a) L’approche en terme de financement

Dans le cadre de cette approche, les crédits bancaires sont souvent opposés aux financements directs par actions ou obligations. L’essentiel des contributions s’intéresse alors à la question suivante : Comment l’emprunteur choisit-il sa source de financement entre banque et marché financier ?

Pour beaucoup d’auteurs comme Easterwood et Kadapakkam (1991), Carey et al. (1993) et Detragiache (1994), ce choix est principalement déterminé par la taille de l’emprunteur. Les PME/PMI doivent exclusivement avoir recours au financement bancaire parce que les coûts fixes de l’émission publique sont trop élevés pour elles. Par exemple, lorsqu’une entreprise souhaite se financer par titres de créances négociables, elle doit engager des frais d’enregistrement, de notation, de publicité, de souscription, etc. Or, ce genre de frais n’existe pas pour les financements bancaires. Cela dit, les taux d’intérêt des financements de marché sont plus faibles que ceux des crédits bancaires vu, d’une part, la négociabilité des premiers et, d’autre part, les coûts du monitoring associés aux seconds.


Yosha (1995) examine le choix des firmes entre un financement bilatéral (bancaire) et multilatéral (marché) en fonction de la qualité de leurs projets. Si une firme choisit le financement multilatéral, elle sera confrontée à une plus grande probabilité de fuite d’informations en faveur de ses concurrents. En revanche, si elle choisit le financement bilatéral, ses concurrents vont en déduire qu’elle a une information importante à cacher et ils vont réagir par une forme de concurrence dont la conséquence est la probable réduction des profits de la firme. Yosha montre alors que les firmes qui ont une bonne rentabilité et qui ont plus à perdre de la fuite de leurs informations du fait de la transparence exigée par le marché, que des réactions des concurrents, choisissent le financement bancaire.

Rajan (1992) parvient au résultat inverse. Il s’intéresse à l’aptitude de la banque d’accumuler de l’information sur un emprunteur. Cette accumulation favorise l’émergence d’un monopole informationnel qui permet à la banque d’exercer un pouvoir de négociation (bargaining power) sur l’emprunteur. En vertu de ce pouvoir, la banque peut exproprier une partie des revenus de l’emprunteur en cas de réussite du projet. Cette situation introduit une distorsion dans les choix d’investissement de l’emprunteur, l’éloignant ainsi de son optimum (first best). Au final, l’emprunteur qui perçoit un rendement futur élevé pour son projet va éviter le financement bancaire de crainte que la banque n’accapare une partie de sa rente (problème de hold-up).

Deux études empiriques de Houston et James (1996, 2001) corroborent le résultat précédent. Les auteurs analysent la structure d’endettement de 250 grandes firmes américaines. Ils constatent qu’en présence d’un monopole informationnel, c’est-à-dire une seule banque prêteuse, les firmes caractérisées par les plus fortes potentialités de profit sont celles qui recourent le moins à l’endettement bancaire, de peur d’être exploitées.

En revanche, lorsque les firmes ont affaire à plusieurs banques (absence de monopole informationnel), elles ont plus tendance à recourir aux financements bancaires. Les auteurs notent, par ailleurs, que les firmes traitant avec une seule banque ont plus de contraintes de cash-flow que celles traitant avec plusieurs banques ou se finançant directement sur le marché financier.


Pour Diamond (1991), le choix d’un emprunteur entre financement bancaire et financement par le marché est déterminé par sa réputation. Dans son modèle, l’auteur part de l'hypothèse que certains emprunteurs voudront substituer des projets risqués aux projets non risqués, et cela au détriment des prêteurs. Les banques vont résoudre ce problème d’aléa moral grâce aux actions de monitoring.

Au début, tous les nouveaux emprunteurs sans réputation se financent par crédit bancaire. Ceux dont les projets réussissent remboursent régulièrement leurs crédits et se font, petit à petit, une bonne réputation. Ces emprunteurs vont alors bénéficier de conditions de prêts plus avantageuses (baisse de la prime de risque). Dès lors qu’un certain seuil de réputation est franchi, ils vont pouvoir émettre des titres directement sur le marché financier et développer davantage leurs affaires.

En revanche, les autres emprunteurs qui ont du mal à réussir et dont la probabilité de remboursement sans incident baisse, devront payer des taux d’intérêt plus élevés à leur banque. Ces emprunteurs se font une mauvaise réputation et ils ne peuvent prétendre au financement du marché. Ils savent que, si leurs projets réussissent, ils profiteront d’un meilleur taux d’intérêt par la suite. Cette logique les pousse à ne pas tricher avec la banque, de façon à acquérir une bonne réputation qui va diminuer le risque moral, les coûts de monitoring et donc le taux d’intérêt qu’ils payent.

La conclusion de Diamond est la suivante. Comme la banque dispose de mécanismes de surveillance dont le marché est privé, l’emprunteur de mauvaise réputation s’adressera à la banque le temps que sa réputation s’améliore, tandis que l’emprunteur de bonne réputation s’adressera directement au marché financier. Diamond qualifie le cheminement d’un emprunteur à travers la banque puis le marché « d’effet de cycle de vie ».

Cette conclusion rejoint les résultats de Berlin et Mester (1992). Ces auteurs expliquent le fait que certaines firmes préfèrent recourir au financement bancaire, alors qu’elles pourraient lever des fonds directement sur le marché, par la plus grande « flexibilité » du contrat bancaire. En effet, comparé à un contrat direct standard, le contrat bancaire est caractérisé par une plus grande « fermeté » de ses clauses, mais aussi par une plus grande « flexibilité » en cas de non-respect desdites clauses.

Aussi, les firmes qui craignent, ex ante, des difficultés financières et/ou une mise en liquidation ont intérêt à se financer par crédit bancaire. Cette conclusion est corroborée par Bolton et Freixas (2000) qui montrent, en outre, que ce sont les firmes les plus risquées et donc les plus enclines à être en détresse financière qui font appel au crédit bancaire.

Thakor et Wilson (1995) parviennent à la conclusion inverse en intégrant l’effet de la réglementation bancaire sur le choix de financement des emprunteurs. D’après les auteurs, le renforcement des règles prudentielles (ratio de solvabilité) imposées aux banques, restreint l’incitation de ces dernières à « repêcher » les emprunteurs en difficulté, dans la mesure où le coût des ressources bancaires s’apprécie. En conséquence, les emprunteurs de qualité moyenne, précédemment intéressés par la plus grande flexibilité du crédit bancaire, se porteront plus sur un financement direct en cas de re-réglementation prudentielle.

Pour leur part, Boot et Thakor (1997) attribuent la différence entre la banque et le marché financier au fait que les agents au sein de la banque peuvent coopérer et coordonner leur action, alors que les agents sur le marché se livrent une concurrence. Cela est sans doute encouragé par le fait que les agents peuvent être anonymes sur le marché alors qu’ils ne le sont pas au sein de la banque. En effet, cette dernière prend la forme d’une coalition d’individus (déposants) qui mettent en commun leurs fonds et coordonnent leurs actions. La banque prête les fonds de ses déposants en essayant de résoudre les problèmes d’aléa moral induit par la substitution d’actifs risqués aux actifs non risqués, exercée par les emprunteurs. Au final, les emprunteurs qui ont un aléa de moralité élevé, c’est-à-dire ceux qui ont peu d’actifs tangibles à offrir comme collatéraux seront orientés vers le financement bancaire. Les autres emprunteurs, ceux qui ont un aléa de moralité plus faible et d’importantes garanties se dirigent vers le marché financier.

L’inventaire serait trop long à continuer d’énumérer toutes les contributions s’intéressant au choix des emprunteurs entre financement bancaire et financement direct. Tel n’est pas notre objectif ici. Il est plutôt de souligner le fait que l’essentiel de ces contributions considère que le mode de financement d’un emprunteur est exclusif : soit, il se finance par crédit bancaire soit, il se finance par émission de titres sur le marché financier 104 .

Or, cette grille de lecture, héritée de la taxinomie de Gurley et Shaw (1960) est en profond décalage avec la réalité contemporaine. En effet, aujourd’hui, beaucoup d’emprunteurs associent en même temps financement bancaire et financement direct (notamment dans le cadre de financements relais, LBO, MBI, etc. ii ).

Pourtant, jusque-là, peu de travaux théoriques et empiriques envisagent des modes de financement mixte. Seward (1990) et Besanko et Kanatas (1993) développent l’idée que certaines entreprises ne pourraient émettre de la dette directe qu’en continuant à s’astreindre au monitoring bancaire. De son côté, Detragiache (1994) avance l’idée que certaines grandes firmes gardent une tranche de dette bancaire pour s’assurer contre un éventuel dépôt de bilan.

En France, une étude réalisée par Dietsch et Godbillon (1998) pour le Service des Statistiques Industrielles (SESSI) du Secrétariat d’Etat à l’industrie indique que les PMI augmentent leur performance par un bon équilibrage entre dettes bancaires et actions. D’après l’étude, une structure de financement mixte joue un triple rôle d’incitation, d’information et de contrôle, qui conditionne la capacité des entreprises à accroître leurs performances. En effet, un poids plus élevé de dette bancaire incite les emprunteurs à une bonne gestion par le biais du monitoring. D’autre part, un poids plus important de fonds propres renforce les incitations directes des dirigeants actionnaires et accroît l’information des prêteurs et des actionnaires. L'étude économétrique réalisée par les auteurs confirme en outre qu’une structure mixte faite d'actions et de dettes bancaires exerce une influence positive sur la réduction des coûts et la croissance de la productivité.

Quoi qu’il en soit, il est important d’adopter aujourd’hui une nouvelle grille d’analyse des modes de financement, axée sur la complémentarité entre banques et marchés financiers. L’explosion des engagements de financement et de garantie (loan commitments) au niveau des hors-bilans bancaires (voir le paragraphe 2.2.3 dans le premier chapitre) s’inscrit bien dans cette logique de complémentarité.

En effet, on constate que de nombreuses entreprises contractent ces engagements parallèlement à l’émission de titres de créances et/ou de propriété sur les marchés de capitaux. Un autre aspect de cette complémentarité se trouve dans les divers services que les banques offrent à leurs clients qui souhaitent se financer sur le marché : expertise, montage de dossiers, introduction en bourse, émissions de titres, placement auprès des souscripteurs, etc.

Au final, il convient de souligner la nécessité d’une réflexion plus poussée sur la complémentarité entre banques et marchés financiers en matière de financement. Un autre domaine où cette complémentarité est de plus en plus apparente est la gestion des risques.

Notes
104.

On fait abstraction ici des financements accordés par les intermédiaires financiers non bancaires.

ii.
- Financements relais : Opérations de prêts relais pour permettre un rachat dans l'attente de la finalisation de la syndication des fonds propres mezzanine et dette senior.

- LBO ( Leverage Buy Out ) : Rachat d’entreprise avec effet de levier. Cette technique permet de racheter une entreprise avec un apport limité en fonds propres : la mise de départ est complétée par une forte proportion d'endettement utilisé comme effet de levier, dont le remboursement sera généré par l'activité de l'entreprise et l'augmentation des dividendes.

- MBI (Management Buy In) : Cette technique permet de racheter une entreprise avec un apport limité en fonds propres : la mise de départ est complétée par une forte proportion d'endettement utilisé comme effet de levier, dont le remboursement sera généré par l'activité de l'entreprise et l'augmentation des dividendes.