L’assurance des dépôts est considérée comme un dispositif prudentiel à double portée : macroéconomique et microéconomique. Le premier aspect renvoie à la stabilité du système monétaire, que nous avons traité dans la première section. De ce point de vue, le dispositif d’assurance permet de protéger les banques solvables sujettes à une panique et donc, d’éviter la paralysie du système de paiement. Le second aspect, quant à lui, a trait à la responsabilité publique de protéger les déposants, ce qui nous intéresse ici.
Aujourd’hui, si la nécessité d’une assurance explicite des dépôts bancaires fait apparemment l’unanimité parmi les économistes, son cadre opérationnel reste un sujet de discorde. A l’instar de plusieurs dispositifs réglementaires, les aspects pratiques de cette assurance relèvent davantage du tâtonnement que de l’achèvement. En témoigne, par exemple, le problème de péréquation entre banques assurées qu’on tente de lever en spécifiant le niveau de risque de chaque banque, dans le calcul des primes de cotisation 240 .
Toutefois, le fait que cette assurance fasse des dépôts bancaires des actifs plus ou moins sûrs, a toujours suscité d’importantes controverses.
A l’origine de celles-ci, un problème d’aléa moral lié au syndrome : «si je gagne, je gagne et si je perds, je gagne aussi», susceptible de dégrader la qualité des actifs bancaires 241 . Selon certains économistes (Benston et Kaufman, 1996 ; Benston 2000b ; Kaufman, 2001, 2002), la réglementation bancaire ne serait, au fond, que le moyen de contrecarrer ce problème d’aléa moral crée par l’assurance des dépôts. Cela nous amène à nous poser les questionnements suivants: Est-il préférable que cette assurance soit privée ou publique ? Doit-elle couvrir tous les types de dépôts ? Doit-elle être plafonnée? Son financement doit-il se faire ex ante ou ex post ?
Certes, la réponse à ces interrogations ne saurait être envisagée qu’au regard des spécificités nationales du secteur bancaire. Cela étant, certaines esquisses générales peuvent être avancées.
Il nous semble, tout d’abord, qu’un dispositif d’assurance explicite gagne à être doté de statuts publics, dans la mesure où sa crédibilité conditionne son efficacité : par sa dimension curative ex post, il devient alors paradoxalement préventif ex ante (Madiès, 2000, p.40) 242 . En effet, en cas de crise, on doute de l’aptitude d’une assurance privée à résorber les défaillances bancaires.
En revanche, une assurance publique rassure davantage les déposants du fait de son lien plausible avec le mécanisme du PDR. Le meilleur serait que la charge de l’assurance soit confiée à l’instance responsable de la supervision et de la discipline bancaire, comme c’est le cas aujourd’hui aux Etats-Unis (FDIC) ou aux Pays-Bas (BC).
Cela est plus dissuasif dans la mesure où cette même instance collecte les primes d’assurance, contrôle les banques et sanctionne les manquements. Il faut signaler que dans certains pays, le fonds d’assurance des dépôts est doté de statuts d’économie mixte. C’est le cas au Japon, où il est financé et géré conjointement par le gouvernement, la BC et les banques commerciales.
Pour ce qui est de l’assiette et du niveau de couverture de l’assurance, nous pensons que les dépôts à vue doivent être « intégralement » assurés, puisqu’ils constituent le moyen de paiement par excellence. En tant que parfaits substituts à la monnaie fiduciaire, ils doivent représenter un actif sûr et non une source de méfiance. En dehors des dépôts à vue, il est important que l’assurance couvre également les avoirs à terme et à forte liquidité (la quasi-monnaie) des petits déposants, mais en étant cette fois plafonnée. En sus de la protection de ces derniers, cela favorise l’épargne longue. Tobin (1992, p.83) fait remarquer qu’aux Etats-Unis, malgré le plafonnement des dépôts, les petits déposants ont toujours récupéré la totalité de leurs avoirs suite aux épisodes de crises bancaires, quitte à faire intervenir le contribuable 243 .
Ce constat est confirmé et élargi par Benston (2000a, p.280) à plusieurs autres pays, depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cela laisse présager l’existence d’une garantie étatique de facto, du moins pour les déposants des grandes banques, jugées « too big to fail » 244 (Stiglitz et Greenwald, 2003, p.209). Il faut cependant signaler que certains pays comme l’Allemagne, le Japon et la Finlande ont explicitement opté pour des dispositifs d’assurance non plafonnée (assurance intégrale).
En revanche, beaucoup d’économistes s’accordent sur le fait que les avoirs interbancaires ainsi que ceux des gros déposants ne doivent pas être couverts par l’assurance. La raison avancée est l’exercice d’un minimum de discipline de marché, élément devant théoriquement promouvoir la qualité du portefeuille bancaire.
Pour autant, il ne faut pas oublier que ces parties non-assurées peuvent très bien déclencher un run bancaire qui apparaît alors comme une réponse tout à fait rationnelle. En outre, les dépôts interbancaires jouent un rôle vital dans la compensation des paiements, et on peut craindre que leur non-recouvrement ne soit à l’origine d’un dysfonctionnement du système de paiement.
En ce qui concerne le financement de l’assurance des dépôts, deux méthodes sont pratiquées : ex ante ou ex post. La première, qui est la plus courante (France, Allemagne, Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Grèce, Japon, etc.), consiste en un versement périodique des primes d’assurance par les adhérents. Dans certains cas, les cotisations sont baissées, voire suspendues, dés lors que les réserves accumulées sont jugées suffisantes comme c’est le cas, aujourd’hui, aux Etats-Unis 245 . Ce système de financement retient l’aval de la plupart des économistes dans la mesure où il est jugé contra-cyclique, évite les difficultés de recouvrement des cotisations auprès des adhérents et fait contribuer la banque défaillante.
La seconde méthode (Italie, Suisse, Pays-Bas, Autriche, Luxembourg) consiste en un paiement ex post des cotisations, une fois le dispositif assurantiel engagé. Cela revient à estimer le coût total du sinistre, puis à le repartir sur l’ensemble des banques assurées, hormis celle mise en cause. Ce procédé suscite beaucoup de controverses du fait de son caractère pro-cyclique et inéquitable puisqu’il dispense la banque défaillante de participer à l’effort assurantiel.
En tout état de cause, la réglementation veille à ce que la banque en difficulté épuise tous les procédés habituels avant de faire intervenir l’assurance des dépôts 246 . Certes, la portée de la crise peut être telle, qu’une assistance du PRD et/ou du contribuable soit requise.
Mais, il faut préciser que dès lors que le dispositif assurantiel est mis en oeuvre, la banque défaillante est automatiquement radiée 247 comme c’est le cas en France. En outre, le fonds de garantie des dépôts ainsi que les déposants, peuvent engager toute action en responsabilité à l’encontre des dirigeants de droit ou de fait de ladite banque. Cela devrait fortement dissuader ces dirigeants de prendre trop de risques.
Tout au long de cette sous-section, nous avons noté que les déposants entretenaient avec leur banque une relation très particulière qui rend leur protection nécessaire. Ceci étant, puisque les banques ne se limitent pas à collecter des dépôts, mais offrent également une large gamme de produits et services financiers, c’est l’ensemble des consommateurs qui peut faire l’objet de comportements préjudiciables. C’est ce que nous allons voir dans ce qui suit.
Pour déterminer la solidité et les primes de cotisations des banques assurées, beaucoup d’organes responsables de la garantie des dépôts utilisent des modèles synthétiques dérivés de la méthode CAMELS (Capital adequacy, Asset quality, Management ability, Earning strength, Liquidity sufficiency, Sensitivity to market risk) instaurée par le FDIC aux Etats-Unis. Les notes sont attribuées selon une échelle qui varie entre 1 (meilleure) et 5 (pire).
C’est la raison pour laquelle certains pays comme la Nouvelle-Zélande ont décidé de ne pas instaurer une assurance des dépôts. Cette mesure vise à promouvoir la discipline du marché en poussant les déposants à contrôler leurs banques. A cet effet, les autorités monétaires obligent toutes les banques à divulguer publiquement certaines informations importantes comme leur degré de solvabilité, la composition de leur portefeuille et la nature de leurs risques. Il faut préciser que la quasi-totalité des banques néo-zélandaises sont des banques étrangères, ce qui peut expliquer ce choix (90% des dépôts sont détenues par ces banques). L’Afrique du Sud qui, jusque là, ne disposait pas de mécanisme explicite d’assurance des dépôts devrait prochainement réformer son cadre réglementaire pour instaurer une assurance explicite (South African Reserve Bank, mars 2002, http://www.resbank.co.za/depositinsurance.html ).
En France,l’article L.312-9 du code monétaire et financier stipule que « Le fonds de garantie des dépôts est une personne morale de droit privé ». Mais, cela n’empêche pas le législateur de soumettre ce fonds, à travers l’article L.312-10, au contrôle de l’Inspection Générale des Finances (IGF) qui, traditionnellement a vocation à contrôler uniquement le secteur public. Le choix d’une organisation professionnelle de l’assurance des dépôts en France doit être placé dans son contexte historique, c’est-à-dire la loi bancaire du 24 janvier 1984. A travers son article 52, celle-ci donnait au gouverneur de la Banque de France, la possibilité de mettre en oeuvre une « solidarité de place » entre banques (disposition abrogée aujourd’hui), ce qui laissait un rôle « formel » au fonds d’assurance des dépôts. Aux Etats-Unis, en revanche, le FDIC, organisme d’assurance des dépôts, est une personne morale de droit public. Selon Madiès (2000, p.208-209), l’assurance des dépôts peut être professionnelle dans les pays développés, où la confiance n’est pas à construire mais à maintenir. En revanche, dans les pays en développement, où la confiance des déposants reste fragile, l’assurance doit être publique.
Le plafond de cette assurance est actuellement de 70.000 euros en France (Règlement N° 99-05 du CRBF du 09 juillet 1999), sachant que la législation européenne (directive 94/19/CE du 30 mai 1994) exige un minimum de 20.000 euros dans les pays de l’UE. Aux Etats-Unis ce plafond est actuellement de 100.000 dollars, mais un projet de loi visant à le porter à 200.000 dollars pour les comptes de retraite (comptes IRA ou Keogh) et à 130.000 dollars pour les autres dépôts vient d’être déposé au Sénat. Il faut signaler que le FDIC administre actuellement deux fonds d’assurance des dépôts : l’un, le Bank Insurance Fund (BIF) couvre essentiellement les dépôts bancaires, et l’autre, le Saving Association Insurance Fund (SAIF) couvre essentiellement les dépôts des caisses d’épargne. L’actuel projet de loi vise aussi à fusionner ces deux fonds ( Ambassade de France aux Etats-Unis, Agence financière, Synthèse mensuelle d’avril 2003, http://www.info-france-usa.org/fr/ambassade/finance/sm0403.pdf ).
Même lorsque la disparition d’une grande banque ne provoque aucune perturbation notable (du fait notamment de l’assurance des dépôts), elle est dommageable dans la mesure où elle réduit la concurrence bancaire au dépend des consommateurs et prive ces derniers de services et produits pouvant être de bonne qualité et à faibles prix.
En effet, le FDIC dispense, depuis 1995, les banques bien capitalisées et sainement gérées, du versement de leurs cotisations dès lors que le niveau de capitalisation du fonds (ratio réserves/dépôts) dépasse le plancher de 1,25% des dépôts assurés. Aujourd’hui, plus de 93% des banques assurées par le FDIC sont exemptées du versement de leurs cotisations, étant donnée leur bonne notation. Cette situation a fait apparaître deux principaux problèmes. Premièrement, l’absence de cotisations peut désinciter les banques à avoir des comportements prudents puisque la tarification qui était adaptée au niveau de leurs risques a disparu. Deuxièmement, elle suscite l’entrée de passagers clandestins qui profitent de l’assurance des dépôts, sans jamais avoir cotisé (Ambassade de France aux Etats-Unis, Agence financière, mai 2000).
En France par exemple, l’article L.511-42 du code monétaire et financier stipule que : « Lorsqu’il apparaît que la situation financière d’un établissement de crédit le justifie, le gouverneur de la Banque de France, président de la commission bancaire, invite, après avoir, sauf en cas d’urgence, pris l’avis de la commission bancaire, les actionnaires ou les sociétaires de cet établissement à fournir à celui-ci le soutien qui lui est nécessaire ».
Il faut signaler pour le cas de la France que le fonds de garantie des dépôts peut intervenir à titre préventif lorsqu’une banque laisse craindre une crise ou une suspension de la convertibilité de ses dépôts. D’ailleurs, cela est préférable s’il est moins onéreux d’éviter la faillite de cette banque que de dédommager ses déposants. Cette intervention ne doit cependant pas maintenir en survie artificielle des banques économiquement non viables. En outre, la banque défaillante peut très bien faire l’objet d’une acquisition.