2.1.3. Les effets de contagion interbancaires

Comme il a déjà été noté dans la section précédente, les banques assurent mutuellement la compensation des paiements entre les différents agents économiques. Pour ce faire, elles participent à un réseau qui les interconnecte et leur permet de transférer des fonds : le système de paiement. Par ailleurs, elles interviennent régulièrement sur le marché monétaire pour gérer leurs excédents ou déficits passagers de trésorerie. L’ensemble de ces relations interbancaires fait l’unanimité entre les économistes, comme vecteur de transmission majeur du risque systémique (Rochet et Triole, 1996 ; Freixas et Parigi, 1998 ; Allen et Gale, 2000 ; Aglietta, 2002 ; BRI, 2001) 197 .

En effet, étant donnée leur organisation en système, la survie des banques est interdépendante. D’une part, le caractère multilatéral de la compensation des paiements les oblige à tenir réciproquement d’importants comptes de correspondance 198 . D’autre part, les mutations financières les encouragent à détenir dans leur portefeuille, des participations croisées (notamment lors de fusions-acquisitions) ainsi que des actifs bancaires (tels les certificats de dépôts).

Or, les faits ont montré que lorsqu’une banque ne peut plus honorer ses engagements, d’autres banques peuvent connaître le même sort puisque les rentrées de fonds sur lesquelles elles comptaient ne se réalisent pas. En outre, les actifs d’une banque défaillante perdent rapidement de leur valeur marchande, ce qui détériore la situation financière des banques créancières. Toutes choses égales par ailleurs, lorsqu’une banque fait l’objet d’un run, elle cherche aussi à retirer ses avoirs auprès de ses correspondants. Elle peut répandre de la sorte la panique chez ces derniers.

Dès lors, il est clair que les difficultés bancaires sont particulièrement expansives. D’ailleurs, dans un rapport de 2001 (p. 06), la BRI souligne cette menace en qualifiant un système de paiement « d’importance systémique » lorsque : ‘«’ ‘ […]En l’absence de protection suffisante contre les risques, une perturbation interne – résultant par exemple, de l’insolvabilité d’un participant – peut déclencher ou propager des perturbations en chaîne chez les participants ou des perturbations dans la sphère financière plus généralement ’ ‘»’ ‘.’

Certes, les troubles qui peuvent déstabiliser les systèmes de paiement diffèrent, qu’il s’agisse de systèmes à règlement net ou à règlement brut. Dans le premier cas, le risque systémique prend tout son sens via l’effet domino. La faiblesse de ces systèmes est due à l’apurement différé des positions (règlements souvent en fin de journée) et à des dispositions comme la clause « zéro heure ». Celle-ci rend révocable tous les paiements ordonnés par une banque défaillante depuis le jour précédent à 0 heure. On peut se rappeler ici l’affaire « Herstatt », banque allemande de taille moyenne dont la faillite en juin 1974 a causé de graves perturbations au sein du système de paiement américain CHIPS 199 .

S’agissant des systèmes à règlement brut, ils sont théoriquement protégés contre les défaillances en chaîne, dans la mesure où les positions des banques sont compensées en temps réel. Cela dit, ces systèmes peuvent faire l’objet de congestions bloquant ou rejetant les ordres de paiement de certaines banques, d’où le risque d’illiquidité. Ce type de dysfonctionnement opérationnel s’est d’ailleurs manifesté aux Etats-Unis lors des événements du 11 septembre 2001. En effet, ces derniers ont provoqué la rupture informatique du système de paiement et « l’asphyxie » des banques n’a pu être évitée que grâce à l’intervention de le FED en tant que PDR 200 .

Aussi, dans la mesure où l’interruption du fonctionnement des systèmes de paiement provoque la paralysie immédiate de la sphère financière et par ricochet, de toute l’économie, il apparaît légitime, voire indispensable que les autorités officielles (BC) assument la responsabilité et la supervision de ces systèmes 201 .

Au terme des trois facteurs de vulnérabilité que nous venons de développer, il est probant que le secteur bancaire est bel et bien au cœur du risque systémique. La multiplication, ces dernières années, de crises émanant des marchés financiers ne remet pas en cause ce constat. Loin de là, elle le confirme, puisque les banques figurent aujourd’hui parmi les plus importants market makers. Toutefois, cela met en exergue le danger que peuvent représenter les acteurs financiers non-bancaires du fait de leur étroite connexion avec les banques. En effet, l’intégration des trois grandes branches de la finance (banque, assurance et titre) au sein de conglomérats financiers, peut engendrer des effets de contagion extra-bancaire. Récemment, la réponse des réglementeurs et notamment du Comité de Bâle a été d’étendre plusieurs mesures prudentielles aux non-banques (comme celles qui portent sur les produits dérivés).

Toutefois, que les banques soient impliquées dans une crise systémique en tant que cause ou vecteur de transmission, il n’empêche qu’elles représentent également la passerelle de sauvetage de l’ensemble du système financier. En effet, l’intervention du PDR ne trouve son efficacité qu’à travers une injection de liquidités dans les systèmes de paiement interbancaires. Certes, cette intervention « curative » est à l’origine d’un problème d’aléa moral qui encourage la prise de risques par les banques. C’est pourquoi, les autorités de supervision tentent aussi de neutraliser les composantes microéconomiques d’une crise systémique de manière préventive, comme nous allons les voir ci-après.

Notes
197.

A. Smith (1776) souligne dans ce cadre que : « L’exercice de la liberté naturelle de quelques individus (banquiers), qui pourrait compromettre la sûreté générale de la société, est et doit être restreint par les lois, dans tout gouvernement possible, dans le plus libre comme dans le plus despotique. L’obligation imposée de bâtir des murs mitoyens pour empêcher la communication du feu, est une violation de la liberté naturelle, précisément du même genre que les règlements que nous proposons ici pour le commerce de banque ». (Traduction française, 1991, p.410).

198.

Il faut signaler ici le poids prépondérant de ces comptes. Par exemple, en France, les prêts aux établissements de crédit représentaient au 31 décembre 2003, près de 23% du total des actifs cumulés des établissements de crédit et lesemprunts auprès de ces établissements, 25,6% de leurs passifs cumulés (Rapport annuel de la Commission Bancaire pour l’année 2003, p.109).

199.

Après des pertes sur le marché des changes d’environ 450 millions de dollars sur un bilan total de 800 millions de dollars, les autorités allemandes ont retiré l’agrément de la banque Herstatt le 26 juin 1974, à 15h30, heure de Francfort (après la fermeture du système de paiements allemand). Au même moment, il était 10h30 à New York, où la même banque avait auparavant reçu des paiements irrévocables en deutschemark de la part d’une douzaine de banques américaines et devait en échange livrer des dollars. Or, le correspondant américain de Hertatt a suspendu tous les paiements qu’il devait effectuer, ce qui a causé de lourdes pertes aux banques créancières et de graves troubles dans le système de paiements américain.

200.

Entre le 12 et le 19 septembre 2001, la FED a injecté dans le système bancaire américain entre 36 et 81 milliards de dollars par jour (Aglietta, 2002, p. 28).

201.

Suite aux mutations financières et à l’accroissement significatif des paiements transfrontaliers, l’encadrement des systèmes de paiement a pris une dimension internationale sous l’égide de la BRI, depuis le fameux rapport « Lamfalussy » du G10 en 1990. Dans ce cadre, il a été instauré un Comité sur les Systèmes de Paiement et de Règlement (CSPR). Par ailleurs, la plupart des BC se sont engagées à promouvoir des systèmes à Règlement Brut en Temps Réel (Real-Time Gross Settlement System). C’est le cas en France du système TBF qui a démarré en octobre 1997, et de TARGET au niveau de l’Eurosystème.