d’intermédiation bancaire et la nature de la production bancaire. Ce chapitre s’articule donc autour de trois sections.
La première section revient sur les raisons d’être de la banque. Elle réexplore les arguments de coûts de transaction et d’asymétrie d’information qui permettent d’endogénéiser l’existence de la banque vis-à-vis du marché financier. Dans ce cadre, nous verrons dans quelle mesure les mutations financières et notamment l’avènement des NTIC remettent en cause ces arguments et poussent à en adopter de nouveaux.
La deuxième section s’intéresse au rôle de la banque en tant qu’intermédiaire financier. Après un retour sur la théorie conventionnelle de l’intermédiation financière, nous analysons les différentes facettes de l’intermédiation bancaire, à savoir, la production d’information, l’assurance de liquidité, le lissage de la consommation et la gestion des risques. Dans un deuxième temps, nous nous intéressons aux efforts d’enrichissement de la grille de lecture de l’intermédiation bancaire par le biais de nouvelles expressions comme l’intermédiation de marché et l’intermédiation de hors-bilan. Enfin, nous terminons en réexaminant la question de la spécificité bancaire par rapport aux intermédiaires financiers non bancaires, d’une part, et aux marchés financiers, d’autre part.
La dernière section reconsidère la nature de la production bancaire. Dans un premier temps, nous revisitons l’approche dite industrielle de cette production et soulignons le manque de consensus sur la façon de modéliser le processus de production bancaire, et d’estimer ses inputs et ses outputs. Dans un second temps, nous développons une approche « servicielle » qui permet de capturer la véritable nature du processus de production bancaire et de ses inputs et outputs.
Pour une revue de la littérature sur la banque, voir : Baltensperger (1980), Santomero (1984), Gertler (1988), Hellwig (1991), Lewis (1992), Chevallier-Farat (1992), Davis (1993), Diatkine (1993, 2002), Dietsch (1993), Battacharya et Thakor (1993), Thakor (1996b), Lobez (1997), Freixas et Rochet (1998), Scialom (1999), Gorton et Winton (2002), entre autres.