En 1776, Smith écrit : ‘«’ ‘ Il est rare que des agents du même métier se trouvent réunis, fût-ce pour quelque partie de plaisir ou pour se distraire, sans que la conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque machination pour faire hausser les prix ’ ‘»’ ‘ (’Traduction française, 1991, vol. I, chap. X, p.205). On aurait pu croire cette réflexion aujourd’hui désuète, mais les faits authentifient sa teneur. A titre d’exemple, en France, et pour ce qui concerne notre sujet, le Conseil de la Concurrence a sanctionné le 19 septembre 2000 plusieurs banques pour entente anticoncurrentielle 257 .
Les économistes considèrent, à juste titre, qu’en situation de concurrence pure et parfaite, le marché est le meilleur moyen d’allouer les ressources entre agents économiques. Mais, parce que la fameuse « main invisible » censée équilibrer l’offre et la demande, relève plus de l’imaginaire que de la réalité, le mécanisme du marché fait l’objet d’importants dysfonctionnements.
C’est précisément pour pallier ces derniers que la « main » du réglementeur doit se substituer à la « main invisible » du marché (Couppey, 1998, p.174). Dans le secteur bancaire comme dans beaucoup d’autres, la réglementation vise donc, entre autres, à « harnacher les forces du marché, jugées trop brutales » (Herring et Santomero, 1999, p.06).
Nonobstant tout cela, nous avons vu précédemment que, l’activité bancaire se caractérise par certaines externalités qui rendent l’exercice du jeu concurrentiel non sans risques. Aussi, par souci de sécurité, cette activité a longtemps été moins ouverte à la concurrence que d’autres. Mais, avec le changement de la donne économique, il incombe désormais au réglementeur bancaire, la tâche extrêmement complexe de promouvoir une concurrence saine entre les banques. Celle-ci doit se situer à un niveau tel qu’elle ne soit ni destructrice pour les banques, ni prédatrice pour les consommateurs. Dans ces conditions, la concurrence contribue à l’efficience économique en poussant les banques à constamment innover et à offrir des produits et des services plus performants et mieux adaptés aux besoins de la clientèle.
S’il se trouve une pratique qui nuit sévèrement à la rentabilité et, par conséquent, à la solidité du secteur bancaire, c’est bien celle de la concurrence destructrice. Certes, un degré élevé de concurrence encourage l’innovation et l’efficience productive des banques. Mais, à terme, il réduit sensiblement leurs niveaux de profit et les amène à choisir des comportements de plus en plus audacieux afin d’assurer leur continuité, notamment en finançant des projets hautement risqués (Stiglitz et Greenwald, 2003, p. 231).
Vers le milieu des années quatre-vingt-dix (surtout en 1993 et 1994), les banques françaises ont largement fait les frais de ce genre de pratiques. En effet, durant cette période, une concurrence destructrice gagna l’ensemble du système bancaire français dans la crise la plus grave de son histoire (depuis la fin de la seconde guerre mondiale). Cette concurrence s’est traduite par l’apparition, puis l’extension de pratiques de distribution de crédits à moyen et long terme, pour l’équipement des entreprises et l’habitat des particuliers, à des taux largement inférieurs à ceux des placements sans risque sur les marchés financiers. C’est ainsi qu’au mois de décembre 1994, époque à laquelle l’obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans était émise à plus de 8% et les Bons du Trésor à taux fixe et à intérêt annuel (BTAN) à 5 ans à 7,87%, on a pu relever des taux bancaires de 6,8% pour les crédits d’équipement de 10 ans à taux fixe et de 6,5% pour les crédits à 5 ans aux PME.
Afin de lutter contre ce genre de pratiques, les autorités françaises de supervision ont décidé d’utiliser, à partir de 1995, des indicateurs informationnels (seuils d’alerte), correspondant aux taux d’intérêt des placements sans risques (emprunts d’Etat). Toute banque qui octroierait des crédits à des taux inférieurs à ces derniers, se mettrait aussitôt en situation de dumping et serait alors sanctionnée. De même, toute banque qui offrirait des taux créditeurs anormalement élevés par rapport au reste de la profession, serait tenue de rendre des comptes aux autorités de supervision. Au-delà de la lutte contre le limage des marges d’intermédiation qui dégrade la couverture des risques, ces mesures visent l’harmonisation des conditions de la concurrence en imposant les mêmes règles à tous les acteurs.
Dans le même ordre d’idées, l’abus de position dominante, les cartels, collusions et ententes anticoncurrentielles constituent des pratiques sévèrement réprimées. Mais une fois encore, le particularisme de l’activité bancaire vient compliquer la tâche du réglementeur. D’abord, les exigences opérationnelles obligent souvent les banques à œuvrer en commun dans certains segments de leur activité (marché interbancaire, systèmes de paiement, réseau DAB/GAB, etc.). Par ailleurs, les usages de la profession ont établi une « solidarité de place » lors de situations difficiles, notion étrangère à la plupart des secteurs concurrentiels. Enfin, les mutations économiques encouragent de plus en plus les banques à opérer des rapprochements stratégiques via les fusions-acquisitions et accords de partenariats.
Dans le but de prendre en compte ce genre de particularités, la réglementation européenne exempte les ententes restrictives de concurrence dans le domaine bancaire, si elles remplissent certaines conditions : apportent un progrès économique ou technique, bénéficient au consommateur et n’éliminent pas la concurrence (article 81.3 du Traité). La même logique prime en ce qui concerne les fusions-acquisitions qui sont soumises à la notification et à l’aval des autorités de supervision 258 . La décision de celles-ci est largement animée par les retombées de ces rapprochements sur le bien-être des consommateurs 259 .
L’affaire porte sur la mise en œuvre en 1993 et 1994 d’une entente anticoncurrentielle dans le domaine du crédit immobilier aux particuliers. A l’époque, la baisse des taux d’intérêt débiteurs rendait avantageux le remboursement anticipé d’un emprunt antérieur et la renégociation d’un nouvel emprunt plus intéressant, conformément à l’article L.312-21 du code de la consommation. Le Conseil de la Concurrence a alors constaté que, face à cette situation, les principales banques françaises avaient conclu un « pacte de non agression interbanque ». Celui-ci stipulait que chaque banque s’interdisait de faire des propositions aux clients des autres banques souhaitant renégocier leurs emprunts immobiliers. Cet accord permettait aussi aux banques concernées de mieux résister aux demandes de renégociation de leur propre clientèle, puisque celle-ci était privée de la possibilité de réagir à un refus de leur banque en se tournant vers la concurrence. Une telle pratique concertée entre les principaux acteurs d’un marché pour fausser la concurrence par les prix est non seulement prohibée par l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix, mais représente un acte anticoncurrentiel particulièrement grave sur le marché bancaire. Certes, ce dernier fait l’objet d’une réglementation spécifique, mais il est également soumis au droit de la concurrence. Compte tenu de la gravité de l’accord de cartel, le conseil a infligé aux banques incriminées des sanctions pécuniaires d’un montant total supérieur à 1 milliard de franc. Parmi les banques sanctionnées figurent : la Société Générale, le Crédit Agricole, la Banque Nationale de Paris, le Crédit Lyonnais et le Crédit Mutuel (Communiqué de presse n°4 du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie du 13 décembre 2000).
Comme ce fut le cas en France pour le projet de rapprochement entre BNP-Paribas-SG qui a été rejeté par le CECEI le 27 août 1999. L’un des motifs du rejet était la forte part de marché du nouveau ensemble, élément qui pouvait se traduire par un abus de position dominante.
Au Royaume-unis, le rapport Cruickshank (2000) établit que l’excès de concentration du marché bancaire est à l’origine d’une surfacturation des services et produits commercialisés. De même, aux Etats-Unis, Berger, Demsetz et Strahan (1999) montrent que les fusions-acquisitions dans la banque de détail exercent un effet négatif sur les consommateurs à travers l’augmentation des prix.