Section 1 : La reconsidération des raisons d’être de la banque

Introduction

Dans la littérature financière classique, la banque est généralement perçue comme une « firme » dont l’activité consiste à collecter des dépôts et à octroyer des crédits. La figure n°02, ci-dessous, illustre une conception très simplifiée de l’activité bancaire inspirée des modèles de Klein (1971) et Monti (1972). Cette conception est certes peu conforme à la réalité de l’activité bancaire, mais elle va nous permettre d’introduire, de façon logique, la question de l’existence des banques. On reprendra donc le théorème d’indépendance entre actif et passif bancaires, afin de bien mettre en avant le rôle de la banque en tant qu’intermédiaire, tout en ignorant les situations spécifiques comme le rationnement de crédit.

Figure n°02 : Représentation simplifiée de l’intermédiation bancaire traditionnelle
Figure n°02 : Représentation simplifiée de l’intermédiation bancaire traditionnelle

Source : Adapté de Llewellyn (1999, p. 14).

On constate que la collecte de dépôts (SD) est une fonction croissante du taux d’intérêt, de même que l’offre de crédit (SL). En revanche, la demande de crédit par les agents à besoin de financement (D) est une fonction décroissante du taux d’intérêt. A l’équilibre, aux points d’intersection (w) et (w’), le volume des dépôts collectés et des crédits octroyés est égal à (A).

La banque paie alors un taux d’intérêt (i1) aux déposants et perçoit un taux d’intérêt (i3) des emprunteurs. Elle se rémunère grâce au différentiel entre ces deux taux [A  (i3 – i1)] qui représente sa marge d’intermédiation. En plus de couvrir l’ensemble des frais inhérents à l’activité courante de la banque (frais d’exploitation, prime de risque sur les crédits, impôts et taxes, etc.), la marge d’intermédiation permet de dégager un profit rémunérant les propriétaires de celle-ci.

Supposons maintenant que les clients de la banque, emprunteurs et déposants, peuvent se rencontrer directement sur un marché et traiter sans entraves. Ils gagnent alors à ne pas transiter par la banque (désintermédiation). En effet, pour le même volume de fonds précédemment levé auprès de la banque (A), les emprunteurs accepteront de payer un taux d’intérêt (i 2) aux prêteurs (ex-déposants). Ce taux est logiquement inférieur au taux d’intérêt bancaire (i3) que les premiers payeraient s’ils empruntaient auprès de la banque (étant donnée la structure des coûts bancaires), et supérieur au taux d’intérêt (i1) que les seconds recevraient s’ils déposaient leurs fonds en banque. Le nouvel équilibre entre offre et demande de fonds se situe au point d’intersection (z) qui correspond au volume d’affaires (B).

Au niveau global donc, la marge sur intérêt encaissée par chaque banque [A  (i3 – i1)], en contrepartie du service d’intermédiation offert aux agents à capacité de financement (ACF) et aux agents à besoin de financement (ABF), représente un coût pour l’ensemble de l’économie. Ce coût pourrait être évité si ces agents traitaient directement entre eux sur un marché.

Certes, dans un monde idéal, à la Arrow-Debreu, caractérisé par des marchés complets, des agents parfaitement informés et une concurrence pure et parfaite (ce que Coase [1991] appelle « l’économie du tableau noir »), cela serait évidemment le cas. Des intermédiaires comme les banques feraient double emploi et seraient rapidement évincées par le mécanisme des prix.

Mais, dans le monde réel, le constat est autre. Le fait que les banques existent au sein des économies modernes, en dépit du coût que leur activité représente pour la collectivité, montre bien que le face-à-face entre ACF et ABF n’est pas parfait. Toutes choses égales par ailleurs, la fonction bancaire d’intermédiation a également une utilité économique qui compense son coût et explique sa constance depuis plusieurs siècles.

On peut dès lors se demander ce qui pousse des ABF et des ACF à s’adresser à une banque, moyennant un coût « supplémentaire » pour les premiers et un manque à gagner pour les seconds, au lieu de traiter directement sur le marché financier ? Cette question procède des raisons d’être de la banque (et des intermédiaires financiers). Elle est au cœur du développement d’une très riche littérature sur laquelle nous devons revenir.

Les travaux théoriques relatifs à ce sujet ont, dès le début, analysé l’existence de la banque en la juxtaposant au marché financier. La banque ne serait, pour ainsi dire, que le résultat des défauts de ce dernier. Deux arguments majeurs fondent ce raisonnement : d’une part, la présence de coûts de transaction et, d’autre part, la présence d’asymétries d’information. Le premier argument a été mis en évidence grâce aux avancées réalisées dans le domaine de la théorie néo-institutionnelle des organisations et de la théorie des contrats incomplets. Le second, plus récent, a été mis en relief grâce au développement de la théorie des incitations et de la théorie de l’agence.

Cela étant, de récentes contributions comme celles d’Allen et Santomero (1998, 2001) affirment que les deux arguments précédents ne sont plus en mesure d’expliquer l’existence des banques (et des autres intermédiaires), au vu des récentes mutations de la sphère financière.

L’objectif de cette première section est de revenir sur l’ensemble de ces développements. D’abord nous nous intéresserons à l’argument des coûts de transaction (1.1). Ensuite, nous considérerons celui des asymétries d’information (1.2). Enfin, nous verrons dans quelle mesure les travaux d’Allen et Santomero (1998, 2001) poussent à la reconsidération de ces deux arguments (1.3).