Du point de vue académique, les systèmes de paiement sont couramment appréhendés comme des biens collectifs ou publics. Deux critères permettent de définir ceux-ci : la non-rivalité et la non-excluabilité (Samuelson, 1954). Le premier signifie que les biens en question sont à la disposition de l’ensemble de la communauté, dès lors qu’ils sont à la disposition de l’un de ses membres. Le second critère signifie que nul ne peut être évincé de la consommation ou de l’usage desdits biens.
Toutefois, ce qui fait la particularité des biens collectifs est qu’ils sont à l’origine d’externalités positives que le marché ne peut internaliser. Autrement dit, ils produisent des interactions profitables entre agents non prises en compte par le marché. Souvent, la défense nationale est présentée comme l’exemple type de bien collectif. Si l’on veut appréhender la dimension collective que recouvrent les systèmes de paiement, il est préalablement nécessaire de concevoir la monnaie en tant que flux et non en tant que stock. Cela permet de se libérer de la représentation matérielle dans laquelle on l’enferme généralement et de dépasser son aspect privatif, souvent trompeur.
Telle est la démarche de Scialom (1995, p.51) quand elle écrit : ‘«’ ‘ Il est évident que le billet qui est dans mon portefeuille ne bénéficiant pas du don d’ubiquité ne peut simultanément se trouver dans la poche de mon voisin ; tout comme le fusil confié à un soldat ne peut être dans le même temps à un autre[…]Pourtant la défense nationale est, de manière incontestée, classée dans la catégorie des biens collectifs ! ’ ‘»’ ‘.’ La résolution de cet apparent casse-tête est simple: le système de paiement représente un bien collectif qui est à l’origine d’externalités positives, à l’instar du service de protection garanti par la défense nationale 150 . Le critère de non-rivalité est vraisemblablement respecté puisqu’un agent qui utilise les services de paiements ne réduit pas pour autant la disponibilité de ces services pour les autres. En revanche, le critère de non-excluabilité ne semble pas s’y appliquer. En effet, les utilisateurs des services redus par le système de paiement étant identifiables, ils sont donc potentiellement excluables comme il en est pour les interdits bancaires.
C’est pourquoi, il est plus correct de qualifier le système de paiement de « bien collectif impur » ou encore de bien club (réseaux) 151 . Ce dernier est sujet à des effets d’encombrement qui apparaissent dès lors qu’un certain seuil, mesuré par le nombre d’adhérents, est franchi (Madies, 2000, p.187). Donc, l’utilité qu’en tire un consommateur dépend du nombre total d’utilisateurs. Mais cela ne réduit en rien les externalités positives produites par le système de paiement à l’ensemble de la communauté (notamment la baisse des coûts de transaction et d’information et l’augmentation de la vitesse de circulation de la monnaie).
Du fait de leur organisation actuelle sous forme de réseaux d’envergure nationale et internationale, les systèmes de paiement sont de gros consommateurs de ressources. Ils nécessitent de lourds investissements (technologiques) et sont caractérisés par des coûts de fonctionnement élevés. Or, ce type de dépenses ne semble pouvoir être continuellement pris en charge autrement que par la collectivité. Cela fait des systèmes de paiement un domaine où l’interventionnisme public est donc la norme. Toutefois, on note l’existence de systèmes appartenant à des intérêts privés (banques participantes 152 ) et de systèmes à propriété mixte, même s’ils ne sont pas très répandus 153 .
Figuet et Kauffmann (1998, p.385) soulignent la nécessité de distinguer, au sein d’un système de paiement, entre l’infrastructure collective et la prestation de services. A leur sens, les normes de gestion, les règles prudentielles et certains équipements font partie intégrante de l’infrastructure du réseau. Partant, ils doivent être du ressort de la BC pour des raisons de sécurité. En revanche, les tâches inhérentes à la fonction d’opérateur, comme le calcul des positions sont de simples prestations de services pouvant être assurées par le secteur privé.
La Commission Européenne semble partager le même point de vue puisqu’elle identifie dans un rapport d’octobre 2002 (Rapport Andria) des « services principaux » et des « services à valeur ajoutée ». Les premiers devraient être gérés sur une base non lucrative et être assurés au sein d’entités d’intérêt public (BC). Les seconds, en revanche, de nature commerciale et générateurs de commissions, sont mieux assurés sous des conditions de concurrence surveillée (non destructrices) par les opérateurs privés. Ceci dit, qu’il s’agisse d’intervenants privés ou de BC, les opérateurs des systèmes de paiement devraient s’appuyer si possible sur les lois du marché en favorisant l’efficience sous certains aspects du fonctionnement. Par exemple, ils peuvent organiser des appelles d’offres pour la fourniture de certains services (Rapport du Comité sur les Systèmes de Paiement et de règlement, 2001, p.51).
Néanmoins, sur le terrain, cette recommandation s’avère assez difficile à mettre en œuvre. En effet, dans beaucoup de systèmes financiers contemporains, les BC ont pris l’habitude d’intervenir par le biais d’actions directes ou indirectes afin de soutenir leur marché monétaire et financier. De surcroît, l’intensification de la concurrence entre les différents marchés nationaux a fait de la performance des systèmes de paiement, un élément clés, pris en compte par les investisseurs pour orienter leurs choix de portefeuille (Banque de France, 1998).
De ce qui précède, on note que l’intervention publique dans le système de paiement, et par conséquent, dans le secteur bancaire, est surtout marquée par le rôle de la BC. En tant que responsable de la sécurité et de la pérennité de ce système, celle-ci peut être à la fois prestataire de services, régulateur, catalyseur des réformes et autorité de surveillance chargée de l’élaboration et de la mise en œuvre des normes et standards (BCE, 2002, p.61) 154 . Plus encore, à travers la tenue des comptes des banques participantes au système de paiement, la BC est « l’ultime sélectionneur » des habilitées à recevoir des dépôts en monnaie centrale (Chevalier-Farat, 1992, p.675 ; Padoa-Schioppa, 1999, p.13).
Cela étant, le poids de cette intervention se trouve contrebalancé par la garantie apportée par la BC aux banques. Cette garantie se traduit par un accès privilégié de ces dernières aux fonds de la première. Selon Aglietta (2001a, p. 73) : ‘«’ ‘ Cet accès donne aux banques une franchise qui les distingue des autres institutions financières et qui procure une sécurité des dépôts qui bénéficie à toute la société ’ ‘»’. En effet, on sait que toute l’activité économique repose sur la capacité de chaque agent à payer ses transactions et sur la confiance réciproque dans la bonne exécution des engagements.
Par ailleurs, la volumétrie des systèmes de paiement fait d’eux de véritables courroies de transmission des chocs monétaires et financiers 155 . D’ailleurs, pour Chevallier-Farat (1992, p.675), ce sont les risques qu’un dysfonctionnement des systèmes de paiements fait courir à l’ensemble de l’économie qui expliqueraient leur appartenance au domaine des biens collectifs.
D’où la nécessité d’un encadrement prudentiel qui assure leur efficacité et sûreté vis-à-vis de certaines menaces comme celle de panique bancaire (voir la seconde section). Mais les banques sont aussi réglementées parce qu’elles constituent le point de passage forcé des interventions de la BC dans sa mission de stabilité monétaire. C’est précisément à cette question que s’intéresse la prochaine sous-section.
On peut considérer que l’ancrage de la confiance des agents économiques dans la monnaie procède aussi d’une mission de sécurité nationale. Selon Klein (1974, p.449) « Celui qui contrôle l’offre d’une monnaie dans un pays contrôle également les ressources de ce pays ». Donc, la sécurité nationale nécessite que les pouvoirs d’émission et de création monétaires soient entre de bonnes mains, chose qui justifie le monopole d’émission de monnaie par la BC ainsi que la réglementation des banques.
Le précurseur de la théorie des clubs est Buchanam (1965). Pour une revue de la littérature, voir Sandler et Tschirhart (1997).
Tels que SWIFT au niveau international, CHIPS aux Etats-Unis et STPGV au Canada.
Tel que PNS (Paris Net Settlement) en France, CHAPS au Royaume-Uni et ELLIPS en Belgique. En France, le système PNS a été mis en service en avril 1999 et est connecté, a l’instar de TBF (Transfert Banque de France mis en service en octobre 1997), via la Centrale des Règlements Interbancaires (CRI), société détenue conjointement par la Banque de France et dix établissements de crédit. PNS est géré directement par la CDI. Les participants échangent des ordres de paiement et en fin de journée, les différents soldes sont définitivement payés dans TBF. A ce jour, seuls 27 établissements ont le statut de participants. On distingue les participants simples (au nombre de 17) et les participants compensateurs (au nombre de 10). La différence essentielle entre ces deux statuts est que le solde des participants simples est obligatoirement réglé par les l’intermédiaire d’un participant compensateur. TBF, quant à lui, est directement géré par la Banque de France. Les participants doivent disposer d’un Compte Central de Règlement (CCR) ouvert dans les livres de la Banque de France. Les ordres de paiement ne sont exécutés que si la provision est disponible sur le compte. Faute de provision, l’ordre est mis en attente et le cas échéant rejeté en fin de journée.
L’article 34.1 des statuts du SEBC habilite la BCE « à arrêter des règlements et à émettre des recommandations, à prendre des décisions et à soumettre des avis dans le domaine des systèmes de paiement ». Les décisions représentent l’instrument juridique le plus efficace puisqu’elles ont un caractère obligatoire. Elles sont utilisées pour imposer des sanctions aux contreparties de l’Eurosystème qui ne respectent pas les actes juridiques de la BCE (Bulletin mensuel de la BCE, avril 2002, p.52-53).
En France, il suffit de moins d’une semaine pour que les transferts interbancaires représentent un montant équivalent au PIB annuel. A titre indicatif, le montant moyen quotidien dans les systèmes de paiement de montant élevé est de 268 milliards d’euros pour TBF (France), 264 milliards d’euros pour SLBE (Espagne), 344 milliards d’euros pour RTGSplus (Allemagne) et 1539 milliards d’euros pour TARGET (statistiques BCE).