Conclusion du chapitre III

En économie bancaire, il n’est de sujet qui suscite autant de polémique que celui du particularisme réglementaire qui régit l’activité des banques. Aujourd’hui véritable « casse-tête », ce sujet a pourtant longtemps été traité tel un postulat, notamment en périodes de difficultés économiques. Mais si jadis, l’interventionnisme des autorités publiques dans les affaires bancaires était essentiellement expliqué par des raisons politiques (financement des dépenses souveraines et des guerres), l’avènement de l’Etat moderne, garant de l’intérêt général, a changé la donne. Une démarche scientifique de rationalisation s’est expressément faite ressentir au regard de la tradition interventionniste. Tout au long de ce chapitre, c’est précisément cette démarche qui a animé notre analyse du bien-fondé de la réglementation bancaire.

La grille de lecture que nous avons établie à la lumière de la très riche littérature sur la réglementation bancaire, nous a permis d’identifier trois éléments qui rationalisent le particularisme du cadre institutionnel régissant l’activité des banques. Il s’agit de l’organisation du système monétaire, l’encadrement des risques bancaires et la protection de la clientèle.

  1. La réglementation bancaire assure la stabilité du système monétaire dans la mesure où elle spécifie les rapports entre banques et monnaie. Elle permet ainsi d’ancrer la confiance des agents économiques dans la monnaie bancaire qui devient alors parfaitement substituable à la monnaie fiduciaire émise par la BC et garantie par l’Etat. L’approfondissement et la généralisation de cette confiance placent les banques au cœur de la gestion et de la compensation des paiements, mission à travers laquelle elles contribuent à l’efficience macroéconomique. Les systèmes interbancaires de paiement apparaissent dès lors comme des biens collectifs qu’il incombe de soigneusement encadrer afin d’en assurer l’efficacité, la sécurité et la continuité. Il faut dire que toute interruption de ces systèmes aurait des répercussions catastrophiques sur les affaires économiques. C’est précisément pour promouvoir ces dernières que la BC a également besoin d’agir sur les banques pour mettre en œuvre sa politique monétaire. Dans ce cadre, la réglementation bancaire permet de définir les rapports institutionnels entre BC et banques de second rang.
  2. La réglementation bancaire permet d’encadrer les risques bancaires, voire d’en écarter l’occurrence à travers l’instauration de filets de sécurité. Quels que soient les avantages procurés par l’activité bancaire à l’ensemble de l’économie, ils sont corrélés à d’importants risques. C’est dans l’optique de réduire et si possible d’éliminer les externalités négatives découlant de ces derniers qu’un pan considérable de la réglementation bancaire est dit prudentiel. Le risque systémique étant économiquement le plus ravageur, il est directement appréhendé à la source par la BC, PDR. Le risque idiosyncratique étant, quant à lui, de dimension microéconomique, il est traité en favorisant une gestion saine de certains risques communs comme ceux d’illiquidité, de contrepartie et de marché. L’ultime finalité du régulateur consiste à «endogénéiser » des comportements bancaires prudents quitte à affecter les rendements.
  3. La réglementation bancaire protège les clients traitant avec les banques du fait du déséquilibre du rapport de force entre les deux parties. Cet aspect consolide la confiance des agents économiques qui sont alors plus enclin à commercer avec les banques. Les petits déposants occupent une place maîtresse dans le dispositif protectionniste compte tenu de leur vulnérabilité, d’une part, et de l’importance que revêt l’accès au dépôt à vue dans la vie quotidienne, d’autre part. Ils bénéficient le plus souvent d’une assurance explicite des dépôts qui leur permettra de récupérer leurs avoirs en cas de défaillance bancaire. Il a été noté que par sa dimension curative ex post, cette assurance devient paradoxalement préventive ex ante. Par ailleurs, les autres consommateurs de produits et services bancaires, et notamment les emprunteurs, peuvent facilement mais sérieusement être lésés par certains comportements bancaires. Ici encore, la réglementation bancaire organise de manière équitable les rapports commerciaux entre banques et consommateurs. En outre, elle veille à instaurer une concurrence saine qui incite les banques à innover, de façon à ce que les consommateurs disposent d’une offre diversifiée et de qualité.

Il est important de préciser que chacune des trois composantes réglementaires évoquées ci-dessus ne saurait être envisagée indépendamment des autres. Un cadre réglementaire qui négligerait l’une d’entre elles risquerait de compromettre la stabilité du secteur bancaire et par conséquent, le bien-être de l’ensemble des agents économiques.

Au-delà de ces trois composantes, il ressort de notre analyse que si l’évolution effective de l’activité bancaire nécessite la reconsidération de certains dispositifs réglementaires (réforme Bâle II, par exemple), elle ne remet pas en cause les fondements de la réglementation bancaire, contrairement à ce qu’affirment les partisans de la liberté bancaire (free banking). Toutefois, cela ne doit en aucun cas détourner le réglementeur de la prise en compte des impératifs de gestion du banquier.