CONCLUSION GENERALE

« Ce qui est important, ce n’est pas de finir une œuvre, mais d’entrevoir qu’elle permette un jour de commencer quelque chose », Joan Miro, peintre et sculpteur catalan.

Au terme de ce travail, nous rappelons brièvement la problématique et la démarche suivie, pour examiner ensuite les résultats et les perspectives de recherche.

L’objectif de notre thèse était de contribuer à une meilleure compréhension de la banque en apportant un nouvel éclairage sur son activité, sa théorie et sa réglementation. Le fil directeur de notre démarche a consisté à voir dans quelle mesure l’évolution factuelle de l’activité bancaire appelait, d’une part, une actualisation de la théorie bancaire et, d’autre part, une reconsidération des fondements de la réglementation bancaire.

Pour ce faire, nous avons commencé, dans un premier chapitre, par disséquer les principales tendances qui sous-tendent l’évolution de l’activité bancaire depuis un peu plus de deux décennies. Par souci d’exhaustivité, mais aussi pour des raisons de disponibilité statistique, nous nous sommes focalisés sur le cas des banques françaises et américaines. Dans un second chapitre, nous avons confronté la réalité du terrain aux enseignements de la théorie bancaire, au regard des raisons d’être de la banque, de sa fonction d’intermédiation financière et de la nature de sa production. Enfin, dans un troisième chapitre, nous avons reconsidéré le bien-fondé de la réglementation bancaire au travers de l’organisation du système monétaire, de l’encadrement des risques bancaires et de la protection de la clientèle bancaire.

Au total, notre travail débouche sur trois grandes conclusions.

  1. L’activité bancaire s’est profondément transformée au cours du dernier quart de siècleComparativement à l’activité bancaire, peu d’activités économiques ont subi autant de changements en si peu de temps. En fait, l’avènement des mutations financières que sont la libéralisation financière, la mondialisation, la globalisation financière, les innovations financières et l’incorporation des NTIC, a établi de nouvelles règles du jeu affectant à la fois, les acteurs, les métiers et les structures de la sphère financière. Aujourd’hui, la prédominance historique des banques au sein de cette sphère est mise à mal, d’un côté, par la montée concurrentielle des non-banques comme les OPCVM monétaires au passif, et les compagnies financières à l’actif, et d’un autre côté, par l’extension des marchés de capitaux organisés, à l’origine d’une désintermédiation et d’une mobiliérisation de plus en plus poussées. La modification des comportements de placement des ménages et de financement des entreprises non financières a joué un rôle central dans l’aboutissement à cette situation. Par ailleurs, notre analyse a permis d’établir clairement le déclin de l’intermédiation bancaire traditionnelle axée sur la collecte des dépôts et l’octroi des crédits. En effet, dans les deux pays faisant l’objet de notre étude, en l’occurrence la France et les Etats-Unis, nous avons pu constater que le poids des dépôts et des crédits relativement au total du bilan bancaire s’était significativement réduit au cours du dernier quart de siècle. L’érosion de la marge sur intérêts et le fort recul de la part des revenus d’intérêts dans le Produit Net Bancaire nous ont permis d’étayer ce constat en montrant que l’intermédiation traditionnelle génère de moins en moins de revenus, toutes choses égales par ailleurs, rémunère de moins en moins les facteurs de production au sein des banques contemporaines. Face à cette nouvelle donne, les banques ont réagi, d’un côté, en s’ouvrant largement sur les marchés financiers et, d’un autre côté, en développant de nouvelles activités génératrices de commissions et de revenus divers. Nous avons vu que l’ouverture des banques sur les marchés financiers recouvrait trois grands aspects. D’abord, l’alignement progressif des conditions débitrices et créditrices bancaires sur les référentiels des marchés financiers, dans le but de contrecarrer la fuite de la clientèle non financière vers les instruments de financement et les produits d’épargne non-bancaires. Ensuite, l’intervention des banques en qualité de market makers, rôle qui contribue considérablement à l’efficience et à la liquidité des marchés financiers, et permet aux banques de diversifier leurs sources de revenus. Et enfin, l’accroissement significatif de la part des valeurs mobilières dans les bilans bancaires, visant à contrebalancer le déclin des ressources et des emplois traditionnels. Plus généralement, nous avons relevé que le développement de nouvelles activités de marché et de hors-bilan génératrices de commissions et de revenus divers visait à contrebalancer l’érosion des revenus d’intérêts liés à l’intermédiation traditionnelle dépôts-crédits. Or, dans la mesure où la composante « commissions et revenus divers » est désormais à l’origine de l’essentiel de la progression du PNB des banques considérées, elle reflète le mieux la réalité actuelle de l’activité bancaire. Cette nouvelle composante de la rentabilité bancaire est largement axée sur des opérations comme la titrisation des créances, les engagements de financement et de garantie et les engagements sur produits financiers dérivés. Plus particulièrement, l’évolution des banques vers les activités de marché et de hors-bilan nous semble être irréversible. En effet, d’une part, cette évolution est économiquement très rentable, et la marge de progression des banques dans la promotion de prestations de services à forte valeur ajoutée est encore grande, les opportunités futures s’annonçant très prometteuses. D’autre part, cette évolution est soutenue par des phénomènes eux-mêmes irréversibles à l’image de la globalisation et des innovations financières et technologiques. Au final, l’enracinement de l’ensemble de ces tendances dans le temps nous amène à penser que nous assistons à des évolutions structurelles qui persisteront sûrement dans les années à venir. Peut-on, pour autant, présager la disparition prochaine de l’intermédiation bancaire traditionnelle, axée sur la collecte de dépôts et la distribution de crédits ? Certainement pas. En effet, cette intermédiation reste essentielle pour au moins deux raisons. D’abord, parce que la clientèle non financière (notamment les ménages et les PME/PMI) manifeste de la réticence à la perspective de sa disparition, d’autant plus que cette intermédiation est consubstantielle aux précieux services de paiement qui permettent la compensation des dettes et des créances entre agents économiques. Ensuite, parce que cette intermédiation représente la toile de fond de bon nombre de nouvelles activités génératrices de commissions comme la titrisation et la gestion des moyens de paiement. Cela étant, la marge sur intérêts habituellement générée par cette intermédiation traditionnelle ne suffit plus à couvrir les frais d’exploitation et à assurer la continuité du processus de production au sein des banques contemporaines. C’est donc dans une perspective de complémentarité que s’inscrit le développement de nouvelles activités de marché et de hors-bilan.
  2. La théorie bancaire est en profond décalage avec la pratique bancaire. La littérature théorique sur la banque reste, aujourd’hui encore, excessivement restreinte à l’intermédiation bancaire traditionnelle axée sur la collecte des dépôts et la distribution des crédits, alors que sur le terrain, les banques développent de plus en plus des activités hors intermédiation traditionnelle. Pour se mettre au diapason des évolutions réelles, la théorie bancaire peut être amendée dans trois directions : au niveau des raisons d’être de la banque, au niveau de la fonction d’intermédiation bancaire et au niveau de la nature de la production bancaire. La reconsidération des raisons d’être de la banque nous a amenés à constater que les arguments traditionnels de coûts de transaction et d’asymétrie d’information nécessitaient un « dépoussiérage ». En effet, les mutations de la sphère financière et surtout l’avènement des NTIC ont considérablement atténué la portée de ces coûts et asymétries au niveau de la finance directe. Nous avons toutefois relevé que si l’aspect « matériel » de ces phénomènes avait considérablement baissé, leur aspect « technique » persistait du fait de la complexification des marchés financiers. L’intensification de la volatilité des référentiels de ces derniers prouve qu’ils demeurent imparfaits, et par là même, rationalise davantage la présence des banques. Cependant, il est aujourd’hui indispensable de fonder cette présence non plus par référence aux seules activités traditionnelles de collecte des dépôts et de distribution des crédits, mais aussi par référence aux nouvelles activités bancaires de marché et de hors-bilan. C’est dans cette perspective que s’inscrivent de récents travaux théoriques comme ceux d’Allen et Santomero (1997, 2001) qui proposent d’actualiser les raisons d’être de la banque au vu des services de participation et de gestion des risques rendus aux agents non financiers. La reconsidération de la fonction d’intermédiation bancaire nous a permis de relever que la théorie conventionnelle de l’intermédiation financière qui puise sa source dans les travaux de Gurley et Shaw (1960), ne représentait plus un cadre adapté à la compréhension du rôle des banques contemporaines. Nous avons cependant constaté qu’une grande partie de la littérature bancaire moderne restait « opiniâtrement » et « exclusivement » attachée à l’intermédiation traditionnelle de bilan axée sur la collecte des dépôts et la distribution des crédits. Même si des efforts d’enrichissement ont été entrepris, entre-temps, pour étendre le cadre de l’intermédiation financière aux nouvelles activités bancaires de marché et de hors-bilan, ils sont demeurés lacunaires. En effet, la démarche de cantonner l’ensemble des activités bancaires au seul domaine de l’intermédiation financière montre aujourd’hui son inconsistance, dans la mesure où l’essentiel des nouvelles activités bancaires ne répond pas à une logique d’intermédiation, mais à une logique de simple prestation de services. Le recours à l’expression « activités hors intermédiation » nous a alors semblé opportun pour caractériser ce genre d’activités qui génèrent des revenus consistants sous forme de commissions. Eu égard à ces éléments, le réexamen de la question de la spécificité bancaire relativement aux intermédiaires financiers non bancaires nous a permis de conclure à une « semi-spécificité ». Celle-ci est fondée, d’une part, sur la création monétaire qui reste l’attribut des seules banques et, d’autre part, sur les activités d’intermédiation de marché et les activités hors intermédiation, qui sont partagées avec les autres intermédiaires financiers. S’agissant de la spécificité des banques par rapport aux marchés financiers, nous avons préféré repositionner cette question en terme de complémentarité. En effet, les banques ont trouvé dans les marchés financiers le moyen de pallier la baisse de leurs revenus traditionnels. De même, les marchés financiers ont considérablement été renforcés grâce au rôle des banques en tant que market maker et à leurs engagements de hors-bilan. La reconsidération de la nature de la production bancaire nous a conduit à souligner, dans un premier temps, les limites de l’approche industrielle de cette question. Certes, les adeptes de ladite approche ne se sont pas montrés avares d’efforts pour tenter de définir et mesurer, à l’aune des techniques quantitatives, la production bancaire. Mais leurs tentatives sont demeurées vaines, vu le manque de consensus sur la façon de modéliser le processus de production bancaire et de définir ses inputs et ses outputs. En réponse à ces lacunes, nous avons repensé le processus de production bancaire, à la lumière d’une approche « servicielle ». En effet, la banque est sans équivoque une entreprise de services marchands, même si les conditions de son activité font qu’on parle souvent d’industrie bancaire. Cette démarche nous a conduit, entre autres, à distinguer au niveau de la production bancaire, deux types d’outputs : les outputs-services et les outputs-produits. Par ailleurs, nous avons souligné le rôle particulier que joue la clientèle dans ce processus en tant que co-producteur. L’approfondissement cette approche « servicielle » nous semble constituer une réelle source d’enrichissement pour la théorie bancaire qui aboutira peut être, dans un proche avenir, à percer le mystère de la production bancaire.
  3. La réglementation bancaire reste indispensable, aujourd’hui, plus que jamais. Certes, l’évolution effective de l’activité bancaire pousse à la reconsidération de certains dispositifs réglementaires. Mais, elle ne remet pas en cause le bien-fondé de la réglementation bancaire, contrairement à ce qu’affirment les partisans de la liberté bancaire (Free Banking). Cette conclusion va dans le sens de l’actuelle réforme du ratio de solvabilité (Bâle II ou réforme McDonough) qui vise à encadrer les nouveaux risques suscités par l’évolution de l’activité bancaire. D’après notre analyse, trois arguments principaux militent en faveur de la réglementation bancaire. D’abord, la réglementation bancaire assure la stabilité du système monétaire dans la mesure où elle spécifie les rapports entre banques et monnaie. Elle permet ainsi d’ancrer la confiance des agents économiques dans la monnaie bancaire qui devient alors parfaitement substituable à la monnaie fiduciaire émise par la Banque Centrale et garantie par l’Etat. L’approfondissement et la généralisation de cette confiance placent les banques au cœur de la gestion et de la compensation des paiements, mission à travers laquelle elles contribuent à l’efficience macroéconomique. Les systèmes interbancaires de paiement apparaissent dès lors comme des biens collectifs qu’il incombe de soigneusement encadrer afin d’en assurer l’efficacité, la sécurité et la continuité. Il faut dire que toute interruption de ces systèmes aurait des répercussions catastrophiques sur les affaires économiques. C’est précisément pour promouvoir ces dernières que la Banque Centrale a également besoin d’agir sur les banques pour mettre en œuvre sa politique monétaire. Dans ce cadre, la réglementation bancaire permet de définir les rapports institutionnels entre Banque Centrale et banques de second rang. Ensuite, la réglementation bancaire permet d’encadrer les risques bancaires, voire d’en écarter l’occurrence via l’instauration de filets de sécurité. Quels que soient les avantages procurés par l’activité bancaire à l’ensemble de l’économie, ils sont corrélés à d’importants risques. C’est dans l’optique de réduire et si possible d’éliminer les externalités négatives découlant de ces derniers qu’un pan considérable de la réglementation bancaire est dit prudentiel. Le risque systémique étant économiquement le plus ravageur, il est directement appréhendé à la source par la Banque Centrale, Prêteur en Dernier Ressort. Le risque idiosyncratique étant, quant à lui, de dimension microéconomique, il est traité en favorisant une gestion saine de certains risques communs comme ceux d’illiquidité, de contrepartie et de marché. Enfin, la réglementation bancaire protège les clients traitant avec les banques du fait du déséquilibre du rapport de force entre les deux parties. Cet aspect consolide la confiance des agents économiques qui sont alors plus enclins à commercer avec les banques. Les petits déposants occupent une place maîtresse dans le dispositif protectionniste compte tenu de leur vulnérabilité, d’une part, et de l’importance que revêt l’accès au dépôt à vue dans la vie quotidienne, d’autre part. Ils bénéficient le plus souvent d’une assurance explicite des dépôts qui leur permettra de récupérer leurs avoirs en cas de défaillance bancaire. Il a été noté que par sa dimension curative ex post, cette assurance devient paradoxalement préventive ex ante. Par ailleurs, les autres consommateurs de produits et services bancaires, et notamment les petits emprunteurs, peuvent facilement mais sérieusement être lésés par certains comportements bancaires. Ici encore, la réglementation bancaire organise de manière équitable les rapports commerciaux entre banques et consommateurs. En outre, elle veille à instaurer une concurrence saine qui incite les banques à innover, de façon à ce que les consommateurs disposent d’une offre diversifiée et de qualité.

Notre travail présente naturellement des limites qui pourraient faire l’objet de nos futures recherches. Plus précisément, trois principales perspectives de recherche peuvent être esquissées.

Concernant l’activité bancaire, nous envisageons de prolonger l’analyse factuelle que nous avons menée dans le premier chapitre à d’autres pays de l’OCDE comme l’Allemagne, l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni et le Japon, afin de confirmer ou d’infirmer le caractère global des évolutions constatées au niveau des banques françaises et américaines. L’élargissement de l’analyse à l’ensemble des pays de l’Union européenne apporterait un éclairage supplémentaire sur la question de la convergence des systèmes bancaires en Europe.

En effet, ce thème actuellement au cœur des recherches de la BCE, comme en témoigne la publication de deux récents rapports (novembre 2004) sur la structure et la stabilité du secteur bancaire européen 260 . Par ailleurs, il serait également intéressant de voir comment les secteurs bancaires des pays en développement ont réagi aux mutations financières et s’ils s’acheminent vers les mêmes évolutions constatées dans les pays développés.

S’agissant de la théorie bancaire, il semble nécessaire d’approfondir deux importantes pistes de recherche. D’une part, montrer comment la théorie bancaire gagne à s’affranchir du cadre d’analyse tracé par la théorie de l’intermédiation financière. D’autre part, consolider l’approche « servicielle » du processus de production bancaire.

En ce qui concerne la réglementation bancaire, on ressent l’intérêt de se tourner vers l’optimalité de l’encadrement prudentiel après que le bien-fondé de cet encadrement a été soulevé.

Au total, les trois dimensions clés que sont l’activité, la théorie et la réglementation constituent, ensemble, une grille de lecture propice à la compréhension de l’économie bancaire contemporaine, dans sa richesse, dans sa fécondité et dans ses perspectives.

Notes
260.

(1) Report on EU Banking Structure, BCE, november 2004, ( http://www.ecb.int/pub/pdf/other/eubankingstructure2004en.pdf ).

Report on EU Banking Sector Stability, BCE, november 2004, ( http://www.ecb.int/pub/pdf/other/eubankingsectorstability2004en.pdf ).