2.2.1. De nouvelles formes d’intermédiation bancaire ?

Rajan (1998, p.526) fait remarquer que la banque n’est pas une institution figée, mais au contraire évolutive. Elle est dotée d’une importante capacité d’adaptation aux changements de son environnement. Aussi, malgré le déclin qui marque leur fonction d’intermédiation traditionnelle de bilan, il est incontestable que les banques continuent à jouer un rôle important dans l’économie, comme nous l’avons constaté dans le premier chapitre.

En effet, de nos jours, les commissions et revenus divers générés par les activités de marché et de hors-bilan permettent aux banques de pallier la baisse des revenus d’intérêt tirés de l’intermédiation traditionnelle de bilan. Ceci dit, si le déclin de cette dernière fait suite aux mutations financières, l’essor des nouvelles activités bancaires est précisément tiré par ces mêmes mutations.

En France, la montée en puissance de ces activités à partir de la seconde moitié des années quatre-vingt avait poussé certains auteurs à tenter de « théoriser » celles-ci au regard des enseignements de la théorie conventionnelle de l’intermédiation financière.


C’est ainsi que Courbis (1987) a proposé l’expression « d’intermédiation de marché », par opposition à « l’intermédiation de bilan », pour rendre compte de la logique différente qui prévaut dans ce genre d’activités.

Au début, cette nouvelle expression se limitait à désigner le rôle des banques en tant qu’intermédiaires-négociants en titres (animateurs) sur les marchés financiers (Courbis, 1987, p.15) ; rôle rémunéré à travers des commissions : de direction (chef de file), de placement auprès de souscripteurs, d’introduction de sociétés en bourse, etc.

Quelques années plus tard, Courbis, Froment et Karlin (1990, p.1592) approfondissent le concept d’intermédiation de marché, toujours au regard de l’intermédiation de bilan : ‘«’ ‘ L’intermédiation est assurée par une tierce personne, l’intermédiaire financier, dont la raison d’être est d’apporter un plus à deux autres personnes. Ce plus peut être un service rendu sur le marché de l’actif, lorsque l’intermédiaire rapproche acheteurs et vendeurs (courtage) ou achète lui-même aux uns pour revendre aux autres (trading), contribuant ainsi à la liquidité du marché ; nous qualifions cette activité d’intermédiation de marché. Mais l’apport de l’intermédiaire peut aussi consister en une production de liquidité par transformation d’actifs financiers, lorsqu’il achète un certain type d’actif, non pas pour le revendre en l’état, mais pour le conserver à l’actif de son bilan (actif primaire) et qu’il émet un autre type d’actif inscrit au passif de son bilan (actif secondaire). Son activité implique alors nécessairement les deux parties de son bilan, elle recouvre une liaison fonctionnelle entre deux positions, liaison durable dans le temps que nous dénommons intermédiation de bilan ’ ‘»’ ‘.’

Les auteurs soulignent qu’à l’instar de l’intermédiation de bilan, l’intermédiation de marché peut engager le bilan de la banque, mais sans pour autant connecter ses deux côtés (actif et passif). En outre, alors que l’intermédiation de bilan permet de « produire » une réelle liquidité via le bilan (les crédits font les dépôts), l’intermédiation de marché « augmente » seulement le degré de liquidité des titres négociés sur le marché financier, par rotation de l’actif bancaire. Par ailleurs, l’intermédiation de bilan procure des revenus sous forme d’intérêts, tandis que l’intermédiation de marché génère des revenus sous forme de commissions.

Au total, si l’intermédiation de bilan procède d’une logique de transformation d’actifs, l’intermédiation de marché obéit, quant à elle, à une logique de négociation :  « elle facilite le négoce d’un actif financier, sans l’absorber pour le transformer » (p.1593).

Les auteurs envisagent alors un lien de complémentarité entre les deux formes d’intermédiation : « Le secteur bancaire peut gagner en intermédiation de marché ce qu’il perd en intermédiation de bilan » (p.1603). Par exemple, la titrisation de créances, qualifiée par les auteurs de « désintermédiation bancaire calculée » est appréhendée comme une intermédiation de bilan suivie d’une intermédiation de marché. Les engagements par signature sont, quant à eux, envisagés comme une intermédiation de marché potentiellement suivie d’une intermédiation de bilan.

On note ici que les auteurs se sont attachés à définir le concept d’intermédiation de marché de manière suffisamment large pour qu’il englobe la panoplie de nouvelles activités bancaires liées aux marchés financiers, et dont la logique ne correspond pas à la définition de l’intermédiation traditionnelle de bilan.

Mais, s’apercevant que la notion d’intermédiation de marché ne suffisait pas, à elle seule, à contenir l’explosion rapide des opérations bancaires de hors-bilan, et notamment les engagements sur produits dérivés (swaps, options et futures), les auteurs proposent une nouvelle expression : « l’intermédiation de hors-bilan » dite aussi « intermédiation de position ».

Les auteurs définissent cette nouvelle intermédiation comme : « La transposition, dans l’univers du hors-bilan et des instruments de risques, de l’intermédiation de bilan réalisée, elle, dans le domaine des actifs financiers (actifs-passifs de bilan). Elle consiste à gérer globalement des portefeuilles d’instruments à terme, à rechercher les compensations des risques clients par auto-couverture et à couvrir le solde sur les marchés » (p.1606).

En fait, les auteurs interprètent les positions bancaires d’achat et de vente de produits dérivés comme des actifs ou passifs de bilan. Ce faisant, ils arguent que « La théorie du financement, conçue pour des actifs financiers représentatifs de mouvements de capitaux, peut-elle être élargie aux positions de hors-bilan prises sur les marchés de risque » (p.1605).

Nous résumons les trois grandes formes d’intermédiation financière proposées par les auteurs à travers le tableau qui suit :

Tableau n°26 : Les trois formes d’intermédiation financière
Critères de distinction Intermédiation de bilan Intermédiation de marché Intermédiation de hors-bilan (de position)
Transformation Oui Non Non
Implication du bilan Oui Oui et Non Non
Connexion actif-passif Oui Non Non
Actifs traités Primaires et secondaires Primaires Instruments financiers
Liquidité Production Amélioration Amélioration
Rémunération Marge sur intérêts Commissions/ Spread Commissions/Spread
Finalité Financement Négoce Gestion des risques

Source : Etabli d’après Courbis, Froment et Karlin (1990).

A notre sens, la démarche des auteurs de continuellement circonscrire les nouvelles activités bancaires au domaine de l’intermédiation financière est aujourd’hui battue en brèche par la nature même de plusieurs de ces activités, qui n’obéit pas à une logique d’intermédiation. C’est ce que nous allons voir dans le paragraphe qui suit.