a) L’approche par la production

Cette première approche, également qualifiée d’approche en volume (production or value added approach) , a surtout dominé la littérature sur la firme bancaire jusqu’au milieu des années quatre-vingt. Elle a été retenue dans de nombreuses études portant sur l’efficacité du processus de production dans la banque : Benston (1965a,b, 1972), Bell et Murphy (1968, 1969), Longbrake (1974), Lévy-Garboua (1975), Benston et Hanweck (1977), Benston, Hanweck et Humphrey (1982), Sherman et Gold (1985), Ferrier et Lovell (1990), Berg et al. (1991, 1993), Kuussaari et Vesala (1995), Grifell-Tatjé et Lovell (1997), Sathye (2001), entre autres.

Dans le modèle de base de cette approche (BBM pour Benston, 1965 ; Bell et Murphy, 1968), la banque est définie comme une firme produisant des services financiers que l’on peut diviser en deux groupes : ceux qui engendrent des ressources (dépôts à vue, dépôts à terme) et ceux qui constituent des emplois (crédits, placements).


Les opérations hors-bilan et les services annexes (opérations sur produits dérivés, conseil, service de coffre, etc.) ne sont pas pris en compte par les tenants de cette approche qui considèrent qu’on ne peut pas appeler banques les entreprises spécialisées seulement dans la production de ce genre d’opérations et de services annexes.

De façon générale, cette approche considère que la firme bancaire produit deux outputs : des dépôts et des crédits, et ce, en utilisant deux inputs : le capital physique (immobilisations, matériel informatique, etc.) et le travail (capital humain). Les output sont mesurés par le nombre de comptes dépôts et de crédits, ou encore par le nombre de transactions occasionnées par ces dépôts et crédits. Le problème soulevé par l’addition des comptes bancaires d’un montant parfois très différent est considéré comme mineur, d’autant qu’on peut y remédier en introduisant des variables d’homogénéisation adéquates.

Le choix d’un indicateur quantitatif (nombre de comptes ou d’opérations réalisées) se justifie essentiellement par le fait que les coûts opératoires, qui sont les frais non financiers nécessaires au traitement des opérations bancaires (frais généraux, frais du personnel, amortissements et provisions) seraient liés au nombre d’opérations traitées, plutôt qu’aux montants déposés ou prêtés. Par exemple, si l’on envisage le service des dépôts à vue comme une fonction de production, on lui associera les opérations de réception et d’enregistrement des chèques. La gestion des comptes nécessite des guichetiers et des ordinateurs. Ainsi, il apparaît que l’unité physique d’output traité est le compte.

Du point de vue des frais bancaires, les modèles précurseurs de l’approche par la production analysaient tous les services bancaires comme des outputs distincts. Par conséquent, une fonction de coût direct spécifique à chaque output était généralement construite.

Le fait que les dépôts ne soient pas traités comme des inputs, implique l’éviction des dépenses d’intérêts de la fonction de production. L’argument avancé par Benston, Hanweck et Humphrey (1982) est que ces coûts d’intérêts ne sont pas pertinents pour mesurer l’efficacité de la firme bancaire, dans la mesure où, le taux d’intérêt se forme en dehors d’elle par les forces du marché (variable exogène). La totalité des frais financiers étant ainsi éliminée, seuls jouent les coûts opératoires. Les tenants de l’approche par la production considèrent aussi que la gestion de l’actif de la firme bancaire est indépendante de la gestion du passif.

Beaucoup de critiques ont été faites à cette approche de la production bancaire. On peut citer par exemple :

  • La réalité de l’activité bancaire est déformée par cette approche. Les hypothèses de cette approche font davantage ressembler le processus de production au sein de la banque à une firme industrielle plutôt qu’à une firme de services financiers (les spécificités de l’activité bancaire sont ignorées).
  • La définition de la banque, et donc celle de ses services ne permet pas d’expliquer toutes les fonctions financières qu’elle assume tant du côté de l’actif que du côté du passif. Par ailleurs, les activités de hors-bilan sont tout simplement ignorées, alors même qu’elles interviennent de manière significative dans le PNB.
  • Bien que le choix du nombre de comptes comme indicateur d’activité ou d’output ait une valeur indicative intéressante, il ne rend pas compte de la production bancaire dans son ensemble. Par ailleurs, ce choix est à l’origine d’un paradoxe de « productivité » : la banque semble productive au fur et à mesure que le nombre de comptes qu’elle gère augmente, alors même que les avoirs de chaque compte peuvent être très faibles (Lévy-Garboua, 1975, p.69). En outre, les comptes ont un caractère hétérogène, ils se distinguent suivant leur nature, leurs mouvements et leur taille. Par exemple, les comptes les plus actifs requièrent des moyens de gestion plus importants, donc des coûts plus élevés. Les comptes les plus importants sont récompensés avec une gamme de services plus large et se révèlent ainsi plus coûteux.
  • La répartition des coûts entre les outputs bancaires suppose que la réalisation de ces derniers soit séparable. Or, l’une des principales caractéristiques des produits bancaires est qu’ils sont générés de manière jointe, étant donnée l’utilisation jointe de certains inputs 110 . De même la demande de ces produits revêt, le plus souvent, un caractère joint 111 .
  • Le fait de considérer la gestion de l’actif indépendante de celle du passif revient à nier l’essence même de l’activité bancaire qui est l’intermédiation financière, fondée sur la transformation des actifs primaires en actifs indirects. Cette idée est d’autant plus contestable si on la juxtapose au risque de contrepartie. Elle a été vivement critiquée par les tenants de la théorie de la gestion du portefeuille, qui démontre que compte tenu de la maturité et de la périodicité inégales des actifs et des passifs bancaires, les décisions de gestion des deux côtés du bilan ne seront pas prises d’une manière indépendante les unes des autres.
  • Les coûts considérés dans l’approche par la production ne comprennent que les coûts opératoires, et non les dépenses d’intérêts supportées par la firme bancaire pour rémunérer les dépôts ou se refinancer. Or, l’éviction des charges d’intérêts créditeurs et des coûts induits par le refinancement de la firme bancaire sur le marché monétaire biaise les résultats économétriques obtenus par cette approche.

Notes
110.

Par exemple, le même matériel informatique permet de gérer à la fois : les dépôts à vue, les dépôts à termes, les dossiers de crédits, etc.

111.

En effet, les banques offrent habituellement des produits « packagés ». Ainsi, le dépôt à vue donne lieu à plusieurs produits et services annexes : carte de paiement, assurance, facilité de caisse, transfert automatique, services d’information, etc.