Dans le cadre d’une relation de crédit classique, les préférences des contractants sont souvent incompatibles. En effet, l’emprunteur recherche généralement un prêteur à MT/LT qui attendra que le projet financé soit rentable pour être remboursé. De son côté, le prêteur a plutôt tendance à rechercher un placement à CT et facilement liquidable en cas de nécessité. Ce prêteur est donc confronté au dilemme suivant :
Il revient à Diamond et Dybvig (1983) le mérite d’avoir montré comment une banque résout ce dilemme en rendant compatibles (par extrapolation 96 ) les préférences antinomiques des prêteurs et des emprunteurs. Grâce à la Qualitative Asset Transformation, la banque peut garantir des positions liquides tant à ses déposants qu’à ses emprunteurs (Diamond et Rajan, 2000, 2001). En effet, les premiers peuvent à tout instant retirer leurs avoirs à un taux fixe égal à 1, et les seconds sont protégés d’une éventuelle interruption de leur cycle de production. La banque raccorde ainsi l’intérêt individuel de chaque déposant avec l’intérêt collectif : elle matérialise la « main invisible » de Smith. Ce faisant, elle améliore l’efficience du processus d’allocation des ressources au sein de l’économie.
Le modèle de Diamond et Dybvig (1983) comporte deux périodes, soit trois dates : T = 0, 1, 2. L’ensemble des agents économiques touche une unité de bien unique homogène en T = 0. Ces agents se répartissent en deux catégories. D’un côté, ceux qui auront besoin de consommer en T = 1, qualifiés de « type 1 » ou de consommateurs. D’un autre côté, ceux qui n’auront besoin de consommer qu’en T = 2, qualifiés de « type 2 » ou d’épargnants. Le type de l’agent est une information privée non observable, excepté par l’agent concerné. Celui-ci ne connaît son type qu’en T = 1.
Toutefois, la proportion collective de chaque type est connue, dès le départ, par tous. Avant même de savoir s’il est de type 1 ou de type 2, un agent doit, en T = 0, décider de l’emploi qu’il fera de son unité de bien homogène, de façon à maximiser son utilité espérée.
La thésaurisation est écartée puisqu’elle ne maximise pas cette utilité. Il reste à l’agent une seule solution : investir dans une « technologie » simple et sans risque. Une unité de bien investie en T = 0 génère R unités de bien en T = 2 (avec R > 1). L’investissement est irréversible. Lorsqu’il est liquidé en T = 1, l’agent récupère son unité sans coût et sans profit. Autrement dit, si le processus de production est arrêté en T = 1, seule la donne initiale est récupérée. En revanche, si le processus de production va jusqu’à son terme, il rapporte un rendement supérieur à la donne initiale.
Le fait de devoir choisir, dès T = 0, leur placement, sans connaissance de leur véritable type, fait encourir aux agents un risque de se tromper. Ce risque s’apparente en fait à un risque d’illiquidité. Il peut se traduire par une consommation nulle en T = 1 pour des agents de type 1 et par une consommation positive en T = 1 pour des agents de type 2.
En fonction de l’information privée (relative au type de l’agent) reçue en T = 1, les agents choisissent soit d’interrompre le processus de production et donc de consommer en T = 1, soit d’attendre la fin de ce processus et de consommer en T = 2. Si les types représentaient une information publique observable par tous, il aurait été possible aux agents averses au risque de constituer une mutuelle et de souscrire des contrats (polices) d’assurance contingents. Ceux-ci permettraient un partage « intertemporel » optimal, ex ante (en T = 0), des rendements de l’investissement. En effet, chaque agent consommerait alors un peu moins de R en T = 2, s’il s’avère être de type 2 ou, un peu plus de 1 en T = 1, s’il s’avère être de type 1.
Mais, ce genre de contrat d’assurance n’est pas possible, du fait du caractère privé et non vérifiable de l’information relative au besoin de liquidité de chaque agent. De ce fait, le risque d’illiquidité ne peut être pris en charge par une mutuelle d’assurance. L’équilibre qui s’établit alors est un équilibre avec autarcie et sans coopération. Chaque agent investit à titre individuel dans la technologie. S’il s’avère être de type 1, il interrompt le processus de production en T = 1 et récupère sa mise initiale pour la consommer. S’il s’avère être de type 2, il attend T = 2 pour consommer le fruit de son investissement R qui est supérieur à sa mise initiale.
Pour Diamond et Dybvig, cet équilibre est sous-optimal. Ils montrent alors que les agents peuvent implicitement dupliquer le contrat d’assurance optimal en situation d’information publique en formant, en T = 0, une banque qui propose des contrats de « dépôts à vue » et qui sera liquidée en T = 2.
Dès sa création en T = 0, la banque récolte l’ensemble des ressources disponibles. Afin de garantir aux agents de type 1 de pouvoir consommer en T = 1, elle conserve une fraction de ces ressources sous forme de réserves et investit le reste dans la technologie. Lorsqu’un agent s’avère être de type 1, il récupère son unité déposée, augmentée d’un rendement « r1 ». Lorsqu’un agent s’avère être de type 2, il récupère son unité déposée, augmentée d’un rendement « r2 », supérieur à « r1 ». Le contrat de dépôt à vue est incitatif car les agents de type 2 n’ont pas intérêt à se déclaré de type 1. En effet, ils toucheraient alors en T = 1, un rendement inférieur à ce qu’ils toucheraient en attendant la liquidation de la banque et la répartition de ses actifs en T = 2.
Cela étant, le contrat de dépôt à vue inclut une « règle de service séquentielle », selon laquelle, les premiers déposants à demander la reconversion de leurs dépôts sont les premiers servis. Diamond et Dybvig en déduisent qu’il existe deux équilibres possibles : un bon équilibre, où les agents de type 1 retirent en T = 1 et ceux de types 2 en T = 2 ; et un mauvais équilibre de « panique », où tous les agents souhaitent retirer en T = 1, ce qui provoque la faillite de la banque. C’est afin d’écarter ce dernier équilibre que les auteurs préconisent l’instauration d’un mécanisme public d’assurance des dépôts.
Au total, les résultats du modèle de Diamond et Dybvig (1983), confirment les résultats précédents de Bryant (1980) relatifs à l’optimalité du contrat de dépôt à vue proposé par la banque, dans un cadre d’information privée. Ce contrat améliore le bien être des agents en leur permettant de profiter d’un équilibre de consommation supérieur à l’autarcie. D’une part, il s’apparente implicitement à une police d’assurance contre le risque d’illiquidité qu’une compagnie d’assurance ne pourrait offrir qu’en situation d’information publique. D’autre part, il concilie l’illiquidité des investissements, qui permet d’obtenir des rendements et la liquidité des dépôts, qui permet de lisser la consommation des agents dans le temps.
Dans le cadre du marché, il est très difficile de mettre en place un tel contrat qui couvre les divers chocs affectant les plans de consommation des agents économiques. Et particulièrement lorsque ces agents ne connaissent pas, avec précision, à quel moment ils auront besoin de liquidités. En outre, le marché est incapable de distinguer les investisseurs qui ont un réel besoin de liquidités de ceux qui cherchent seulement à tirer un profit d’arbitrage, contrairement à la banque (Allen et Gale, 1995, p.189).
Cela étant, plusieurs auteurs ont examiné la capacité du marché financier à assurer la liquidité aussi efficacement que la banque. Ainsi, Jacklin (1987) considère une variante du modèle de Diamond et Dybvig (1983), où les agents économiques lissent leurs consommation à partir d’actions et non de dépôts à vue. Le modèle de Jacklin introduit des firmes qui prennent en charge la technologie productive durant les deux périodes et émettent pour se financer, en T=0, des actions servant un dividende. Les agents économiques se portent acquéreurs de ces actions au cours de la même date. Ceux de types 1 touchent leurs dividendes en T=1 et revendent aussitôt leurs actions aux agents de type 2 sur un marché financier secondaire.
Jackiln montre alors que les conditions pour que le marché financier fonctionne aussi efficacement qu’une banque sont difficiles à obtenir. En effet, la liquidité des actions dépend des possibilités d’échange sur le marché financier (négociabilité des actions). Or, ces possibilités n’existent que si les détenteurs d’actions ne prennent pas la même position d’achat ou de vente au même moment. Autrement dit, la liquidité des actions nécessite que les agents économiques aient des profils de consommation différents, à n’importe quelle date.
Jacklin (1987) parvient au résultat suivant : lorsque les préférences de consommation font l’objet de chocs imprévisibles, les contrats de dépôts à vue offerts par la banque fournissent une allocation supérieure au sens de Pareto à celle du marché financier. Toutefois, à l’instar de Fama (1980), l’auteur pense qu’en l’absence de restrictions commerciales (réglementation), il existerait sûrement un marché secondaire des dépôts bancaires. Ces derniers deviendraient alors des titres de marché, et les banques des mutual funds, ce qui éliminerait le risque de panique.
Haubrich et King (1990) défendent la même idée, et soutiennent que les dépôts à vue bancaires ne sont liquides qu’au vu des restrictions qui caractérisent les échanges entre agents économiques.
Les auteurs reviennent sur deux hypothèses majeures du modèle de Diamond et Dybvig (1983). Premièrement, la technologie productive est illiquide dans le sens où elle ne génère des rendements qu’à l’issue de la seconde période. Deuxièmement, la demande d’un service d’assurance de liquidité émane de consommateurs averses au risque, dans un contexte de chocs imprévisibles (et privativement observables). Pour Haubrich et King, le marché financier peut assurer la liquidité aussi efficacement que la banque. En fait, l’avantage comparatif de celle-ci découle de sa capacité à assurer les déposants contre les chocs de consommation plutôt que de sa capacité à produire de la liquidité.
Suite aux critiques faites à l’encontre du modèle de Diamond et Dybvig (1983), Diamond (1997) élabore un nouveau modèle, où banque et marché financier (secondaire) coexistent. Du fait de la nature risquée des actifs du marché et du caractère privé de l’information qui s’y rattache, seule une partie des agents économiques intervient sur le marché financier. Diamond montre alors comment l’intervention de la banque permet d’améliorer l’efficience économique.
D’une part, les dépôts bancaires représentent une meilleure solution pour les agents économiques qui, vu leur aversion au risque, ne souhaitent pas investir sur le marché financier. D’autre part, l’accès limité au marché financier fait que les actifs directs proposés à la vente (en T=1) par les agents qui souhaitent consommer (de type 1) ne trouvent pas forcément d’acheteurs. La banque permet alors de relâcher la contrainte de liquidité qui pèse sur le marché financier en offrant une alternative sous forme de dépôts à vue qui permet d’acheter ces titres.
Toutefois, Diamond signale qu’au fur est à mesure que le marché devient plus profond (accroissement du nombre de participants du fait d’un meilleur accès à l’information), la capacité de la banque à assurer la liquidité se rétrécie. Pour asseoir cette affirmation, il se base sur les résultats empiriques de Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1990). En effet, ces auteurs ont montré que les mesures prises par les autorités japonaises pour faciliter l’accès des agents économiques au marché obligataire se sont traduites par la baisse de la part de marché des banques ainsi que leur détention d’actifs à LT.
Au final, il convient de signaler que la capacité d’une banque à assurer la liquidité n’est autre que le corollaire de l’acceptabilité du dépôt à vue bancaire comme monnaie, celle-ci n’étant pas hautement liquide, comme beaucoup d’autres actifs, mais parfaitement liquide (O’Driscoll, 1985, p.11). D’où, le rôle que les banques assurent dans la gestion des moyens de paiement.
Par ailleurs, cette capacité « microéconomique » à assurer la liquidité est renforcée par une capacité « macroéconomique » découlant de l’appartenance d’une banque à un système bancaire (Chevallier-Farat, 1992, p.674). A ce titre, certains mécanismes « optionnels » comme le recours au marché interbancaire et au prêteur en dernier ressort permettent de dépasser les situations passagères d’illiquidité bancaire.
En effet, le modèle initial de Diamond et Dybvig (1983) ne comporte pas d’emprunteurs.