L’analyse des banques en tant que vecteur d’instabilité et de troubles financiers n’est pas récente. Elle remonte au 19e siècle comme en témoigne les travaux de Thornton (1802) et de Bagehot (1873) 177 . La crise systémique représente, sans doute, la pire externalité négative que véhicule le secteur bancaire. Même si elle n’est pas propre à celui-ci, elle y trouve sa principale manifestation : les paniques bancaires. Ce genre de crise est loin de sortir de l’imaginaire économique ou de se résoudre à de simples épisodes historiques.
En effet, les événements qui ont caractérisé les systèmes bancaires argentin et uruguayen en janvier 2002, rappellent tragiquement ceux qui avaient, en mars 1933, ébranlé le système bancaire américain 178 . Dans les trois cas, les manifestations furent identiques : illiquidité, défaillances en chaîne, suspension de la convertibilité des dépôts et fermeture temporaire des banques (Banking Holiday) 179 .
L’onde de choc s’est surtout traduite par de graves répercussions économiques, sociales et politiques qui ont généré, au total, une substantielle diminution du « bien-être général» 180 . Aussi, il est probant que la menace reste plus que jamais d’actualité, même si elle est malencontreusement sous-estimée et souvent non prise au sérieux 181 .
On peut définir une crise systémique comme étant ‘«’ ‘ Un déséquilibre majeur qui résulte de l’apparition de dysfonctionnements dans les systèmes financiers, lorsque l’interaction des comportements individuels, loin de déboucher sur des ajustements correcteurs, porte atteinte aux équilibres économiques généraux ’ ‘»’ (Banque de France, 1998, p. 40). A travers cette définition, on remarque que l’expression « crise systémique » renvoie à un large éventail de situations qui ont en commun un caractère contagieux –intersectoriel et intrasectoriel– et globalement déstabilisateur. Partant, l’occurrence de ce phénomène conduit au passage de l’économie d’un état d’équilibre « normal » à un état « anormal », caractérisé par des pertes sociales sévères (Aglietta et Moutot, 1993, p.23).
De manière plus explicite, le risque systémique désigne la menace de défaillance en chaîne, amorcée idiosyncratiquement par une banque ne pouvant plus honorer ses engagements contractés. Un effet « boule de neige » amplifie le choc initial pour le rendre de dimension macroéconomique. Le fonctionnement normal de l’ensemble des secteurs économiques se trouve alors entravé par le dysfonctionnement du système bancaire. En effet, ne pouvant plus compter sur celui-ci pour dénouer leurs transactions, les acteurs de la sphère réelle s’abstiennent de transiger en attendant la levée de l’état d’imperceptibilité. Outre l’effondrement du système de paiement, une crise systémique a d’autres répercussions notables sur l’économie réelle : pour rétablir leur liquidité, les banques n’octroient plus de nouveaux crédits et rationnent entièrement ceux en cours. Dans ces conditions, les entreprises tributaires de ces crédits manquent de fonds de roulement, les nouveaux projets sont reportés et ceux en cours ne peuvent être menés à bien.
Si rien n’est fait pour revenir à un état d’équilibre normal, le niveau de l’activité économique chute de façon significative et amorce un cycle récessionniste. Ce dernier peut aujourd’hui facilement s’étendre à d’autres pays du fait de la dimension internationale des banques, de la globalisation des marchés de capitaux et de l’interdépendance des économies. Notons également que l’avènement des NTIC a rendu les canaux de contamination plus fluides grâce à une double unité : de temps et de lieux (Plihon, 1999, p. 81).
Dans le secteur bancaire, une crise systémique peut se manifester de par trois facteurs combinés : La vulnérabilité structurelle du bilan bancaire (2.1.1), l’opacité informationnelle entre les banques et leurs clients (2.1.2) et les effets de contagions interbancaires (2.1.3).
Pour une récente relecture de l’œuvre de Thornton, voir Cartapanis et Gilles (2002) et pour celle de Bagehot voir Rochet et Vives (2002).
Les Etats-Unis ont connu six paniques bancaires avant la guerre civile (1814, 1819, 1837, 1839, 1857, 1861) et six autres après cette guerre (1873, 1884, 1890, 1893, 1907, 1914). La suspension généralisée de la convertibilité des dépôts a été appliquée dans tous les cas excepté en 1884 et 1890 (Calomiris et Gorton, 1991).
Il faut signaler que le régime de caisse d’émission (Currency Board) adopté par l’Argentine et récemment abandonné, fonctionnait sans mécanisme de PDR, d’où la sévère crise d’illiquidité bancaire. En effet, la Banque Centrale Argentine (BCRA) s’interdisait de réescompter les créances des banques locales puisqu’elle ne pouvait créer des pesos qu’en échange de nouveaux dépôts en dollars (de Boyer et Solis, 2002, p.02). La crise bancaire américaine de 1933 était, elle aussi, due à un manque de liquidité.
D’après Crockett (2000, p.4), les coûts directs des faillites bancaires ont été estimés par les économistes du FMI à environ 10 % du PIB dans une douzaine de pays au cours des 15 dernières années.
Sheldon et Maurer (1998, p.685) soulignent avec ironie que « Le risque systémique est pour les acteurs du marché financier ce qu’est Nessie, le monstre du Loch Ness, pour les Ecossais : Tous connaissent le danger et en sont conscients. Tous peuvent décrire avec exactitude la menace. Nessie, comme le risque systémique est omniprésent, mais personne ne sait quand et où il va surgir. Il n’y a aucune preuve que quelqu’un l’ait réellement rencontré, mais nul ne doute de son existence. »