1.3.2. Le crédit bancaire, canal de transmission de la politique monétaire

Le premier chapitre de la thèse a mis en relief la baisse des activités bancaires traditionnelles axées sur la collecte des dépôts et la distribution des crédits. Cette baisse ne reflète aucunement la disparition prochaine de ces activités, mais simplement l’essor de nouvelles activités de marché et de hors-bilan, dont la contribution au PNB est de plus en plus consistante. Aussi, les crédits bancaires, par exemple, représentent toujours un mode de financement privilégié par certains agents économiques comme les PME/PMI et les ménages.

A ce titre, plusieurs travaux académiques comme ceux de Bernanke et Blinder (1988, 1992), Bernanke et Gertler (1995), Kashyap et Stein (1997, 2000), de Bondt (1999), Corrigan (2000), Kishan et Opiela (2000), Diamond et Rajan (2003), Stiglitz et Greenwald (2003), Schmitz (2004), identifient le crédit bancaire comme l’un des mécanismes complémentaires de transmission de la politique monétaire. En effet, le canal « strict » ou « étroit » du crédit (Bank Lending Channel) met en évidence les incidences de la variation de l’offre de financements bancaires sur le comportement des agents économiques 171 . Ce canal prend toute sa signification dans un environnement où l’information est asymétrique et où l’imparfaite substituabilité caractérise l’arbitrage crédits / titres.

Ainsi, les agents non financiers tributaires du crédit bancaire comme les ménages (crédits à l’habitat, à la consommation, etc.), les PME/PMI et les nouvelles entreprises 172 (crédits de trésorerie, d’investissement, à l’exportation, etc.) subissent directement les effets du rationnement (de l’accroissement) des possibilités d’emprunt, liés à une hausse (baisse) des conditions de refinancement des banques auprès de la BC 173 . Ces emprunteurs sont dits dépendants, dans la mesure où leurs dépenses effectives sont subordonnées à l’accès au crédit bancaire, sans possibilité de financements alternatifs (Clerc, 2001, p.47) 174 .

Lorsqu’un resserrement de la politique monétaire est engagé, on note que les crédits consentis à l’activité économique diminuent par l’intermédiaire de deux effets : de prix et de volume. Dans le cadre du premier, les banques répercutent la hausse de leurs coûts de financement sur leurs taux débiteurs. Cela décourage une partie des emprunteurs potentiels pour qui, le coût du capital apparaît trop élevé. Dans le cadre du second effet, les banques préfèrent plafonner les taux débiteurs à un niveau donné.

L’ajustement entre offre et demande de crédits se fait alors en rationnant quantitativement (de manière partielle ou totale) les emprunteurs. En outre, davantage de collatéraux sont exigés de ces derniers par les banques, de façon à contrer l’anti-sélection et l’aléa de moralité (Jaffee et Modigliani, 1969; Stiglitz et Weiss, 1983). Dans la mesure où la valeur nette des collatéraux est elle-même affectée par le choc monétaire restrictif, la capacité d’emprunts des débiteurs bancaires s’estompe encore plus.

Il faut introduire ici, le canal large du crédit ou canal du bilan (Broad Credit Channel ou Balance sheet Channel) qui montre que la dégradation du patrimoine (bilan) des emprunteurs suite à l’évolution défavorable des prix d’actifs, accentue le credit crunch. C’est pourquoi, les autorités monétaires doivent se garder d’agir par une hausse soudaine et significative des taux d’intérêt directeurs.

En effet, comme le signalement Stiglitz et Greenwald (2003, p.204), cela peut mettre les banques en situation de précarité via la dévalorisation de leurs actifs, et par conséquent, de leur richesse nette, ce qui les rend moins averses aux risques. A travers cette courte démonstration, il est clair que de par leur activité de prêt, les banques contribuent à l’efficacité de la politique monétaire. Cette dernière se trouve alors largement liée aux mesures réglementaires affectant directement ou indirectement les conditions d’exercice des banques.

Notes
171.

Comme le notent Kashyap, Stein et Wilcox (1993, p.78) : « Une opinion alternative est que des effets indépendants proviennent de l’actif des bilans bancaires [...] lorsqu’une politique monétaire restrictive contracte la taille des crédits bancaires, elle réduit l’offre globale aux emprunteurs dépendants des banques. Il en résulte une baisse de l’investissement et de la demande agrégée supérieure à celle qui peut être imputée au seul canal monétaire standard ».

172.

Kashyap et Stein (1994) montrent dans une étude sur données américaines qu’en 1991, respectivement 82,9% et 77% des petites et moyennes entreprises manufacturières dépendaient du crédit bancaire. Coudert et Mojon (1997) montrent pour le cas de la France (période 1979-1993), une significative baisse du montant des crédits bancaires à la suite d’un choc restrictif de politique monétaire.

173.

Toutefois, il faut signaler ici l’existence de certaines rigidités pouvant entraver (au moins à CT) l’ajustement mécanique des taux débiteurs bancaires suite à une hausse des taux directeurs. Selon la théorie de la relation de clientèle (Okun, 1981) et la théorie des coûts de catalogue (Mankiw, 1985), développées par les néo-keynésiens, les banques peuvent choisir de ne pas répercuter (temporairement) la hausse de leur taux de refinancement sur leurs clients. Une étude empirique réalisée par la BRI en 1995 confirme ce constat en montrant que les secteurs bancaires nationaux répondent différemment à une variation des taux directeurs. Alors que les banques britanniques répercutent instantanément et totalement la hausse des taux directeurs, les banques américaines en répercutent plus des deux tiers au cours du premier mois. Les banques allemandes, quant à elles, n’en répercutent qu’un tiers au cours du premier trimestre sans que l’ajustement soit complètement réalisé au bout d’un an. Les banques françaises sont encore plus lentes puisque au bout d’un an, seule la moitié de la hausse est prise en compte dans les taux débiteurs. Ces écarts peuvent être aussi expliqués par la nature des contrats de crédits qui sont le plus souvent à taux variables dans les pays anglo-saxons et à taux fixes dans les pays d’Europe continentale (Banque de France, 1998, p.56).

174.

Soit parce que leur taille ne leur permet pas d’accéder aux financements directs ou que leur notoriété n’est pas suffisante ou encore que les autres sources de financement sont trop chères pour eux.