1.3.1. Le marché interbancaire, terrain d’action de la politique monétaire

Si autrefois les BC commerçaient avec le public, leurs statuts actuels ne le permettent plus. En effet, la mission d’intérêt général qui leur a été assignée les a complètement isolées des agents non financiers. Or, on sait que ce sont les décisions prises par ces derniers qui constituent, en grande partie, l’activité économique. On peut alors se demander comment les BC peuvent, via la politique monétaire, agir sur ces décisions sans avoir affaire à leurs auteurs. La réponse est simple : grâce au secteur bancaire 161 . En effet, celui-ci fait office d’écran entre la BC et le reste de l’économie. D’une part, il est étroitement lié à la première car il dépend de son refinancement. D’autre part, il est en contact direct avec la quasi-totalité des agents économiques puisqu’il crée la forme de monnaie la plus utilisée par ces derniers (les dépôts à vue) et matérialise leurs paiements.

L’objectif opérationnel de stabilité des prix passant par la régulation de la masse monétaire, il semble donc logique que la BC puisse agir sur la liquidité bancaire. D’ailleurs, son rôle de PDR, inhérent à toute économie fonctionnant sur une base monétaire, nécessite cette action. Mais pour ce faire, la BC doit disposer de certains instruments juridiques contraignants, chose qui n’est possible, qu’en vertu d’une réglementation bancaire 162 .

Dans la mesure où la politique monétaire prend forme sur le marché interbancaire, celui-ci représente la courroie de transmission des impulsions de la BC vers l’économie réelle 163 . Certes, les mutations financières ont poussé la plupart des BC contemporaines à privilégier davantage les instruments de contrôle indirects ou qualitatifs sur ce marché (politique de taux d’intérêt et non plus de base monétaire 164 ).

C’est dans cette optique que s’opèrent, de nos jours, les opérations d’open-market et l’accès aux facilités permanentes (de réescompte). Même si elles sont de moins en moins utilisées, les réserves obligatoires restent un moyen d’action directe sur la liquidité des banques, encore à la disposition des BC 165 . On retrouve ce « cadre opérationnel » dans vraisemblablement toutes les économies modernes, quelle que soit l’orientation du système financier(vers le marché ou vers la banque 166 ). Toute impulsion monétaire initiée par la BC est ainsi transmise au reste des agents économiques par le truchement du marché interbancaire. Les systèmes de paiements (de gros) rentrent alors en action pour permettre la mise en oeuvre effective de la politique monétaire (BCE, 2002, p.51). On a vu précédemment que ces systèmes sont le seul canal de fourniture de liquidité et que leur interruption bloque toutes les transactions dans l’économie. C’est pour cette raison qu’ils sont constamment sous l’œil attentif de la BC (Aglietta, 2002, p. 27).

Traditionnellement, les BC agissent sur la quantité de monnaie en circulation dans l’économie en jouant sur les conditions de refinancement des banques (canal du taux d’intérêt ou canal monétaire qui opère via 3 effets : de substitution, de richesse et de revenu ). Ainsi, face à une insuffisance globale de liquidités, une baisse des taux d’intérêts directeurs 167 permet aux banques de se refinancer à moindres coûts sur le marché interbancaire. Partant, elles peuvent offrir à leur clientèle de nouvelles conditions : avantageuses pour les emprunteurs qui voient leurs charges financières baisser, défavorables pour les épargnants qui voient leurs rendements financiers décroître. Théoriquement, cela devrait encourager l’investissement des entreprises ainsi que la consommation des ménages.

A l’inverse, lorsque la quantité de monnaie en circulation est jugée excessive, une hausse des taux d’intérêt directeurs se traduira par un refinancement bancaire plus coûteux, toutes choses égales par ailleurs, une répercussion à la hausse sur l’ensemble de la gamme destaux d’intérêt débiteurs et créditeurs. La nouvelle donne devrait vraisemblablement pousser les entreprises à emprunter moins, c’est-à-dire différer leurs dépenses d’investissement, et les ménages à épargner plutôt qu’à consommer.

Si ces mouvements provoqués par les BC touchent de plein fouet les taux variables, ils prennent plus de temps pour affecter les taux fixes (délais de renégociation). Quoi qu’il en soit, en contrôlant seulement quelques taux directeurs sur le marché interbancaire, les BC agissent sur l’ensemble de la courbe des taux (d’un jour à 30 ans 168 ). Après un certain délai de transmission (environ 6 mois), l’impact devient perceptible au niveau de l’activité économique réelle 169 .

Nous venons de voir qu’en tant que productrices et gestionnaires de liquidités, les banques sont au cœur de la politique monétaire. Mais, de nos jours, les marchés financiers (organisés) sont également considérés comme d’importants fournisseurs de liquidité. Plusieurs auteurs comme Goux (1990, p.681) et Chevalier-Farat (1992, p.663) appréhendent cette liquidité au regard des possibilités et facilités d’échange des titres négociés (existence d’un marché secondaire). Certes, à travers leurs actions sur la liquidité bancaire, les BC affectent aussi la liquidité des marchés financiers via la courbe des taux d’intérêt. Il faut toutefois distinguer la liquidité propre aux banques de celle relative aux marchés financiers.

Comme nous l’avons déjà noté dans le chapitre précédent, les marchés financiers ne peuvent qu’augmenter le degré de négociabilité des actifs en facilitant leur conversion en monnaie 170 . Mais, à aucun moment, ils ne peuvent créer de la monnaie, chose spécifique aux banques. Aussi, ces marchés restent tributaires des banques, les seules susceptibles de les alimenter en liquidité ultime.

Les comptes sur marges, les dépôts de garantie et les appels sur marges représentent des exemples-types de la dépendance des teneurs de marché (courtiers) à l’égard de la liquidité bancaire. En effet, sans le concours des banques, les courtiers ne pourraient sûrement pas financer les opérations de leurs clients, ce qui réduirait considérablement la taille des marchés, voire remettrait en question leur existence. On note ici, une fois encore, le rôle vital du secteur bancaire, non plus comme terrain d’action de la politique monétaire, mais en tant que véritable canal de transmission via son activité de prêt.

Notes
161.

Selon Tobin (1982, p.495) : « La politique monétaire opère principalement par l’intermédiaire des banques commerciales, c’est pourquoi une attention toute particulière est accordée à celles-ci ces dernières années ».

162.

Pour Friedman (1969), il faut livrer la conduite de la politique monétaire à des lois en instituant une constitution monétaire. Cette mesure devrait enrayer l’inflation, due en grande partie, à la mauvaise gestion du politique.

163.

En France, le marché interbancaire a été défini par le Comité de la réglementation bancaire, à travers, le règlement n° 85-17 du 1er décembre 1985. En plus des établissements de crédit et de la BC, on trouve sur ce marché : le Trésor Public, la Caisse des dépôts et consignations et les services financiers de la Poste. Les institutions agréées par la BC à intervenir sur ce marché peuvent acquérir l’un des deux statuts d’intermédiaire (pour permettre aux autres institutions qui n’ont pas accès au marché de prêter ou d’emprunter des fonds): Agents du Marché Interbancaire (AMI) ou Organisateurs principaux du Marché (OPM). Les premiers au nombre d’une trentaine, empruntent des fonds pour le compte de mandants et se rémunèrent par commissions. Les seconds, au nombre aussi d’une trentaine, interviennent en leur nom propre pour emprunter des fonds à certains et les reprêter à d’autres en se rémunérant par la différence des taux.

164.

L’expérience a montré que la politique de base monétaire (contrôle de la quantité de monnaie centrale) provoquait une forte fluctuation des taux du marché interbancaire et donc, la volatilité des rendements des actifs financiers (spéculation). Le passage à une politique de taux d’intérêt fondée sur la régulation des taux directeurs permet de dépasser ces inconvénients (Banque de France, 1998, p.46).

165.

Dans le SEBC, les réserves obligatoires fixées à 2% visent deux objectifs : la stabilisation des taux sur le marché interbancaire et l’accentuation du besoin structurel de refinancement des banques (Banque de France, Les évolutions monétaires en 2001, p.33). Aux Etats-Unis, leur taux est progressif : 0% jusqu’à 5,5 millions $ de dépôts à vue, 3% entre 5,5 et 42,8 millions $ et 10% au delà (Burton et Lombra, 2003, p.92).

166.

VoirGoux (1998, pp. 87-92).

167.

En Europe : taux de refinancement, taux de facilité de prêt marginal, taux de facilité de dépôt. Aux Etats-Unis : taux des fonds fédéraux (federal funds), taux d’escompte (discount window). Les BC espèrent fixer des taux directeurs « neutres », c’est-à-dire à un niveau juste suffisant pour contrecarrer l’inflation sans compromettre la croissance et favoriser le chômage (Parlement Européen, 2001, p. 22).

168.

Comme le montre l’Effet Fisher, les taux longs dépendent essentiellement des anticipations inflationnistes des opérateurs. Certes, une modification des taux directeurs peut être perçue différemment sur les marchés financiers et donc, avoir des effets différents sur les taux à LT. Toutefois, dans la mesure où l’élasticité des taux du marché aux mouvements des taux directeurs est supérieure à celle des taux réglementés, la politique monétaire aura plus d’influence sur les variables économiques.

169.

Il faut signaler que jusqu’aujourd’hui, l’incertitude demeure quant aux mécanismes à travers lesquels les taux d’intérêts directeurs affectent l’économie réelle. Dans ce cadre, les écarts constatés entre les économies nationales sont supposés liés à des éléments tels que la structure du patrimoine des ménages et des entreprises, leurs modes de financement et de placement, la structure du système financier, la concurrence entre les intermédiaires financiers, etc.

170.

Comme le souligne Aglietta (2001a, p.52) : « La liquidité n’est pas une caractéristiques intrinsèque du titre ».