3.1.3. Les autres approches de la production bancaire

Dans les deux approches précédentes, les auteurs se distinguent principalement par leur position devant le dilemme du classement des dépôts. L’approche par la production les considère comme des outputs tandis que l’approche par l’intermédiation les considère comme des inputs. Ils envisagent aussi, selon le cas, qu’il est plus judicieux de mesurer les outputs en nombre de comptes (ou d’opérations), ou en volume monétaire. En fait, les divergences des deux approches sont dues au fait que personne n’a réussi, jusqu’à présent, à identifier la nature et le rôle des inputs et des outputs bancaires.

Dans ce contexte, de plus en plus d’études récentes tentent de développer leur propre approche des inputs et outputs bancaires ou, à défaut, essayent de combiner les éléments de définition des deux approches conventionnelles pour obtenir des résultats plus robustes. Ce genre d’approche « hybride » a été utilisé, par exemple, par Aly et al. (1988, 1990), Berger, Leusner et Mingo (1996), Berger, Leusner et Mongo (1997), Fixler et Zieschang (1999), Dietsch (2000), Chauveau et Couppey (2000), Capelle-Blancard et Chauveau (2002), Humphrey et Vale (2004), entre autres.

Cela dit, certaines études développent des approches originales qui constituent de nouvelles pistes de recherche dans le domaine de la production bancaire.

Dans ce cadre, une première approche dite « par l’intégration verticale » a été développée par Sassenou (1994) et Kouki et Renault (1996). A travers son analyse, le premier auteur parvient au résultat que la production bancaire passe par deux étapes principales.


Au cours de la première, la firme bancaire génère ses ressources financières en utilisant une partie de ses équipements et de son personnel. Dans la deuxième étape, elle conjugue l’autre partie de ces deux inputs à un troisième qui est le capital financier afin de produire ses crédits.

Cette étude conclut au fait que l’utilisation de la comptabilité analytique est plus que nécessaire au niveau de la firme bancaire, car cela constitue le seul moyen d’identifier la contribution exacte de chaque input dans le processus de production. De leur côté, Kouki et Renault (1996) considèrent que les divergences entre les deux approches conventionnelles (par la production et par l’intermédiation) proviennent de la définition retenue du processus de production : processus de production au sens technique selon la définition de Frisch (1965), et processus de production au sens financier d’après la définition de Gurley et Shaw (1960). Or, du point de vue du premier processus, les dépôts sont considérés comme des outputs et du point de vue du second, ils sont considérés comme des inputs financiers. Ainsi, à la différence des autres firmes, la banque possèderait deux processus de production : un processus technique de collecte des dépôts et un autre d’intermédiation qui réutilise comme inputs les outputs du premier processus. Donc, la firme bancaire est une firme intégrée verticalement.

Hancock (1991) développe une autre approche dite par « les coûts d’utilisation » (user cost approach). Celle-ci consiste à effectuer une régression linéaire du profit net de la banque sur un ensemble d’éléments du bilan, sans supposer a priori quels éléments correspondent aux inputs et aux outputs. Pour chaque élément considéré, l’auteur calcule un coefficient de coût d’utilisation. Celui-ci permet de déterminer, selon la nature de son signe dans la fonction de profit de la banque, s’il s’agit d’un input (signe positif, c’est-à-dire que l’élément coûte de l’argent à la banque) ou d’un output (signe négatif, c’est-à-dire que l’élément rapporte de l’argent à la banque). Les résultats montrent que les dépôts à vue sont des outputs tandis que les dépôts à terme et les crédits sont des inputs. La même approche a été utilisée par Fixler et Zieschang (1992) et Fixler (1993) qui parviennent aux mêmes résultats.

Toutefois, l’approche en question a l’inconvénient de ne pas prendre en considération les divers coûts implicites suscités par les services liés aux dépôts à vue (gestion des comptes, retraits, consultation de solde, encaissements de chèques, compensations, etc.). En effet, lorsque ces coûts sont intégrés dans la fonction de profit, les dépôts à vue passent du statut d’output à celui d’input.

Tel est bien le résultat de Hughes, Mester et Moon (2001) qui, à l’instar de Hancock (1991), ont mis au point un test économétrique pour déterminer la nature des dépôts à vue. Leur test est basé sur l’estimation d’une fonction de coûts. Les auteurs testent l’effet de l’augmentation d’un montant « x d  » de dépôts sur les coûts variables de production d’un niveau constant d’output« y ». Si les dépôts à vue sont des outputs, alors plus d’inputs, et donc de charges variables seront nécessaires pour produire le niveau « y » et son extension « x d  ».

En revanche, si les dépôts à vue sont des inputs, un accroissement de leur niveau va entraîner une réduction des charges variables des autres inputs nécessaires pour produire un même niveau d’output« y ». L’application de ce test à un échantillon des banques amène les auteurs à conclure que ‘«’ ‘ les dépôts à vue fonctionnent comme des inputs dans le processus de production des banques ’ ‘»’ ‘.’

Quoi qu’il en soit, on remarque que la difficulté majeure à laquelle sont confrontés les économistes de la banque reste le statut des dépôts, et notamment des dépôts à vue. Dans ce cadre, Hughes, Mester et Moon (2001, p.2176) signalent que : ‘«’ ‘ La question de savoir si les dépôts doivent être modéliser comme un output, un input, ou les deux à la fois n’est pas une question de goût’ ‘ 112 ’ ‘ ’ ‘»’ ‘.’ C’est pourquoi ces auteurs préfèrent recourir à un test économétrique pour déterminer le statut des dépôts, avant de les spécifier dans la fonction de coût. Cependant, même avec ce genre de test, certains auteurs, à l’instar de Dimaria (2001) parviennent à des résultats, pour le moins, étranges, dans lesquels les dépôts apparaissent comme des inputs une année et comme des outputs l’autre année !

Ceci dit, l’idée selon laquelle les dépôts bénéficient d’un double statut d’input et d’output nous semble plus plausible. En effet, d’un côté, ces dépôts présentent des caractéristiques d’inputs dans la mesure où ils coûtent de l’argent à la banque (taux créditeurs) et où ils servent à financer les crédits accordés par la banque. D’un autre côté, ils présentent des caractéristiques d’output dans la mesure où ils répondent aux besoins de la clientèle en matière de besoin de liquidité et de services de paiement.


Dans cette optique, Leightner et Lovell (1998) proposent une approche intéressante qui permet de dépasser la confusion liée au double statut des dépôts. En supposant qu’une banque commerciale poursuit uniquement un objectif de maximisation de son profit, les auteurs spécifient deux outputs bancaires : les produits financiers nets (marge d’intermédiation) et les produits non financiers (commissions et revenus divers). Ainsi, les caractéristiques d’output des dépôts sont prises en considération à travers les produits non financiers qui s’y rattachent. De même, leurs coûts, c’est-à-dire les intérêts créditeurs payés aux déposants sont déduits des intérêts débiteurs reçus par la banque, ce qui permet d’obtenir les produits financiers nets. Par ailleurs, les auteurs retiennent trois inputs : le capital physique (immobilisations, matériel informatique, etc.), le travail (charges sociales) et les provisions pour créances douteuses (indicateur de risque).

Au final, il convient d’insister sur la grande confusion qui caractérise, jusqu’à nos jours, la définition des inputs et des outputs bancaires. En conséquence, les résultats empiriques sur l’existence d’économies d’échelle, d’économies d’envergure, de surcapacités, ou encore d’une taille optimale, sont à prendre avec beaucoup de précaution. D’ailleurs, de plus en plus d’études contemporaines en la matière se détournent de ces questions au profit de nouvelles pistes comme celle relative à « l’efficience-X » qui s’intéresse à la performance des banques à travers les problèmes d’organisation et de management 113 .

A l’instar de certains auteurs comme Pastré (2003a,b), nous pensons que beaucoup d’économistes de la banque ont fait fausse route en appliquant de manière assez brute les enseignements de l’économie industrielle à la banque. Un transfert stricto sensu des modèles industriels à la banque n’a pas lieu d’être, et pour cause : la banque est avant tout une entreprise de services marchands. Aussi, il semble plus que nécessaire, aujourd’hui, de revenir aux enseignements clés de l’économie des services pour mieux comprendre la réalité de l’activité bancaire et dépasser l’état de confusion qui caractérise le processus de production bancaire.

Notes
112.

« The question of whether deposits are to be modeled as an output, an input, or as both an output and an input is not a matter of taste».

113.

Le concept d’efficience-X a été développé par Leibenstein (1966) pour prendre en compte le fait que certaines inefficacités ne proviennent pas d’un défaut d’allocation des facteurs de production. Ce concept désigne les causes non mesurables contribuant à l’efficacité productive d’une entreprise comme, par exemple, la motivation du personnel, les conditions générales de travail, la qualité de la gestion, l’organisation interne et la gouvernance d’entreprise.