a) La relation banque - déposant

Les déposants subissent, comme nous le verrons dans la troisième section de ce chapitre, l’inobservabilité du portefeuille de la banque. Cela crée un problème d’aléa moral qui peut déclencher l’illiquidité « consubstantielle » de la banque. En effet, la convention de dépôt (placement) à vue stipule que celui-ci peut, à tout moment, être transformé, à sa valeur nominale, en monnaie fiduciaire. Toutefois, une règle de service séquentiel (sequential service constraint) de type « premier arrivé, premier servi » régit les retraits (Diamond et Dybvig, 1983 ; Diamond et Rajan, 2001).

Par ailleurs, les déposants savent que leur banque recycle leurs fonds pour financer des actifs risqués, illiquides et à échéance. Etant donné le pourvoir de création monétaire des banques, cela conduit inévitablement à ce que le montant « scriptural » des dépôts dépasse celui des réserves réelles. En outre, les mêmes déposants savent qu’en cas de panique, ils encourent le risque de perdre leurs avoirs s’ils ne figurent pas parmi les premiers à demander leur reconversion en monnaie fiduciaire (défaut de coordination entre les déposants).

La conjugaison de ces éléments fait de la relation banque-déposants, une relation extrêmement fragile. La réticence de la banque à divulguer la composition de son portefeuille aux déposants n’arrange pas les choses 189 .

Cela ne fait qu’augmenter la perplexité et la méfiance des déposants, et par conséquent, leur propension à paniquer. Puisque les banques ne connaissent pas le « timing » des retraits, elles ne peuvent que les subir. C’est ce qui les rend vulnérables et les laissent à la merci de mouvements soudains et violents de retraits massifs (runs), non nécessairement déclenchés par leurs propres déposants.

En effet, une ruée sur les guichets d’une banque peut aisément s’étendre aux autres banques « saines » pour se transformer en panique généralisée 190 . Cette dernière s’explique par le fait que les déposants, ne pouvant évaluer la qualité des actifs de leur propre banque, adoptent une vision globale du risque de faillite bancaire (Calomiris et Gorton, 1991, Chen, 1999). Freixas, Parigi et Rochet (2000) qui généralisent le modèle de Diamond et Dybvig (1983) à plusieurs banques montrent que la faillite d’une banque peut inciter les déposants des autres banques à modifier leurs anticipations sur la probabilité de faillite de leur propre banque, et à retirer prématurément leurs avoirs, causant ainsi une généralisation des runs.

Pour Aglietta (2001b, p.14), l’appréhension des banques comme un tout homogène découle du caractère systémique de l’offre de liquidité. Elle est également liée à la vulnérabilité de toutes les banques face à des variables macroéconomiques exogènes qui conditionnent leur activité (taux d’intérêt et prix des actifs sur les marchés de capitaux).

Une panique peut se produire lorsque les déposants anticipent, par exemple, une récession économique causant des défaillances bancaires 191 . Il devient alors fondé pour eux de retirer leurs dépôts de façon préventive 192 . Si les décisions qu’ils prennent paraissent isolément rationnelles, elles sont collectivement néfastes et sous-optimales. Il s’agit-là, d’une panique auto-réalisatrice (self-fulfilling) dans le sens où c’est ce comportement qui précipite la crise (de Bandt et Hartmann, 2000, p.15). Selon les termes d’Aglietta (2002, p.08) : « Il y aura une panique si on y croit, il n’y en aura pas si on n’y croit pas  » . On retrouve ici le mécanisme des « anticipations croisées » qui fait que les déposants non informés interprètent les décisions de retraits de leurs pairs comme résultant d’informations dont ils ne disposent pas eux-même (Orléans, 1986).

L’imitation devient alors la source d’enchaînements globalement pervers, ce qui donne naissance à une incertitude radicale qui précipite la crise.

Ce schéma est aussi extrapolable à une économie ouverte. En effet, beaucoup d’études empiriques soulignent, aujourd’hui, le rôle déterminent des runs bancaires dans l’initiation et la propagation de crises financières internationales (Cartapanis et Gilles, 2002, Goodhart et Huang, 2000). Lorsque les banques et les gros créanciers étrangers remplacent les petits déposants domestiques, les runs sont à la fois plus diligents et plus violents (Chang et Velasco, 2000 ; Allen et Gale, 2000b). Etant mieux informés, ces créanciers n’hésitent pas à liquider toutes leurs positions dès que les prémices d’un retournement s’annoncent (comme ce fut le cas lors de la crise asiatique de 1997).

Souvent, les comptes des correspondants bancaires ainsi que leurs placements auprès d’autres banques représentent des sommes non négligeables. Aussi, le reflux massif de ces postes fragilise fortement le bilan des banques domestiques. Au cours des deux dernières décennies, cela a été le cas de nombreuses banques dans les pays émergents (Paraguay, Uruguay, Argentine, Thaïlande, Chili, etc.) qui, frappées par la paralysie systémique et sans intervention externe, ont dû déposer le bilan.

Après nous être intéressés à l’asymétrie d’information qui caractérise la relation banque-déposant, nous nous tournons maintenant vers celle qui marque la relation banque-emprunteur.

Notes
189.

Bien que la banque soutire le maximum d’informations de ses clients, qu’ils soient créanciers ou débiteurs, elle a une tendance naturelle à leur cacher les informations liées à sa propre situation. de Boissieu (1999) explique cette contradiction par le fait que la banque n’élimine pas l’asymétrie d’information, mais elle la gère à son profit. Par ailleurs, comme beaucoup d’informations sont coûteuses et monnayables, elle n’a pas intérêt à les divulguer, vu les comportements de free riding provenant de la concurrence.

190.

Selon Calomiris et Gorton (1991) et Bhattacharya et Thakor (1993) une ruée touche une seule banque alors qu’une panique affecte l’ensemble du système bancaire.

191.

Pour Diamond et Dybvig (1983), l’équilibre de panique est de type « tache solaire » (sunspot) puisque n’importe quel élément aléatoire peut le produire.

192.

Selon Venard (2001, p. 133), ces retraits sont expliqués par le fait que l’utilité espérée de LT des déposants, devient inférieure à leur utilité espérée de CT.