3.1.1. Le dépôt à vue, une nécessité transactionnelle

Comme nous l’avons vu précédemment, grâce à leurs services de paiements, les banques se trouvent au cœur du dénouement de la plupart des transactions marchandes. Cette position a significativement été consolidée par des mesures réglementaires qui, en plafonnant le pouvoir libératoire de la monnaie fiduciaire 228 , ont renforcé l’utilisation de la monnaie scripturale. Parallèlement à la « bancarisation » des agents économiques, les moyens de paiement se sont progressivement dématérialisés, au point d’être devenus aujourd’hui électroniques et virtuels. Dans un tel contexte, la détention d’un compte courant est considérée comme une nécessité de la vie quotidienne. Elle protège du vol et de la perte tout en permettant de ne pas être évincé du circuit transactionnel, c’est à dire, effectuer et recevoir des paiements 229 .

En effet, le dépôt à vue facilite la perception des revenus et, dans certains cas, représente une condition indispensable à cette perception. Par ailleurs, il est exigé dans les relations commerciales avec certains organismes (de téléphone, d’électricité, etc.) qui privilégient un mode de paiement scriptural. Or, dans la mesure où la grande majorité de ces comptes de dépôts à vue est proposée par les banques 230 , les agents économiques n’ont souvent guère le choix, que de se constituer déposants auprès de celles-ci. Mobilisables la plupart du temps par carte bancaire, chèque ou virement, ces dépôts ne sont donc pas demandés en soi, mais plutôt pour leur fonctionnalité au regard des transactions sur les biens et services. En effet, n’étant pas ou faiblement rémunérés, ils ne justifient pas une recherche de rentabilité de la part de leurs détenteurs, n’ayant que l’embarras du choix en matière de placements financiers. Ainsi, on devient davantage déposant par nécessité que par commodité.

Cela dit, le passif bancaire ne se compose pas exclusivement de dépôts à vue. Il comptabilise aussi d’autres placements à vue et des dépôts à terme rémunérés, facilement transformables en monnaie 231 . Ces derniers s’apparentent à tout autre actif offert sur le marché financier. Cependant, ils ont la réputation de figurer parmi les actifs les moins risqués et les plus facilement « liquidables ».

Selon Aglietta (2001a, p.73), la préférence pour ce genre de produits s’explique par l’incapacité de beaucoup d’épargnants à évaluer les degrés de liquidité des actifs de marché. Dans la mesure où les dépôts bancaires (au sens large) sont de proches substituts à la liquidité ultime, ils paraissent plus rassurants.

Leur moindre rémunération par rapport aux autres formes d’épargne est compensée par une garantie qui résulte « d’un accès privilégié des banques aux fonds de la BC ». Les autres intermédiaires financiers ne bénéficient pas de cette « franchise ». Aussi, les individus incapables de diversifier convenablement leur portefeuille ont une nette préférence pour les produits bancaires 232 .Toutefois, l’ouverture d’un compte de dépôt (à vue et/ou à terme) fait de son détenteur un créancier « chirographaire » 233 . A ce titre, l’ensemble des déposants, et particulièrement les plus « petits », peut être sérieusement lésé par les aléas de l’activité bancaire.

Notes
228.

Essentiellement pour des raisons de sécurité, de maniabilité et d’efficience (baisse des coûts de transaction).

229.

Dans ce cadre, l’Office de la protection du consommateur du Québec (2001, p.07-08) souligne que : « Les services de paiement ou de transaction permettent à une personne de s’intégrer à un réseau de communication et d’échange. Il faut remarquer que l’inclusion d’une personne dans le réseau génère des bénéfices non seulement pour cette personne mais aussi pour tous les autres membres du réseau ainsi rendu aptes à communiquer avec celle-ci. Les sociétés modernes sont de plus en plus conscientes de cette réalité et réalisent que l’accès aux services de paiement doit être favorisé non seulement par souci d’équité mais aussi pour les bénéfices externes qui en découlent ». En outre, beaucoup de travaux montrent que la non-détention d’un compte de dépôt à vue est synonyme d’exclusion sociale (Guérin et Servet, 2002).

230.

D’autres institutions non bancaires les proposent aussi comme les services financiers de la Poste et le Trésor public. En France, ce dernier devrait bientôt réorienter ses 800 000 clients vers les banques et la Poste.

231.

Comme en France : les livrets A, bleus, jeunes, livrets et comptes d’épargne populaire, etc. On qualifie communément ces placements de quasi-monnaie.

232.

Les individus à revenu limité n’ont souvent pas d’autres choix. De même, les habitants de petites localités (rurales) doivent souvent se contenter du « guichet bancaire » implanté dans leur rayon d’action pour placer leurs épargnes.

233.

Qui n’est pas sûr de recouvrer la totalité de ses avoirs (Madies, 2000, p. 05).