c) L’imparfaite divisibilité des titres du marché financier : Klein (1973)

Klein (1973) fonde l’existence des banques et des autres intermédiaires financiers sur l’imparfaite divisibilité des titres du marché financier. Cette imparfaite divisibilité n’est en réalité, que la conséquence des coûts de transaction : ‘«’ ‘ […] une condition nécessaire pour l’existence des intermédiaires financiers est l’existence d’une imparfaite divisibilité des titres primaires. De même, une condition nécessaire à l’imparfaite divisibilité est la présence de coûts de transaction. ’ ‘»’ (p. 930 79 ).

A travers le modèle CAPM, Klein montre comment les individus (supposés averses au risque) maximisent leur fonction d’utilité en diversifiant de manière optimale leur portefeuille sur un marché financier parfait (où les coûts de transaction sont égaux à zéro), au regard des possibilités qui leur sont offertes dans l’espace espérance-variance (rendement-risque).

Dans un marché sans frictions, les firmes émettent des titres de dette parfaitement divisibles de manière à attirer les petits investisseurs et à maximiser leur propre valeur de marché.

En effet, plus les titres de dette émis par une firme sont de petite taille, plus la prime de risque est faible et donc, moins élevés sont les frais financiers de cette firme (la prime de risque adossée aux titres de dette est une fonction décroissante de la divisibilité de ces titres).

Cela dit, dès lors que l’on introduit les coûts de transaction, la donne change. Il devient plus avantageux pour une firme d’émettre un nombre limité de titres de grande dimension unitaire et de les placer auprès de gros investisseurs, quitte à payer un taux d’intérêt plus élevé (prime de risque plus importante). En effet, cela permet à la firme d’économiser les coûts de recherche et de divulgation d’information à un grand nombre de petits investisseurs. Ces derniers vont, d’une part, ne plus pouvoir diversifier leurs portefeuilles de façon optimale, et d’autre part, être (partiellement) évincés du marché à cause de « l’effet de seuil » qui fixe un montant minimal par placement.

Ici entrent en jeu les banques et les autres intermédiaires financiers en tant que grossistes/détaillants. Ceux-ci vont s’interposer entre les firmes et les individus et satisfaire leurs préférences contradictoires. Ils acquièrent les titres indivisibles (primaires) émis par les firmes et leur substituent leurs propres titres (secondaires) parfaitement divisibles, qu’ils proposent aux individus.

La fonction de diversification des banques et des autres intermédiaires remplace alors celle des individus qui, en raison de la petite taille de leur portefeuille et de l’imparfaite divisibilité des actifs directs, ne sont pas en mesure de sélectionner des combinaisons risque-rendement permettant une allocation optimale de leur portefeuille. C’est dans ce sens que les actifs intermédiés vont permettre à ces individus d’échapper à la sous-optimalité induite par l’effet de seuil et de taille.

Mais, il se trouve qu’en regroupant (pooling) les fonds d’une multitude d’agents de petite taille, et en acquérant, en contrepartie, les titres de grande dimension émis par les firmes, les banques et les autres intermédiaires financiers désincitent davantage les firmes à diviser la dimension unitaire de leurs titres. Ce faisant, ils accentuent ainsi l’imparfaite divisibilité des titres primaires ce qui, au fond, n’est autre que leur raison d’être.

Au final, même si les contributions de Klein (1973) et de Benston et Smith (1976) datent des années soixante-dix, elles épousent parfaitement les conceptions contemporaines des coûts de transaction appliqués au marché financier (boursier). A titre d’exemple, Venard (2001, p.30) donne la définition suivante de ces coûts : « Les droits d’entrée sur le marché (fiscalité de place), les frais liés à la passation et à l’enregistrement des ordres, mais aussi l’existence d’un montant minimum de transactions, qui peut conduire à une allocation d’actifs différente de celle que l’agent juge optimale ».

Il est clair que lorsque les agents à capacité et à besoin de financement sont de petite taille, ces coûts peuvent devenir un sérieux handicap à leurs transactions. En effet, la non-coïncidence des désirs fait que les petits épargnants (ou emprunteurs) passeraient beaucoup de temps à chercher, à sélectionner et à négocier des contrats de montants limités.

Il devient alors plus économique pour eux de confier leur capacité (ou besoin) de financement à une banque qui leur épargnera les « tracas » de la finance directe. Cette incitation sera d’autant plus forte que la banque entreprend des actions qui minimisent les coûts de transaction inhérents à sa propre relation de clientèle. On comprend dès lors, pourquoi elles disposent d’un très large réseau d’agences de proximité, contrairement à beaucoup d’autres intermédiaires financiers.

Cela étant, si la réduction des coûts de transaction est une justification fondamentale pour saisir l’existence des banques, elle reste insuffisante. C’est pourquoi, il est nécessaire de la compléter par la prise en compte des asymétries d’information 80 . Certes, certains auteurs (Bhattacharya et Thakor, 1993, p.08) considèrent que ces asymétries ne sont qu’une forme élémentaire de coûts de transaction, liée à l’opportunisme et à la rationalité limitée des agents économiques 81 . Il n’empêche que l’argument des asymétries d’information est à l’origine du développement d’une nouvelle littérature sur la banque, que beaucoup d’auteurs aiment qualifier de « théorie moderne de la banque » 82 . C’est ce que nous allons voir dans ce qui suit.

Notes
79.

« …A necessary condition for the existence of financial intermediaries is the existence of imperfect divisibility of primary securities. In turn, a necessary condition for imperfect divisibility is the presence of transactions costs broadly conceived.».

80.

Comme le signalent Leland et Pyle (1977, pp.382-383) dans leur conclusion : « Transactions costs could explain intermediation, but their magnitude does not in many cases appear sufficient to be the sole cause. We suggest that informational asymmetries may be a primary reason that intermediaries exist. »

81.

«We believe that informational asymmetries are the most basic form of transactions costs ». On retrouve la démarche inverse chez les auteurs néo-classiques qui ont récupéré la théorie des coûts de transaction pour essayer de recrédibiliser l’équilibre général walrasien, mis en difficulté par la prise en compte du caractère imparfait de l’information. Ils ont ainsi assimilé les coûts de transaction à un coût d’information payé par les échangistes et inclus dans le prix de vente. L’information devient alors un bien comme les autres, qui s’achète et se vend : l’information sur un produit accompagne le produit lui-même, et l’essentiel de la démonstration de Walras redevient valable.

82.

Les contributions de Leland et Pyle (1977), Diamond (1984) et Ramakrisman et Thakor (1984) sont souvent citées comme le point de départ de cette littérature.