L’approche conventionnelle qui fonde l’existence des banques sur leur capacité à réduire les coûts de transaction et les asymétries d’information sur les marchés financiers est aujourd’hui fortement critiquée par certains auteurs, parmi lesquels Allen et Santomero (1998, 2001).
Allen et Santomero (1998, p.1462) avancent que : « L’accent mis dans la littérature sur le rôle des intermédiaires (financiers) en tant que minimisateurs des frictions liées aux coûts de transaction et aux asymétries d’information est exagéré. Si ces facteurs ont jadis été centraux, l’évidence suggère qu’ils soient de moins en moins pertinents aujourd’hui ».
Les auteurs en déduisent que l’idée selon laquelle la banque constitue la forme d’organisation contractuelle des relations prêteurs-emprunteurs la plus efficace pour traiter les asymétries d’information et les coûts de transaction est aujourd’hui battue en brèche.
En effet, l’avènement des mutations financières a largement favorisé la « marchéisation » des systèmes financiers. La baisse généralisée des coûts de transaction et des asymétries d’information du fait de l’utilisation, à grande échelle, des NTIC a joué un rôle fondamental dans ce processus. Or, d’après les enseignements de la littérature conventionnelle sur les raisons d’être des banques, cela aurait dû se traduire par la « disparition pure et simple des banques ».
Toutefois, les auteurs constatent, dans les faits, que le volume d’affaires traité par les banques n’a pas baissé comme on aurait pu le croire mais, qu’au contraire, il a augmenté. Ainsi, les agents non financiers font toujours appel aux banques. Cela dit, ils sollicitent de plus en plus de nouveaux produits et services hors crédits et dépôts.
Forts de ce constat, Allen et Santomero pointent deux grandes faiblesses du cadre théorique conventionnel utilisé, jusque-là, pour expliquer l’existence des banques. D’abord, ce cadre est difficilement compatible avec le nouvel environnement d’exercice des banques, caractérisé par la baisse généralisée des coûts de transaction et des asymétries d’information. Ensuite, ledit cadre est dans l’incapacité d’expliquer la reconversion des banques vers les activités de marché et de hors-bilan.
Pour Allen et Santomero, cette nouvelle donne nécessite une actualisation des raisons d’être des banques. Celle-ci peut se faire dans deux principales directions. D’abord en soulignant le rôle des banques en matière de gestion des risques (pour les entreprises). Ensuite, en montrant leur capacité à fournir des services de participation aux agents économiques non financiers (ménages).
Dans le cadre du premier point, les auteurs signalent que les banques contemporaines sont davantage sollicitées par les entreprises pour la gestion des risques que pour l’octroi de financements. Par ailleurs, ils constatent que plusieurs compartiments du marché financier sont aujourd’hui largement dominés par les banques et les autres intermédiaires financiers. Parmi ces compartiments, ceux relatifs aux produits dérivés (swaps, options et futures). Le savoir-faire des banques en matière de gestion des risques de marché (mutualisation, diversification et transfert) expliquerait alors le fait que beaucoup d’entreprises préfèrent sous-traiter la gestion de certains de leurs risques « complexes » aux banques.
S’agissant de la fourniture de services de participation par les banques, Allen et Santomero (1998, p.1462) définissent les coûts de participation comme étant : « Les coûts d’apprentissage liés à l’usage efficace des marchés financiers et à l’intervention quotidienne sur ces marchés 88 ». Plus concrètement, les auteurs assimilent ces coûts au temps nécessaire à un acteur du marché financier pour prendre une décision.
Dans ce cadre, ils distinguent deux catégories d’acteurs intervenant sur les marchés financiers : ceux constamment informés et ceux manquant d’information. Les banques font partie de la première catégorie d’acteurs, caractérisée par une gestion dynamique de leur portefeuille d’actifs.
En revanche, les ménages appartiennent à la seconde catégorie qui, en plus du manque d’information, est confrontée à des choix de portefeuille de plus en plus difficiles, étant donnée, la complexité grandissante des actifs financiers. Comprendre les mécanismes des marchés, identifier la distribution des rendements, réallouer constamment son portefeuille, etc., sous-tend des coûts fixes et marginaux significatifs pour cette seconde catégorie.
C’est dans cette optique que les banques offrent des services de participation aux ménages. Ces derniers peuvent soit confier la gestion de leur portefeuille aux banques, moyennant le paiement de commissions, soit acquérir des actifs bancaires simples qui leur offrent des rendements fixes, indépendamment de l’évolution des marchés financiers.
Les auteurs ont observé que les ménages américains détenaient de plus en plus d’actifs intermédiés et de moins en moins d’actifs marchéisés. Ceux-ci sont essentiellement détenus par les intermédiaires financiers. Ainsi le commerce d’actifs financiers sur le marché est plus un commerce d’intermédiaires que d’agents non financiers.
Cela étant, pour intéressante qu’elle soit, la proposition d’actualisation des raisons d’être de la banque formulée par Allen et Santomero suscite quelques critiques. Nous en formulerons trois.
Premièrement, dire que les coûts de transaction et les asymétries d’information tendent à disparaître sur les marchés financiers revient à affirmer que ces marchés sont de plus en plus parfaits. Comment expliquer alors la forte volatilité des référentiels de ces marchés, phénomène devenu très courant ces dernières années ?
A notre sens, les marchés financiers restent imparfaits et largement affectés par les coûts de transaction et les asymétries d’information. Seulement, c’est la nature de ces derniers qui a changé : leur aspect matériel a certes été réduit grâce aux avancées technologiques, mais leur aspect « technique » s’est intensifié du fait de la complexification des produits financiers.
En effet, si l’information est de nos jours largement disponible sur les marchés financiers, cela ne signifie nullement que tous les acteurs du marché la comprennent et savent comment en tirer profit.
En outre, trop d’information est souvent nuisible aux marchés financiers parce que cela alimente leur volatilité. Sans oublier que bon nombre d’informations sont fausses ou non fondées.
Deuxièmement, la gestion des risques a constamment été au cœur de la littérature bancaire traditionnelle. En témoigne l’article de Pyle (1971) qui fait émerger la banque à partir de son aversion différenciée pour le risque. Cela dit, il est vrai que la nature des risques gérés par les banques a beaucoup changé ces dernières années, et que de nouveaux risques ont fait leur apparition. Cela mérite effectivement plus de recherches.
Troisièmement, le concept de coûts de participation avancé par Allen et Santomero n’est guère convaincant et ressemble étrangement au concept de coût de transaction.
Malgré ces quelques critiques, il revient à Allen et Santomero le mérite d’avoir souligné la nécessité de mettre à jour les fondements conventionnels de l’activité bancaire, et d’avoir proposé une nouvelle piste de recherche en la matière.
En l’état actuel des choses, il nous semble que les arguments de coûts de transaction et d’asymétries d’information restent valables pour expliquer les raisons d’être des banques. Toutefois, deux adaptations doivent être apportées à ces arguments.
D’un côté, les nouveaux aspects « techniques » des coûts de transaction et des asymétries d’information méritent d’être identifiés et spécifiés.
D’un autre côté, il est impératif de rationaliser les nouvelles activités bancaires de marché et de hors-bilan à travers le filtre de ces imperfections, comme cela a été le cas pour les activités traditionnelles de collecte des dépôts et de distribution des crédits.
« Participation costs are the costs of learning about effectively using markets as well as participating in them on a day to day basis ».