a) Rappel du débat old view / new view

  • La old view

    Cette première approche de l’intermédiation financière a attiré l’attention d’un grand nombre d’économistes : Smith (1959), Pesek et Saving (1967), Guttentag et Lindsay (1968), Patinkin (1969), Fama (1985), James (1987), et plus récemment Hicks (1989), Rachline (1993), Corrigan (1982, 2000), Bossone (2000, 2001a,b), Chaîneau (2000), et Aglietta (2001a).

    Les partisans de la old view prônent l’idée de la dualité de l’intermédiation financière. Ils distinguent ainsi les intermédiaires financiers bancaires des intermédiaires financiers non bancaires 100 , comme ils distinguent la monnaie des autres actifs financiers.

    Cette dualité trouve son origine dans la thèse de l’unicité bancaire. En fait, pour des raisons essentiellement d’ordre historique, fonctionnel et institutionnel, les banques forment un ensemble distinct ne devant pas être confondu avec les autres institutions financières.

    Les banques seraient uniques de par leur capacité à émettre des dettes sur elles-mêmes, qui servent de moyen de paiement. Autrement dit, elles monétisent leurs créances, dans le sens où, contrairement aux autres intermédiaires financiers non bancaires, ce n’est pas la comptabilisation au passif qui entraîne celle à l’actif, mais l’inverse.

    En effet, l’octroi de crédits par des intermédiaires financiers non bancaires est conditionné et limité par la constitution, ex ante, de dépôts, ce sont « les dépôts qui font les crédits ». Tandis que pour les banques, les fonds prêtés ne sont pas nécessairement levés au préalable. Toutes choses égales par ailleurs, ces fonds ne proviennent pas d’une épargne ex ante, mais sont créés ex nihilo 101  : Ce sont « les crédits qui font les dépôts ». Comme le signale Chaîneau (2000, p.228), alors que les autres intermédiaires financiers paient les créances qu’ils achètent, les banques les monétisent.

    Ainsi, pour les partisans de la old view, les banques sont uniques parce qu’elles ont le pouvoir de créer le moyen de paiement universellement accepté. C’est précisément parce qu’elles disposent d’un tel pouvoir, en l’occurrence inflationniste, que les banques doivent faire l’objet de restrictions réglementaires (ratios prudentiels, réserves obligatoires, etc.).

    L’autre axe sur lequel se fonde la thèse de l’unicité bancaire défendue par la old view est la dichotomie entre actifs monétaires et actifs financiers. On sait que la monnaie représente la liquidité par excellence puisque l’ensemble des agents économiques l’utilise directement afin d’éteindre leurs dettes. En revanche, tous les autres actifs financiers ne peuvent servir de moyen de paiement sans être auparavant convertis en monnaie.

    Or, les dépôts à vue bancaires représentent de la monnaie (scripturale) à part entière, et n’ont pas besoin, contrairement aux autres actifs financiers, d’être préalablement convertis. Ils sont tout simplement acceptés comme moyens de paiement par le biais d’instruments de mobilisation (chèque, virement, carte bancaire, etc.).

    Par conséquent, les banques forment une catégorie financière spécifique parce qu’elles produisent un actif atypique, différent des autres actifs financiers du fait de sa fonction d’instrument de paiement, universellement accepté dans l’économie.

    A travers une approche en terme de « circuit économique », Bossone (2000, 2001a, 2001b) met en relief la spécificité des banques qui, contrairement aux autres intermédiaires financiers, augmentent la richesse nationale en injectant dans le circuit économique une « monnaie nouvelle » affranchie de toute épargne ex ante.
    Cette monnaie nouvelle va permettre de financer une « production nouvelle » qui va améliorer le bien être collectif 102 . D’après l’auteur, les banques procurent à une « économie monétaire de production », la matière première dont elle a besoin pour croître et se développer. Il relève que les économies dotées d’un système bancaire et d’un marché monétaire développés sont celles qui ont enregistré les taux de croissance les plus élevés au cours des dernières décennies.

    Telle est également la position d’Aglietta (2001a, p.70-71) qui note que : ‘«’ ‘ La création monétaire est cet acte double et indissoluble par lequel la décision de prêter n’est pas le transfert d’un dépôt préexistant, mais bien la formation d’un nouveau dépôt. Le crédit qui crée une monnaie nouvelle est ce qui permet à la dépense d’être le moteur de l’économie. La dépense qui suscite une injection nouvelle de monnaie, transforme cette avance en revenu […] les banques sont indispensables pour soutenir les plans de financement, parce qu’elles sont les seules à pouvoir arracher les paris sur l’avenir au carcan de l’épargne disponible ’ ‘»’ ‘.’
  • La new view

    La new view puise ses fondements dans les travaux pionniers de Gurley et Shaw (1956, 1960) et d’autres auteurs comme Sayers (1960), Brainard et Tobin (1963), Tobin (1963), Courbis (1971), Levy-Garboua (1973), Kareken (1985), entre autres.

    Tobin (1963, p.410) résume les principales caractéristiques de cette nouvelle approche de l’intermédiation financière comme suit ‘: ’ ‘«’ ‘ Un développement plus récent en économie monétaire a tendance à brouiller les distinctions traditionnelles entre la monnaie et les autres actifs financiers, et entre les banques commerciales et les autres intermédiaires financiers pour se concentrer sur l’offre et la demande d’un large spectre d’actifs, plutôt que sur la quantité et la vélocité de la monnaie ’ ‘»’ ‘.’ Selon l’auteur, la différence qui existe entre les banques et les autres intermédiaires financiers serait une différence de « degré » et non de « nature ».

    En privilégiant un cadre d’analyse axé sur la dimension fonctionnelle plutôt qu’institutionnelle de l’intermédiation financière, la new view conclut à son unicité. Celle-ci obéirait à la même logique qui fait de tout intermédiaire financier, un relais entre deux catégories d’agents économiques : ceux à besoin de financement et ceux à capacité de financement.

    Il existe un trait commun à la fonction des intermédiaires financiers : c’est la transformation d’actifs. L’ensemble des intermédiaires financiers acquière des titres primaires (crédits, actions, obligations, bons, etc.) émis par des agents à besoin de financement et émettent des titres secondaires (dépôts, certificats de dépôts, obligations, actions de SICAV, etc.) destinés aux agents à capacité de financement. La direction de cette transformation n’a pas d’importance dès lors qu’elle fait intervenir les deux côtés du bilan de l’intermédiaire financier.

    Les partisans de la new view ne nient pas l’existence de certaines particularités qui distinguent les intermédiaires financiers les uns des autres. Toutefois, comme l’avancent Gurley et Shaw (1960, p.195), la différentiation et la spécialisation des intermédiaires financiers sont des éléments sous-tendus par la concurrence. Quoi qu’il en soit, les caractéristiques qui rapprochent ces intermédiaires sont plus importantes que celles qui les séparent. Il serait donc possible d’identifier à l’intérieur de chaque intermédiaire financier, une sorte de « noyau dur constant», qui n’est autre que la transformation d’actifs.

    Donc, pour la new view, les différences qui existent entre les intermédiaires financiers sont liées à des divergences de procédures et non de nature. Celle-ci est unique, et ce qui porte certains auteurs à parler de dualité de l’intermédiation financière est sans doute dû à une confusion entre nature et mécanismes de l’intermédiation financière. Ces derniers sont variés, puisque comme le notent Gurley et Shaw (1960), chaque intermédiaire financier crée sa propre forme de dette. Néanmoins, les banques, qualifiées d’intermédiaires financiers monétaires, détiennent le privilège de faire accepter leurs dettes comme moyen de paiement. Les auteurs de la new view soulignent que cela n’est pas dû à la structure particulière de leur passif, mais plutôt à des raisons institutionnelles liées au particularisme du cadre réglementaire auquel elles sont soumises (Levy-Garboua, 1973 ; Fama, 1980).

    L’autre volet qui fait l’originalité de la new view est la remise en cause de la traditionnelle dichotomie entre actif monétaire et actif financier, dans le cadre de la théorie des choix du portefeuille. La distinction entre monnaie et actifs financiers a des conséquences notables au niveau des mécanismes d’investissement et de financement, mais elle n’atteint pas l’intermédiation financière dans son unité (Courbis, 1971, p.07).

    En fonction de leur aversion pour le risque, les agents économiques choisissent la composition optimale de leur portefeuille. La monnaie n’est alors envisagée que comme un actif parmi d’autres, ne se distinguant que par son degré élevé de liquidité, sa sécurité et son rendement nul (ou très faible).

    La théorie des choix du portefeuille amène Tobin (1965) à faire douter de l’unicité bancaire par la remise en cause de l’automaticité du bouclage du système bancaire. Autrement dit, les crédits octroyés par l’ensemble du système bancaire n’y reviennent pas forcément sous forme de nouveaux dépôts, dans la mesure où les agents économiques ont initialement constitué un portefeuille efficient. Ces derniers ne se délaissent de la monnaie qu’ils reçoivent au profit des banques, que si les taux créditeurs proposés par celles-ci apparaissent plus attractifs comparativement à d’autres actifs financiers plus ou moins proches des passifs bancaires. Il est plus réaliste de considérer que les dépôts induits seront répartis entre plusieurs intermédiaires financiers, et non entre les intermédiaires financiers monétaires seulement.

    L’ensemble de ces éléments conduit les partisans de la new view à conclure à l’influence de tous les intermédiaires financiers sur l’équilibre général de l’économie, ce qui sous-entend l’extrapolation du cadre institutionnel bancaire aux autres intermédiaires financiers. Dans ce sens, Brochier, Llau et Michalet (1975, p.206) notent : «Il y a une grande illusion à croire que le seul contrôle des intermédiaires financiers monétaires peut suffire à l’obtention et au maintien de l’équilibre monétaire. Ce n’est pas parce que tout paiement se donne en monnaie que le seul contrôle de la monnaie suffit, dans la dynamique effective du processus de croissance-développement des économies contemporaine, à sauvegarder cet équilibre».

Notes
100.

Les auteurs de la new view comme on le verra plus loin, adoptent quant à eux une distinction entre intermédiaire financier monétaire et intermédiaire financier non monétaire.

101.

Dans cette mesure, ils représentent une épargne ex post.

102.

Bossone souligne toutefois que le taux d’intérêt débiteur net (après déduction des coûts de transaction supportés par la banque et de la rémunération des déposants) ne peut être considéré comme la compensation d’un report de consommation dans la mesure où la liquidité prêtée par la banque ne provient pas d’une épargne ex ante mais est créée ex nihilo. Aussi, Bossone assimile ce taux net à un revenu de seigneuriage lié au pouvoir exclusif des banques de créer de la monnaie.